Les langues régionales de France : grandes divisions géolinguistiques (2/20)

2ème émission de la série proposée par la linguiste Henriette Walter

S’il est une discipline qu’il faut relier à l’histoire des langues de France, c’est bien la géographie. La géographie linguistique est née au XIXe siècle et elle permet, grâce à des méthodes rigoureuses, de plus en plus perfectionnées, de fixer les limites pourtant fluctuantes entre les différents idiomes parlés sur le territoire. Cette émission est la deuxième d’une série qui en offrira vingt.

_ À la fin du XIXe siècle, Jules Gilliéron, géologue de formation, avait demandé à Edmond Edmont de recueillir les différentes formes de 1400 mots dans 637 villages de France, en s'y rendant à bicyclette. C'est ainsi qu'est née une collection d'Atlas linguistiques publiés entre 1902 et 1910. Il sera suivi par une série d'Atlas aux mailles plus serrées, les 25 Atlas linguistiques par région publiés par le CNRS, permettant de repérer sur une carte de France, par exemple les différents noms de l'abeille dans les diverses langues régionales.


Carte des langues régionales en France métropolitaine




- Les noms de l'abeille

Grâce à cette représentation spatiale, on peut aussi relier la géographie à l'histoire des mots. On retrouve ainsi, dans la partie nord du pays, des formes comme < éf >, puis < é >, évolution de la forme latine pour désigner l'abeille, apem. En raison de ces formes très évoluées, et réduites à leur plus simple expression, on comprend pourquoi on a été amené à créer des formes plus étoffées, comme avette ou carrément différentes, comme mouche à miel. En effet, la forme dangereusement amincie é pour désigner l'insecte avait en outre l'inconvénient de se confondre avec la conjonction de coordination et .

Mais alors, pourquoi est-ce abeille qui est devenu le nom de cet insecte en français, et où a-t-il été puisé ? En examinant la carte des noms de l'abeille, on constate qu'il existe un mot abeyo dans les régions méridionales, ce qui permet de faire l'hypothèse plausible d'un emprunt du français au provençal, langue romane du Midi...


- Les grandes divisions dialectales (romanes)

Au moyen de centaines de cartes de ce type (pour le coq, le cheval, la jument, le sillon, le blé...), les Atlas linguistiques des régions de la France font nettement apparaître deux grandes régions : au sud, le domaine d'oc, au nord, le domaine d'oïl, avec, entre les deux, dans la partie orientale, une zone qui recouvre un ensemble de dialectes partageant des caractéristiques semblables, le franco-provençal.
Avec d'autres traits spécifiques, qui ne se retrouvent pas dans les dialectes d'oc, le catalan, à l'extrémité orientale des Pyrénées, est à classer à part, de même que doit l'être le corse, plus proche des dialectes de l'Italie (le sarde ou le pisan et le toscan).

Carte du domaine d’oc
On peut distinguer les parlers d’oc du Nord (limousin, auvergnat, provençal alpin), des parles d’oc du Sud (languedocien, provençal maritime) et du Sud-Ouest (gascon, béarnais, etc.)



- Les autres langues régionales

Dans les prochaines émissions, on reviendra plus largement sur chacune des langues composant la diversité dialectale de la France, qui, rappelons-le, ne se limite pas aux langues issues du latin, mais qui compte également des langues d'origines diverses, toutes situées à la périphérie du pays :


- à l'extrême sud-ouest, le basque, une langue pré-indo-européenne, et qui a précédé toutes les autres dans ce coin de l'Europe.


- À l'extrême nord-ouest, le breton, dans une région autrefois nommée, à juste titre, Aremoricum (du celtique are « à côté de » + moricum, un adjectif formé sur more, « la mer » en gaulois). Le breton appartient à la branche celtique de l'indo-européen.

- Au nord et à l'est, trois langues de la branche germanique :

- à l'extrême nord, près de la frontière belge, le flamand, une langue voisine du flamand parlé en Belgique.

- Dans une partie de la Lorraine, le francique lorrain, qui partage certains traits avec le Plattdeutsch d'Allemagne, mais aussi avec le luxembourgeois et l'allemand de Belgique.

- L'alsacien, souvenir de la langue des Alamans, et qui ressemble
au schwytzertütch, langue germanique parlée en Suisse.

Enfin, nées outre-mer, ce sont les créoles des Antilles françaises, de la Guyane française et de la Réunion qui feront l'objet de notre dernière émission.


- L'indo-européen, langue reconstruite

Mais avant de nous intéresser plus particulièrement à chacune des langues citées, il est sans doute utile de rappeler ce que l'on entend par le terme indo-européen, déjà utilisé précédemment pour indiquer que le basque n'était pas une langue indo-européenne, et qui nous permettra de replacer les langues de France dans un cadre plus large.

Alors que la géolinguistique prend pour point de départ des enquêtes sur le terrain pour classer les différentes langues qui s'y parlent encore, c'est à la recherche de leurs racines que se sont attachés les historiens des langues : grâce à la méthode comparative, c'est-à-dire en mettant en regard les différentes formes des mots encore existants, les dialectologues ont réussi à reconstruire leur forme originelle probable.


Carte : diversité des parlers d’oïl



C'est ainsi qu'est née la théorie de l'indo-européen, qui permet de regrouper un grand nombre de langues.

C’est entre le 5e et le 1e millénaire avant J.-C. que se seraient progressivement formées les langues de l’Europe actuelle :

- le grec,
- le latin, qui a donné naissance aux langues romanes (français, italien, espagnol, portugais, roumain...),
- le groupe germanique ( suédois, danois, norvégien, allemand, yiddish, schwytzertütsch, flamand, francique, alsacien, frison, anglais...)
- le groupe celtique, représenté aujourd’hui par le gaélique d'Irlande et d’Écosse, par le gallois, le breton...
- le groupe slave (russe, tchèque, polonais, slovène...
- le groupe balte (lituanien, letton)
- le groupe albanais (tosque, guègue).


La comparaison de ces langues à partir du moment où elles sont effectivement attestées a permis de leur trouver des ressemblances ne pouvant pas être dues au hasard, des ressemblances telles qu’elles ont conduit les linguistes à faire l’hypothèse que toutes ces langues avaient une origine commune : l’indo-européen, ainsi dénommé parce qu’on trouve ces langues aussi bien en Europe qu’en Inde, et très largement en Asie, avec le sanskrit, puis avec des langues comme le hindi, le bengali, le persan ou l’arménien.

Les langues indo-européennes sont majoritaires en Europe, et bien sûr également en France, mais il est nécessaire de parler d'abord un peu plus longuement d'une langue qui fait exception, le basque, langue vénérable. Elle fera l'objet de la prochaine émission.


Henriette Walter, linguiste renommée, est professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne (Rennes) et directrice du laboratoire de phonologie à l’école pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Henriette Walter est reconnue comme l’une des grandes spécialistes internationales de la phonologie, parle couramment six langues et en « connaît » plusieurs dizaines d’autres. Elle a rédigé des ouvrages de linguistique très spécialisés aussi bien que des ouvrages de vulgarisation.





Bibliographie sélective d’Henriette Walter :


- L’aventure des langues en occident (Robert Laffont)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Prix Louis Pauwels 1997)

- Le Français dans tous les sens (distingué du Grand Prix de l’Académie française en 1988)

- Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais,

- L’aventure des langues en Occident (prix spécial de la Société des gens de lettres et grand prix des lectrices de Elle, Robert Laffont, 1994)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (prix Louis Pauwels 1997, Robert Laffont)

- Honni soit qui mal y pense (Robert Laffont, 2001)

- Arabesques (Robert Laffont, 2006)




En savoir plus:
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