Les langues régionales de France : le breton (4/20)
Contrairement au basque, la langue la plus ancienne de France, le breton ne s’est manifesté que récemment, bien après la conquête romaine, en provenance de la grande île appelée alors Britannia. Mais le breton ne recouvre pas l’ensemble de la Bretagne, qui se partage en deux entités linguistiques bien caractérisées : la Haute-Bretagne, dite Bretagne romane, à l’est, où se parle le gallo, une langue née du latin et qui est en fait la forme prise par le latin dans cette région - à laquelle une prochaine émission sera consacrée bientôt, avec les autres langues romanes ; et la Bretagne celtique, ou bretonnante, où l’on parle le breton depuis environ quinze siècles et qui fait l’objet de cette émission.
- Les débuts du breton
Tout commence vers le Ve siècle de notre ère, avec, venant du sud de la Britannia, l'arrivée de populations de langue celtique dans une région faiblement romanisée, où la population était peu nombreuse et où le gaulois n'avait sans doute pas complètement disparu. Encore à la fin du VIe siècle, Grégoire de Tours parle en effet du gaulois au présent, ce qui laisse penser que le gaulois était encore assez vivant, au moins dans les campagnes - et on évoque en souriant Astérix et la résistance farouche du village d'irréductibles gaulois face aux envahisseurs romains.
On sait aussi, grâce à Jules César, que le pays à l'extrémité occidentale de la Gaule se nommait Aremorica (gaulois are « près de » : morica, dérivé de more « mer », équivalent du latin mare.
Cette langue celtique venue du pays de Galles, du Cornwall britannique et du Devon, n'avait sans doute pas eu de mal à reprendre racine sur cette terre où le souvenir des anciennes tribus gauloises se maintient encore de nos jours sous le nom des villes de :
- Rennes, du nom de la tribu gauloise des Redones
- Vannes, du nom de celle des Vénètes
- Nantes, du nom de celle des Namnètes,
- Corseul, du nom de celle des Curiosolites.
C'est donc de cette époque que l'on peut dater la naissance du breton, dont on peut retrouver l'extension géographique originelle en observant la répartition des toponymes, et en particulier ceux qui comportaient le suffixe gaulois -acos (-acum en latin), qui a ensuite évolué diversement selon les régions.
- Les toponymes en -ac et en -é
Ce suffixe -acum a été l'un des plus productifs pour former des noms de lieux dans l'ensemble de la Gaule, avec des évolutions différentes :
- -ac ou -at dans les domaines d'oc (Segonzac en Corrèze, Aurillac dans le Cantal, Royat dans le Puy-de-Dôme)
- -ai, -ay ou -y dans le Bassin parisien, le centre et le Nord ( Vézelay (Yonne), Chantilly (Oise), Orly (Val-de-Marne)
- -ey dans l'Est : Vitrey (Haute-Saône)
- -eu ou -ieu dans la zone francoprovençale : Ambérieu (Ain)
En Bretagne, deux évolutions différentes :
- soit -ac, -ec, -euc (Brignac, Carantec)
- soit -é (partie orientale, en pays gallo (Vitré, Janzé).
Comme l'évolution en -é représente une caractéristique des autres parlers d'oïl de l'Ouest, on ne peut comprendre le maintien de la forme -ac que comme une résistance, sous la pression du breton, aux évolutions typiquement romanes.
Conclusion : on n'a jamais dû parler breton à Janzé ou à Acigné (Ille-et-Vilaine) alors qu'on a dû le parler à Pipriac ou à Messac, pourtant également en Ille-et-Vilaine, dans une région reconnue de ce fait comme zone mixte de transition, en particulier autour de Redon.
- Le recul du breton
Alors que le breton avait été parlé jusqu'aux environs de Rennes au IXe siècle, il a régulièrement reculé au cours des siècles, et aujourd'hui, on ne le parle plus du tout au-delà d'une ligne allant de Plouha jusqu'à Vannes. Entre le IXe et le XXe siècle, il a reculé d'une centaine de km au nord (en gros de Saint-Malo à Plouha), et d'une quarantaine au sud (de Pornic à Vannes).
Ce recul est en grande partie dû à la chasse aux patois, qui avait commencé après la Révolution. Mais c'est dès la fin du XIXe siècle que se généralise dans les écoles la pratique du « symbole ».
- Le « symbole »
Pierre Jakez Hélias, qui en a lui-même cruellement souffert, décrit ainsi dans Le cheval d'orgueil cette chasse au breton représentée par le « symbole » :
« À propos de symbole, la vache est souvent symbolisée par un objet matériel, n'importe quoi : un galet de mer, un morceau de bois ou d'ardoise que le coupable (!) doit porter en pendentif autour du cou au bout d'une ficelle, un sabot cassé, un os d'animal, un boulon que le maître d'école remet au premier petit bretonnant qui lui offense ses oreilles de fonctionnaire avec son jargon truandaille. Le détenteur de la vache n'a de cesse qu'il n'ait surpris un de ses camarades en train de parler breton pour lui refiler l'objet. Le second vachard, à son tour, se démène de son mieux pour se débarrasser du gage entre les mains d'un troisième et ainsi de suite jusqu'au soir, le dernier détenteur écopant la punition. Cette coutume cruelle s'est maintenue, dit-on, jusque vers les années 1950 ou 1960 dans certains villages ».
- Noms propres
Ainsi traqué à l'école et progressivement évité par les parents, le breton a donc largement reculé, mais l'onomastique bretonne est restée très présente dans toute la Bretagne. Parmi les noms de famille typiquement bretons, on peut citer
- Le Goff, « le forgeron », homologue de Lefèvre en zone d'oïl, ou
- Le Goffic, son diminutif, ou encore
- Le Guen, équivalent de Leblanc ou
- Le Du, équivalent de Lenoir.
- Sous Tanguy, on peut identifier à la fois tan, « ardeur », et ki « chien ».
Voici également quelques prénoms bretons :
Eliaz, qui correspond à Elie
- Fañch=François
- Erwan=Yves
- Per=Pierre
- Katell=Catherine
- Annick=Annie
- Le breton et ses variétés actuelles
On distingue à l'heure actuelle 4 variétés de breton, correspondant plus ou moins aux anciens évêchés : cornouaillais, léonais, trégorrois (KLT = Kerne, Leon, Treger en breton), qui partagent de nombreux traits commun, alors que le vannetais fait bande à part. À la consonne finale /z/ du KLT (Breiz « Bretagne ») correspond la consonne /h/ en vannetais (Breih ). Cela explique le logo BZH sur les voitures.
Une autre spécificité du vannetais : les mots sont accentués sur la dernière syllabe, alors qu'ils le sont sur l'avant-dernière en KLT.
- Un point de grammaire
Mais toutes les variétés de breton partagent surtout une caractéristique qui se trouve dans toutes les langues celtiques : le phénomène dit de la mutation consonantique, qui complique considérablement la recherche d'un mot dans un dictionnaire de breton.
En raison des configurations anciennes du breton, qui ont laissé des traces dans la langue d'aujourd'hui, certaines consonnes d'un même « mot » peuvent changer de forme selon le mot qui précède. Plus exactement cela dépend de la forme ancienne qu'avait ce mot, et de sa classe grammaticale, et non pas de sa forme actuelle.
Ainsi, le mot désignant la « tête » peut se manifester sous 3 formes différentes : penn, benn, ou fenn selon que le mot précédent est l'adjectif possessif « votre », qui entraîne la consonne /p/ (penn), l'adjectif possessif « ta », qui nécessite /b/ (benn), ou l'adjectif possessif « leur », qui exige /f/ (fenn). Le même phénomène se retrouve pour le nom de la « maison », qui pourra être ti, di ou zi selon les contextes, mais seule la forme ti figure comme entrée du dictionnaire.
Voilà de quoi exercer les talents des détectives amateurs, qui seront rassurés en apprenant que seules les 7 consonnes (p,t,k, b,d,g, et m) sont soumises à ce phénomène de mutation !
- Le lexique du breton
Les origines du lexique du breton sont en majorité celtiques :
koad « bois », menez « montagne », aval « pomme », marv « mort ». Mais il présente aussi des formes empruntées au latin :
diaoul « diable », cador « chaise », skol « école ».
C'est à partir du XIIe siècle que commencent à pénétrer des mots empruntés au français:
- soudard « militaire »
- gweture « voiture »,
- person « recteur, curé »
- dous « doux, sucré », avec, comme on le voit, des évolutions sémantiques parfois inattendues.
Le breton est donc la seule langue celtique de France, alors que les langues germaniques y sont plus nombreuses. La prochaine émission sera consacrée à l'une d'entre elles : le flamand.
Henriette Walter, linguiste renommée, est professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne (Rennes) et directrice du laboratoire de phonologie à l’école pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Henriette Walter est reconnue comme l’une des grandes spécialistes internationales de la phonologie, parle couramment six langues et en « connaît » plusieurs dizaines d’autres. Elle a rédigé des ouvrages de linguistique très spécialisés aussi bien que des ouvrages de vulgarisation.
Bibliographie sélective d’Henriette Walter :
- L’aventure des langues en occident (Robert Laffont)
- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Prix Louis Pauwels 1997)
- Le Français dans tous les sens (distingué du Grand Prix de l’Académie française en 1988)
- Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais,
- L’aventure des langues en Occident (prix spécial de la Société des gens de lettres et grand prix des lectrices de Elle, Robert Laffont, 1994)
- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (prix Louis Pauwels 1997, Robert Laffont)
- Honni soit qui mal y pense (Robert Laffont, 2001)
- Arabesques (Robert Laffont, 2006)
En savoir plus:
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- Canal Académie vous invite à consulter le site du Hall de la chanson (www.lehall.com), partenaire de cette série d’émissions sur les langues régionales de France.
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