Les langues régionales de France : le flamand, langue germanique du "coin occidental" (5/20)
C’est au flamand de France, d’hier et d’aujourd’hui, qu’est consacrée cette émission. Les invasions germaniques ont non seulement laissé des traces importantes dans le lexique de la langue française - que l’on peut, de ce fait, qualifier comme la plus germanique des langues romanes - mais elles ont aussi laissé, au nord et à l’est de la France, des langues encore parlées de nos jours : le flamand, le francique lorrain et l’alsacien, qui appartiennent toutes trois au groupe des langues germaniques de l’Ouest.
- Un peu d'histoire
Tandis que des populations germaniques (Angles, Saxons, Jutes) envahissaient le sud de l'Angleterre vers le milieu du Ve siècle de notre ère, d'autres tribus se maintenaient sur le continent, mais on a du mal à suivre leurs déplacements, qui ont été tels qu'on ne peut pas attribuer avec précision à l'une d'entre elles l'origine des langues germaniques actuelles ; d'autant plus que la puissance des Francs s'était accrue considérablement à partir du Ve siècle et les avait toutes dominées.
Mais une division s'était déjà établie, sur le plan linguistique, entre le germanique du nord de l'Europe, où s'était développé le bas-allemand, plus conservateur, et le sud, où des innovations s'étaient manifestées dans les variétés du haut-allemand.
C'est au bas-allemand que remonte le flamand de France. Il était parlé à l'origine par des populations germaniques installées dans la région, probablement dès le 2e siècle avant notre ère, avant même l'occupation romaine, et en tout cas certainement au IVe siècle.
Il subsiste encore en France dans une petite région du département du Nord, après avoir connu une expansion bien plus considérable jusque vers le XIIIe siècle. La coexistence actuelle, pour certaines villes, de deux noms, par exemple
- Lille et Rijsel,
- Cambrai et Kamerijk,
- Arras et Arrecht,
- Gravelines et Grevelingen,
témoigne encore de cette double présence linguistique ancienne.
Ce flamand occidental se rattache à celui de Belgique et au néerlandais des Pays-Bas, mais il s'en distingue par certains traits archaïques, du fait qu'il s'est trouvé coupé de ses racines depuis le XVIIIe siècle, lorsque la Flandre occidentale a été annexée par la France, en 1713, à la suite du traité d'Utrecht sous le règne de Louis XIV. De ce fait, la langue de ce « coin occidental » n'a pas pu participer aux évolutions linguistiques qui se sont produites en Flandre zélandaise, dans les Pays-Bas, et en Belgique.
- L'extension du flamand autrefois
Alors que cette langue n'occupe plus qu'un territoire vraiment réduit, à l'extrême nord de notre pays, la présence d'un grand nombre de toponymes d'origine germanique permet, une fois encore, d'appuyer l'hypothèse d'une occupation beaucoup plus vaste autrefois. C'est la répartition des très nombreux toponymes en -ghem ou -ghen, (équivalents de -heim « village » en allemand) très loin au sud de Dunkerque, qui permet de l'établir.
- Le flamand aujourd'hui
De nos jours, le flamand a complètement déserté les côtes, et c'est uniquement à la campagne, à l'intérieur des terres, que l'on peut trouver de rares locuteurs de cette langue.
Le lexique en est essentiellement germanique, mais il a subi pendant plusieurs siècles l'influence du latin, puis, plus récemment, celle du français : à côté de mots comme busch « forêt », breken « casser », diepe « profond » ou kopen « acheter », purement germaniques, il y a aussi kaes « fromage » (lat. caseus), strete « rue » (lat. strata via), ou encore puut « puits » (lat. puteus).
On retrouve facilement la forme française dans des mots comme garæge, tizæne, gazette « journal » ou kussen « coussin » ou encore planke « planche »
La forme écrite peut parfois voiler la réalité et prêter à confusion : on ne reconnaît l'apparentement de visch avec Fisch de l'allemand ou fish de l'anglais que si l'on a quelque connaissance des habitudes graphiques de cette langue, où la consonne /f/ s'écrit avec un < v >. On peut alors deviner sans peine que le nom de la viande, vlees, correspond à flesh « chair » en anglais, et que verre « lointain », s'apparente à far en anglais.
On peut même avancer des étymologies hasardeuses, mais il faut rester vigilant car on peut aussi tomber sur des « faux amis ». Le verbe bellen « téléphoner » par exemple semblerait bien être formé sur le nom de son inventeur, Graham Bell, mais il est plus vraisemblablement forgé à partir du substantif bell « clochette, sonnette » (Cf. le français de Belgique, où « téléphoner » se dit sonner)
Le flamand du « coin occidental » est actuellement en danger, alors qu'une autre langue germanique, le francique lorrain, connaît une situation bien meilleure. Nous en parlerons plus longuement dans une prochaine émission.
Henriette Walter, linguiste renommée, est professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne (Rennes) et directrice du laboratoire de phonologie à l’école pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Henriette Walter est reconnue comme l’une des grandes spécialistes internationales de la phonologie, parle couramment six langues et en « connaît » plusieurs dizaines d’autres. Elle a rédigé des ouvrages de linguistique très spécialisés aussi bien que des ouvrages de vulgarisation.
Bibliographie sélective d’Henriette Walter :
- L’aventure des langues en occident (Robert Laffont)
- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Prix Louis Pauwels 1997)
- Le Français dans tous les sens (distingué du Grand Prix de l’Académie française en 1988)
- Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais,
- L’aventure des langues en Occident (prix spécial de la Société des gens de lettres et grand prix des lectrices de Elle, Robert Laffont, 1994)
- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (prix Louis Pauwels 1997, Robert Laffont)
- Honni soit qui mal y pense (Robert Laffont, 2001)
- Arabesques (Robert Laffont, 2006)
En savoir plus:
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