Les langues régionales de France : Le francique lorrain, héritage des Francs (6/20)
Où se parle le francique lorrain ? En Lorraine (plus de la moitié du département de la Moselle) et dans une petite partie du département du Bas-Rhin, l’Alsace dite "bossue" à l’extrême nord-ouest de l’Alsace. Ainsi est constituée ainsi une Lorraine germanophone, qui fait l’objet de cette émission, par opposition à la Lorraine romanophone, qui sera brièvement évoquée, parmi les langues d’origine latine, dans une des prochaines émissions.
- Un peu d'histoire
Cette langue germanique des Francs existe dans la région depuis la chute de l'Empire romain, et la limite linguistique avec les régions dominées par des variétés de langues issues du latin n'a plus bougé depuis l'an 1000.
Les Francs s'y étaient installés à partir du IVe ou du Ve siècle, et leur langue, le francique, issu, comme le flamand, du bas-allemand, a ensuite triomphé devant la langue des habitants, précédemment latinophones.
- Le bas-allemand et le haut-allemand
Quand on dit que le francique lorrain est une variété de bas-allemand, cela ne signifie pas qu'il s'agit d'une langue moins prestigieuse que le haut-allemand ! Au contraire, une langue supra-régionale mixte, une sorte de bas-allemand unifié, avait servi, du XIIIe au XVe siècle, de langue commune, pour les besoins de la Ligue Hanséatique, qui était une sorte d'association économique reliant les grandes villes d'Allemagne du Nord - Hambourg, Brême et Lübeck - à Londres ou à Bruges, ainsi qu'à leurs homologues des pays scandinaves.
Mais à la fin du XVe siècle s'amorcera le déclin économique de la Hanse, et c'est alors que ce bas-allemand perdra son caractère de langue commune au-dessus des dialectes. Au début du XVIe siècle, une nouvelle norme prendra corps, autour de l'Allemagne moyenne, cette fois fondée sur du haut-allemand.
Une précision s'impose donc : en fait, bas-allemand se réfère aux langues parlées dans les plaines du nord du continent européen, et haut-allemand aux régions montagneuses de l'Europe centrale.
- Une histoire bousculée
L'histoire de la Lorraine, partagée entre langues issues du latin et langues germaniques, a connu bien des rebondissements. Bien que la Lorraine ait été rattachée à la France à la mort du dernier Duc de Lorraine, Stanislas Lesczynski en 1766, le bilinguisme lorrain-français a persisté. En 1871, la Lorraine (avec l'Alsace) est annexée à l'Allemagne et restera allemande jusqu'en 1918, date à laquelle, après la germanisation de l'époque précédente, a succédé une francisation entre les deux guerres, elle-même suivie par une nouvelle germanisation de 1940 à 1945, puis par une nouvelle francisation. Contre vents et marées, cette langue d'origine germanique s'est maintenue sans céder complètement à la pression du français, langue de l'Etat.
- Les variétés actuelles
Aujourd'hui, on peut distinguer, du nord au sud :
- au Luxembourg, le francique luxembourgeois, qui se prolonge en France avec le francique de Sierck-les-Bains et de Thionville
- le francique mosellan (régions de Sarrelouis en Allemagne, et de Bouzonville et de Boulay, en France)
- le francique rhénan, généralement nommé platt (Sarrebourg et Palatinat en Allemagne, et, en France, Forbach, Saint-Avold, Sarreguemines, Sarrebourg et Bitche).
- Emprunts au français
Malgré les va-et-vient du XIXe et du XXe siècle, où la région a appartenu successivement à la France, puis à l'Allemagne, puis à nouveau à la France, ce sont les emprunts au français qui ont été majoritaires. Par exemple, en Platt rhénan de Sarreguemines :
- Plafò « plafond »
- Kräjò « crayon »
- Schinjò « chignon »
- Kòfitür « confiture »
- Schòpinjò « champignon »
- Oròsch « orange ».
On les identifie aisément, mais on aura peut-être parfois un peu plus de mal à reconnaître des prénoms dont l'équivalent existe pourtant en français :
- Maja = Marie
- Schann = Jeanne
- Ondon = Antoine
- Hòri = Henri
Enfin, il faudra se méfier des « faux amis » :
- Misär Salat « mâche »
- Kuwert « enveloppe (de lettre) »
- une Formidabel « chopine de bière »
- frèch « effronté »
- magasin « entrepôt »
(C'est le sens qu'avait ce mot dans la langue d'origine, l'arabe)
Le francique lorrain ne se confond pas avec l'alsacien, dont on parle plus en détail dans une autre émission Les langues régionales de France : L’alsacien, souvenir des Alamans (7/20)
Henriette Walter, linguiste renommée, est professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne (Rennes) et directrice du laboratoire de phonologie à l’école pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Henriette Walter est reconnue comme l’une des grandes spécialistes internationales de la phonologie, parle couramment six langues et en « connaît » plusieurs dizaines d’autres. Elle a rédigé des ouvrages de linguistique très spécialisés aussi bien que des ouvrages de vulgarisation.
Bibliographie sélective d’Henriette Walter :
- L’aventure des langues en occident (Robert Laffont)
- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Prix Louis Pauwels 1997)
- Le Français dans tous les sens (distingué du Grand Prix de l’Académie française en 1988)
- Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais,
- L’aventure des langues en Occident (prix spécial de la Société des gens de lettres et grand prix des lectrices de Elle, Robert Laffont, 1994)
- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (prix Louis Pauwels 1997, Robert Laffont)
- Honni soit qui mal y pense (Robert Laffont, 2001)
- Arabesques (Robert Laffont, 2006)
En savoir plus:
- Poursuivez cette série de 20 émissions sur les langues régionales de France, sur le site de Canal Académie.
- Retrouvez Henriette Walter sur Canal Académie.
- Canal Académie vous invite à consulter le site du Hall de la chanson (www.lehall.com), partenaire de cette série d’émissions sur les langues régionales de France.
- Canal Académie vous invite à consulter le site de l'association "Gau un Griis", qui travaille à la valorisation et au développement du francique lorrain.
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->http://www.lehall.com/]