L’Ecole nationale des chartes : bientôt 200 ans au service de l’Histoire et du Patrimoine
Directeur de l’Ecole nationale des chartes depuis 2011 et historien de renom, Jean-Michel Leniaud présente, dans un entretien avec Myriam Lemaire, cette grande Ecole originale. Il évoque ses missions, ses évolutions et les défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée.
Créée en 1821, l’Ecole nationale des chartes a une mission originale au service de l’Histoire et du Patrimoine. Elle forme les futurs conservateurs du patrimoine et des bibliothèques, ainsi que des chercheurs, en leur dispensant un enseignement historiographique de haut niveau.
« Elle a été fondée sur le principe de la grande Ecole, comme l’Ecole Normale Supérieure et l’Ecole Polytechnique, et non pas au sein de l’Université et a été placée immédiatement sous la protection de l’Académie des inscriptions et belles-lettres », rappelle Jean-Michel Leniaud. En effet, à l’origine, ses élèves avaient pour mission de collaborer aux travaux de cette Académie.
« L’Ecole a accompagné le développement de services publics nouveaux dans le domaine des bibliothèques, dans celui des archives et des musées et ses anciens élèves sont devenus progressivement l’essentiel des cadres de ces administrations issues de la Révolution ». Le Directeur souligne que toute l’évolution au 19ème siècle a consisté à accompagner la professionnalisation progressive du métier de conservateur. Le 20ème siècle, surtout à partir de l’entre-deux guerres, a vu l’apparition de débouchés nouveaux dans le domaine universitaire.
Des liens étroits avec les Académies
Evoquant les liens institutionnels privilégiés existant entre l’Ecole nationale des Chartes et les Académies, Jean-Michel Leniaud souligne qu’il s’agit de liens très anciens et « congénitaux » avec l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en raison des spécialités de l’Ecole. Des liens existent aussi avec l’Académie des sciences morales et politiques pour l’histoire moderne et contemporaine.
Notre invité précise que ces deux Académies ont un droit d’avis sur les propositions concernant les candidatures aux chaires de professeurs, faites par le Conseil scientifique de l’Ecole au Président de la République.
Elles sont représentées dans les deux Conseils de l’Etablissement : le Conseil d’administration et le Conseil scientifique.
Deux académiciens de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres sont membres du Conseil d’administration : M. Yves-Marie Bercé et M. André Vauchez.
Parmi les membres du Conseil scientifique, l’on trouve : MM. Jean-Pierre Babelon, Philippe Contamine, Albert Rigaudière, Michel Zink, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et Mme Marianne Bastid-Bruguière, de l’Académie des Sciences morales et politiques.
Mme Mireille Pastoureau, Conservateur général des bibliothèques, directeur conservateur de la Bibliothèque de l’Institut, est membre du Conseil scientifique.
Des formations de haut niveau, un concours sélectif
Jean-Michel Leniaud rappelle dans cette émission les objectifs et débouchés de l’Ecole, ainsi que son statut qui est celui d’un grand établissement public d’enseignement universitaire. Il précise que, dans le cadre du nouveau panorama universitaire permettant de rassembler plusieurs établissements autour d’un projet commun et de développer des synergies, l’Ecole est membre du Pres héSam (Pôle de recherche et d'enseignement supérieur hautes études Sorbonne arts et métiers), avec Paris I Sorbonne et les Arts et Métiers. Elle est aussi membre du Campus Condorcet.
L’Ecole recrute ses élèves chaque année par concours. Deux voies sont possibles : soit les classes préparatoires spéciales existant dans certains lycées, comme Henri IV à Paris, soit la Banque d’épreuves littéraires (BEL) qui permet de passer plusieurs concours. Cette formation est de deux ou trois ans avant l’entrée à l’école.
Les lauréats ont le statut d’élèves fonctionnaires et sont rémunérés car ils exerceront une « mission de service public ».
Au terme d’une scolarité de trois ans et après avoir soutenu une thèse sur une recherche inédite, les élèves obtiennent le diplôme d’archiviste paléographe.
Au cours des trois ans de formation, les élèves bénéficient d’un système de tronc commun et d’enseignements spécialisés en fonction de la carrière qu’ils envisagent de poursuivre.
Le concours d’entrée est très sélectif, souligne Jean-Michel Leniaud, le nombre de places ayant tendance à diminuer au fil des ans : de plus de 40 à la fin des années 1980, le nombre de places est passé à 25 l’an dernier et à 20 cette année, « ce qui pose d’énormes problèmes pour les élèves entrés en classe préparatoire ». Mais d’autres débouchés existent dans la fonction publique territoriale, précise-t-il.
Parallèlement à la formation des élèves fonctionnaires, l’Ecole nationale des Chartes propose des masters et un doctorat dans le cadre des Ecoles doctorales d’histoire des universités de Paris I et Paris IV. « C’est un service complémentaire que nous pouvons rendre en disposant d’une formation de qualité ». Le Directeur précise que l’Ecole forme actuellement une vingtaine d’étudiants en masters, sélectionnés sur dossier et une quinzaine de doctorants.
Recherche et publications à l’heure numérique
L’Ecole nationale des chartes est aussi un établissement moteur dans la recherche historique. Pour son Directeur, « les principaux chercheurs de l’Ecole sont ses élèves », grâce aux 25 thèses soutenues chaque année. Celles-ci font l’objet de publications, sous forme de résumés, les « Positions de thèses ». Certaines sont publiées dans les collections de l’Ecole qui illustrent l’activité de la recherche.
On y trouve aussi les actes des colloques qu’elle organise et des travaux de fond des professeurs, comme par exemple les huit volumes des « Procès-verbaux de l’Académie des beaux-arts », dont l’auteur est Jean-Michel Leniaud.
Cette activité d’édition est ancienne. « Depuis longtemps, l’Ecole a une politique éditoriale significative sur support papier et a commencé à la développer en numérique », souligne le Directeur. Il souhaite que dans les années qui viennent l'Ecole puisse se lancer dans des publications qui soient en même temps sur support papier et sur support numérique.
Comment accéder aux publications de l’Ecole ? Certaines sont accessibles en numérique sur le site Internet de l’Ecole nationale des Chartes, www.enc.sorbonne.fr, qui est en cours de réfection, précise notre invité. Les publications imprimées sont diffusées par les Editions Champion, pour la France, et par la Librairie Droz, pour l’étranger et sont disponibles dans les bonnes librairies spécialisées.
Enfin, Jean-Michel Leniaud signale que le Comité des Travaux historiques et scientifiques, institut rattaché à l’Ecole, remplit une fonction éditoriale depuis la Monarchie de Juillet et édite un catalogue.
La Bibliothèque, un patrimoine à sauvegarder
L’Ecole dispose d’une bibliothèque exceptionnelle, riche de plus de 150 000 ouvrages. Aujourd’hui située, comme l’Ecole, 19 rue de la Sorbonne, elle déménagera en 2015 dans le « quadrilatère Richelieu », non loin de la BnF.
Tous les livres et périodiques sont en libre accès, « ce qui transforme considérablement les méthodes de travail. Vous pouvez faire du butinage et passer d’un rayon à l’autre ». Mais cela n’est possible qu’avec un nombre restreint de lecteurs. Longtemps réservée aux élèves et anciens élèves de l’Ecole, la bibliothèque est désormais ouverte à un public élargi et propose des moyens électroniques.
Que peut-on y trouver ? « Le plus intéressant est un fond qui remonte au 19ème siècle, l’Ecole ayant bénéficié du dépôt légal des grandes publications savantes. L’on trouve aussi des périodiques publiés par des sociétés savantes parisiennes et locales et des tirés à part donnés par des chercheurs ».L’on y trouve le fonds commun dans les domaines des spécialités de l’Ecole, comme l’histoire des langues anciennes, l’histoire de l’art. Il est particulièrement développé dans certaines disciplines, comme la paléographie, l’histoire du droit, l’histoire de l’architecture, en particulier l’architecture médiévale. Ces ouvrages concernent plus particulièrement la France.
Développer le mécénat
Jean-Michel Leniaud explique qu’au 19ème siècle et au début du 20ème siècle, des mécènes ont fait don de collections d’ouvrages souvent anciens, généralement reliés pleine peau et qui, avec le temps, ne se sont pas très bien conservés. Certains sont des exemplaires uniques en France.
Dans la perspective du déménagement qui pose le problème de leur fragilité, des travaux de restauration des reliures ont été entrepris. Le coût de cette opération a été estimé à 200 000 euros ce qui, selon le Directeur, est probablement très en deçà des besoins.
Espérant que les bibliophiles pourraient être intéressés par le sauvetage de ce patrimoine exceptionnel, Jean-Michel Leniaud a lancé un appel au mécénat auprès des particuliers et des entreprises.
Pour plus d’informations, consulter le site : http://sauveznosreliures.enc.sorbonne.fr/
Le Directeur souhaite aussi, grâce au mécénat, développer des bourses pour faciliter les études des étudiants en masters et doctorat, qui doivent payer leurs études, contrairement aux élèves fonctionnaires.
Quels défis pour le 21ème siècle ?
Rappelant que l’Ecole fêtera son bicentenaire en 2021, Jean-Michel Leniaud évoque quatre défis à relever pour cette institution :
- poursuivre la modernisation de l’administration de l’Ecole afin qu’elle soit performante et adaptée au contexte budgétaire ;
- « offrir aux élèves une scolarité réellement adaptée aux besoins des employeurs et qui soit aussi une oasis intellectuelle », en améliorant en permanence le système des études ;
- « relever le défi du numérique », et s’investir dans ce domaine ;
- à plus court terme, réussir le déménagement de l’Ecole et de sa Bibliothèque, rue de Richelieu en 2015, dans les meilleures conditions possibles, afin « qu’on y reste au moins un siècle ! ».
En savoir plus :
Jean-Michel Leniaud dirige l’Ecole nationale des chartes depuis septembre 2011. Il est également président du conseil scientifique de l’Institut national du patrimoine, membre du conseil supérieur des archives ainsi que des collèges régionaux du patrimoine et des sites d’Ile-de-France et de Poitou-Charentes. De 1998 à 2011, il a été membre de la commission nationale des monuments historiques.
Sorti de l’Ecole des chartes en 1976, il est également diplômé de l’Ecole pratique des hautes études, docteur d’Etat en droit et habilité à diriger les recherches en lettres et sciences humaines.
De 1977 à 1990, il a exercé diverses fonctions au ministère de la culture à l’inspection des monuments historiques, dans les services extérieurs et en administration centrale. En 1990, il est nommé directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études dans la section des sciences historiques et philologiques et aussi, en 1996, professeur à l’Ecole nationale des chartes.
Spécialiste d’histoire du patrimoine et d’histoire de l’art des XIXe et XXe siècles, il a publié une trentaine d’ouvrages sur l’architecture, le patrimoine et l’histoire religieuse de l’époque contemporaine. Ses travaux ont obtenu des prix de l’Académie française, de l’Académie des beaux-arts et de l’Académie des sciences morales et politiques. Il est également rédacteur en chef des Livraisons d’histoire de l’architecture.
Il est chevalier de la légion d’honneur, officier du mérite, commandeur des palmes académiques et officier des arts et lettres.
- Sur l’Ecole nationale des chartes : www.enc.sorbonne.fr
19, rue de la Sorbonne, 75005 Paris, tel. : 3 (0)1 55 42 75 00
- Sur l’opération « Sauvez nos reliures » :
- http://www.sauveznosreliures.enc.sorbonne.fr
-* A noter sur vos agendas :
- « Les Mardis de l’Ecole des chartes »: le point sur l’actualité historiographique.
L’Ecole nationale des chartes organise six rencontres pour l’année universitaire 2012-2013 autour d’un livre, de son auteur et du spécialiste du sujet.
Premier rendez-vous : le 23 octobre 2012, à 17 heures, avec Michel Pastoureau.
http://www.enc.sorbonne.fr/sites/default/files/programme-complet.pdf
-*Ecoutez les émissions avec Jean-Michel Leniaud sur Canal Académie :
- L’abbaye de Saint-Denis de la Renaissance à la Révolution française
- L’abbaye de Saint-Denis de 1814 à nos jours