La Bible de Jérusalem, vingt siècles d’art
Comment les maîtres de l’art ont-ils illustré les textes bibliques ? Un somptueux ouvrage en trois volets : La Bible de Jérusalem, vingt siècles d’art, loin de se contenter d’une simple reproduction, offre des notices détaillées sur les artistes. Notre invitée, Isabelle Saint-Martin, spécialiste de l’iconographie chrétienne en Occident de la Renaissance à nos jours, nous explique le caractère exceptionnel de cet ouvrage.
Isabelle Saint-Martin, spécialiste de l’iconographie chrétienne en Occident de la Renaissance à nos jours, actuellement directrice adjointe de l’IESR, l’Institut Européen de Sciences des Religions, explique comment, elle et deux collaborateurs
(Jean-François Colosimo, directeur général de CNRS Editions, enseignant la philosophie et la patrologie à l’Institut Saint-Serge de Paris, et Grégoire Aslanoff, ingénieur en histoire de l’art byzantin au CNRS, spécialiste de l’iconographie chrétienne antique et médiévale) ont été amenés à partager l’aventure de cette édition impressionnante de beauté : La Bible de Jérusalem, vingt siècles d’art. (Editions du Cerf et Réunion des Musées Nationaux)
- Le texte de l’école biblique de Jérusalem, illustré par des œuvres emblématiques, de l’Antiquité à nos jours, de toutes les écoles et styles, assorties de notices détaillées qui les replacent dans leur contexte historique, célèbre cette convergence entre le sacré et le profane, l’écrit et l’image et retrace cette histoire des Écritures.
Pour Canal Académie, Isabelle-Saint Martin se propose de donner quelques exemples. Voici ses descriptions et explications :
Les choix d’illustrations, par la variété des époques et des styles, mettent en évidence l’évolution de ces représentations et la façon dont les artistes interprètent ces récits.
Ainsi par exemple, on voit sur l’une des premières pages la création des astres dans le célèbre décor de la chapelle Sixtine. Michel-Ange met en scène les phases de la création ordonnées par les gestes majestueux et la silhouette vigoureuse d’un créateur à longue barbe blanche. Ce type du « Vieillard vénérable » inspiré de l’Ancien Testament, de la vision de Daniel, prend ici une allure jupitérienne.
Plus loin, dans le livre de l’Exode, deux temps forts de l’histoire de Moïse : sa vocation sur le mont Horeb et le don de la Loi sont réunis sur une pleine page du psautier d’Ingeburge de Danemark (début XIIIe).
Au registre supérieur, Moïse contemple le buisson ardent.
Beaucoup d’éléments seraient à décrire et analyser, mais si on suit le fil d’une représentation du Seigneur, on voit dans le buisson une figure de Christ bénissant avec nimbe cruciforme.
L’enluminure interprète le texte biblique dans une perspective chrétienne en figurant Yahvé sous les traits du Christ.
Ce n’est qu’à partir des Xe et XIe siècles que la représentation du Dieu Père s’est progressivement autonomisée et distinguée. La figure de Moïse se retrouve notamment dans un tableau du XVIIe attribué à Philippe de Champaigne. Moïse est représenté ici à mi-corps avec un grand souci du détail dans le rendu du noble visage ridé et du vêtement d’apparat. Le geste de la main désigne sur les tables de la Loi l’interdit de l’idolâtrie et précise ainsi le statut de l’œuvre. Les rayons de lumière qui émanent de sa tête traduisent visuellement ce que la Vulgate désigne comme des cornes.
La sculpture en donne parfois une perception très réaliste, tout le monde a en tête le célèbre Moïse de Michel-Ange (Tombeau de Jules II, 1513-1516). On a souvent dit qu’il s’agissait d’une mauvaise traduction, mais les chercheurs soulignent aujourd’hui que l’hébreu emploie ici le terme qeren qui, dans un sens archaïque, signifie corne et indique la puissance qui transfigure la face de Moïse, comprise aussi comme son rayonnement.
D’autres exemples pris dans le Nouveau Testament montrent que les choix stylistiques et la composition de l’œuvre ne se réduisent pas à une pure illustration au sens étroit du terme, mais offrent une interprétation particulière de l’épisode.
L’évocation pittoresque de la sainte Famille s’enfuyant sur un âne a souvent inspiré les artistes, mais, dans cette œuvre de jeunesse, Caravage offre une scène de repos, comme un moment suspendu dans le temps, bercé par une musique céleste. L’Ange semble se confondre avec l’arbre à l’imposant feuillage qui divise la scène en deux. Sur la gauche, Joseph attentif tient la partition ; à ses pieds, le baluchon du voyageur. Derrière lui, l’âne occupe tout l’espace. Le sol aride est couvert de cailloux. À droite, dans un geste de tendresse, tête contre tête, la mère et l’enfant baignent dans une lumière dorée. Et du côté du Sauveur, la perspective s’ouvre, apparaissent plan d’eau et plantes grasses, mais aussi les épines à venir.
L’idée qu’à partir du XIXe siècle les sujets religieux s’effaceraient de l’art doit être largement nuancée. Il y a tout au contraire d’importants débats sur le style chrétien idéal ou sur la façon de renouveler la peinture religieuse. C’est dans cette perspective que se place le peintre naturaliste suisse Eugène Burnand. Il applique son attachement à la peinture d’après nature et son vif intérêt pour la physiognomonie et l’étude des caractères des sujets. Ainsi pour Les Disciples courant au sépulcre, il cherche à saisir l’instant où la lumière matinale est la plus vive, afin d’accorder le réalisme atmosphérique à cette aube d’un monde nouveau. Saisies à mi-corps, les deux figures sont tendues vers un horizon hors cadre qui donne sens à la dynamique de la scène.
Les choix iconographiques se prolongent jusqu’aux XXe et XXIe siècles, l’œuvre la plus ancienne est une statuette du bon pasteur (Louvre, IIIe siècle) et la plus récente, la Vanitas (Anne et Patrick Poirier, musée national d’art moderne, 2002).