La gestion des déchets nucléaires en France : une catastophe pour l’avenir ou un espoir ?
Qu’il s’agisse de diminuer notre production d’énergie électrique d’origine nucléaire, ou de conserver notre production telle qu’elle, un enjeu de taille nous attend : le stockage à 500 mètres sous terre de nos déchets de longue durée, actuellement conservés dans des piscines d’entreposage. Un site est actuellement à l’étude dans la Meuse et devrait entrer en chantier à partir de 2016. Les 100 premières années d’exploitation consisteraient en un entreposage de l’ensemble de nos déchets accumulés à ce jour. Une partie pourrait être réexploitée comme combustible alimentant les centrales de quatrième génération. Écoutez les explications de nos deux invités académiciens : Édouard Brézin et Robert Guillaumont.
Les déchets nucléaires en France peuvent être classés en 3 catégories :
- Les déchets principaux issus des centrales nucléaires. Ce sont les déchets de haute activité à vie longue qui résultent du fonctionnement direct du combustible de l’industrie nucléaire et du combustible usé.
- Les déchets liés à la vie des techniciens qui travaillent dans les centrales (gants, combinaisons...)
- Les déchets de faible activité mais de grand volume qui résultent des installations nucléaires arrêtées et des centrales en fin de vie.
Le radiochimiste Robert Guillaumont précise d’emblée : « Tous les déchets issus de l’électronucléaire en France sont des déchets de retraitement. La politique française consiste à retraiter les combustibles usés des centrales nucléaires et de récupérer le plutonium pour refaire du combustible qu’on appelle combustible MOX ».
Les déchets de haute activité à vie longue sont constitués par les produits de fission inhérents à la production d’énergie nucléaire. Cette matière, très radioactive, est vitrifiée et coulée dans des colis. Quant aux déchets de moyenne activité à vie longue « ils sont constitués par les gaines des combustibles c'est-à-dire les enveloppes dans lesquelles se trouvent l’uranium et le plutonium.
Pour vous donner une idée des quantités des déchets produits en 2010, nous avons produit 2700 m3 de déchets de haute activité à vie longue et 41 000 m3 de déchets de moyenne activité à vie longue ».
Le débat du stockage profond des déchets à haute et moyenne activité à vie longue
L’ensemble de ces colis de haute et de moyenne activité à vie longue est actuellement entreposé dans des ateliers à la Hague « un entreposage de quelques décennies avant d’être mis en stockage géologique profond » précise Robert Guillaumont.
Mais il n’existe pas actuellement en France de lieu de stockage des déchets de nos centrales nucléaires. Un sujet délicat qui devrait revenir très prochainement sur le devant de la scène, que l’on diminue notre production d’électricité d’origine nucléaire ou pas. Il faudra bientôt stocker ces colis profondément sous terre. Mais où les stocker et quel protocole suivre ?
Ces questions ne sont pas nouvelles.
« En 1991, rappelle Édouard Brézin, le Parlement s’est penché sur la question. Ne voulant pas trancher sans être éclairé, il a demandé aux organismes publics de travailler pendant 15 ans en donnant l’injonction aux organismes publics, CEA, CNRS, universités publiques, l’ANDRA... d’explorer 3 grandes pistes » et l'éclairer à terme sur :
- l’entreposage (déchets en surface comme aux États-Unis)
- le stockage profond (il n’existe actuellement en France qu’un laboratoire d’étude, à Bure)
- la transmutation (il s’agit transformer des noyaux radioactifs en les bombardant pour les rendre moins actifs : aucune installation n’étant prévue, les chercheurs n’ont pas eu la possibilité de travailler dessus)
En 2006, rendez-vous est pris en 2016 pour une loi de programmation offrant la possibilité d’une gestion des déchets radioactifs en stockage profond. Pour cela, il faut s’assurer au préalable de la stabilité des sols et de leur imperméabilité. L’exemple américain laisse réservé : « Les États-Unis avaient envisagé un site de stockage profond mais les démarches ont été stoppées en 2009 lorsqu’ils se sont rendu compte que la stabilité géologique était insuffisante », note Édouard Brézin.
En France suite aux études menées sur le terrain, Robert Guillaumont se veut rassurant : « nous pensons qu’au-delà de 400 à 500 mètres de profondeur, nous pouvons faire confiance à la géologie de nos sols argileux. On y descendra des colis de stockage avec des enveloppes supplémentaires pour augmenter la sûreté » nous dit-il.
En attendant, les déchets de haute et moyenne activité à vie longue s’entassent petit à petit à la Hague. Et lorsque le site de stockage profond ouvrira ses portes pour enfouir ces colis, il ne faudra pas moins d’une centaine d’années pour entreposer les déchets actuels entreposés... « C’est long, mais pour manipuler ces déchets radioactifs, on ne pourra pas aller plus vite que de descendre 1 à 3 colis par jour » ajoute Robert Guillaumont.
Si l’option du stockage géologique profond est votée en 2016, les opérations devraient débuter vers 2025, du côté de la Meuse.
Second débat : pour ou contre la réversibilité du stockage profond
Outre la question de la construction ou non d’un espace de stockage profond et sa future localisation, les parlementaires auront à trancher sur la réversibilité du stockage : des colis entreposés pourront-ils être remontés à la surface, pour être éventuellement retraités, réexploités comme matière première ? Et si oui, pendant combien d’années ?
« Attention, de la même manière qu’il ne sera pas facile de descendre les colis, il ne sera pas évident de les remonter en surface », met en garde Robert Guillaumont. A contrario « beaucoup pensent que laisser un tel site pendant une centaine d’années sans avoir la possibilité d’y toucher ne devrait pas être autorisé », remarque Édouard Brézin.
De ces déchets ainsi stockés pourra être extrait du plutonium pour le combustible MOX nécessaire aux centrales de qautrième génération dans une centaine d’années. « Actuellement, sur les 1200 tonnes de combustibles utilisés par an, 1000 tonnes sont retraitées », ajoute Édouard Brézin. Le stockage de « déchets » deviendrait un stockage de ressources en devenir.
Mais encore une fois, le système du recyclage a ses limites car « le combustible MOX une fois utilisé ne pourra pas être retraité et devra être entreposé » précise Robert Guillaumont.
Où sont entreposés les déchets radioactifs en France ?
« Il existe deux endroits où l’on entrepose des déchets de faible activité à vie courte : [[Font partie des déchets de faibles activité à vie courte certains déchets issus du fonctionnement des centrales, mais aussi les produits médicaux et les déchets des résidus de traitement de l’uranium militaire.]]
- près de la Hague tout d’abord, mais le site d’une capacité de 1500m3 a fermé ses portes.
- à Soulènes, dans l’Aube (dont l’espace de 1 million de m3 devrait suffire au parc actuel » nous explique Robert Guillaumont.
Par ailleurs, toutes les centrales disposent de piscines d’entreposage.
Pour les déchets de haute et moyenne activité à vie longue, ils sont entreposé à la Hague, en attendant d’être stockés en profondeur un jour...
A l’horizon 2040, les déchets de notre parc nucléaire actuel représenteront « 50 000 colis de déchets de haute activité à vie longue, 180 000 colis de moyenne activité à vie longue et 5500 colis d’assemblage de combustibles usés spéciaux comme les réacteurs de recherche que l’on ne retraite pas », constate Robert Guillaumont.
Alors en plus des études menées sur le stockage géologique profond, Édouard Brézin souhaite que des recherches soient menées sur un autre front : « Espérons que nous pourrons très prochainement faire des études de transmutation (ndlr : permettant de limiter la radioactivité des déchets) qui changeront peut-être la nature-même de l’industrie nucléaire d’aujourd’hui » termine-t-il.
Robert Guillaumont est radiochimiste, professeur honoraire à l’université Paris-Sud 11. Il a travaillé sur les questions liées à la chimie dans le nucléaire et la gestion des déchets radioactifs. Il est membre de membre de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies.
Édouard Brézin est physicien, professeur émérite à l’École normale supérieure. Il a réalisé une partie de sa carrière au CEA. Il est président honoraire de l’Académie des sciences.
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