L’avenir de notre sytème de santé est-il réellement menacé ?
Professionnels de santé et politiques s’accordent sur ce point : il devient urgent de prendre des décisions pour assurer la pérennité du service de santé français qui se veut le plus performant au monde. Mais quelles décisions prendre pour contrôler la croissance des dépenses de santé ? Car le nœud du problème est là. Depuis un déficit record de 24 milliards d’euros en 2010, l’objectif est clair : réaliser des économies avec pour ambition de baisser ce déficit de 40% en 2012. Peut-on dépenser moins et soigner mieux ? Réponses en compagnie de Jean-François Mattei, ancien ministre de la Santé, et Michel Huguier, secrétaire de la Commission « Assurance maladie » à l’Académie nationale de médecine.
Depuis le passage de Simone Veil au ministère de la santé, plus d’une trentaine de plans de sauvetage de la sécurité sociale ont été initiés. « Et à chaque fois, on a diminué les taux de remboursement et augmenté les taux de prélèvement. Je considère que nous sommes arrivés au bout » constate l’ancien ministre de la Santé et académicien de médecine Jean-François Mattei.
Les économies actuelles se basent en partie sur le déremboursement de médicaments à service médical rendu insuffisant (SMR insuffisant), la limitation des séjours à l’hôpital au profit de la chirurgie ambulatoire, la lutte contre les fraudes. Parallèlement, les taxes (sur les alcools, le tabac, les boissons sucrées...) et les cotisations sociales augmentent. Les résultats commencent à se manifester, avec plus 330 millions d’économies entre 2010 et 2011, mais le déficit reste abyssal.
Si chaque mesure est importante, Jean-François Mattei regrette cependant le manque de cohérence d’un système dans son ensemble, dont les mesures provisoires s’accumulent au fur et à mesure des années ; des mesures qui ne suffisent plus aujourd'hui. Pour nos deux invités, il devient urgent de réformer le financement même de notre système de santé : « Au lieu de pointer l’insuffisance de financement, on pointe l’excès des dépenses. Pourtant, les problèmes de déficit de la sécurité sociale sont posés d’une manière d’autant plus aiguë que le chômage s’accroît, occasionne une baisse des cotisations salariales et diminue les sommes au service du système de santé ». Pour Jean-François Mattei, « il faut aller de plus en plus vers une fiscalisation du financement de notre système de santé tout en faisant très attention à ce que ce système de santé reste basé sur la solidarité ».
Une assurance complémentaire à tarif dégressif ?
La solution se trouverait donc selon nos invités dans une répartition des coûts entre l’Etat, qui assurerait au moins la moitié du système de santé, et les personnes elles-mêmes pour une autre moitié, par le biais d'assurances complémentaires-santé. « Il pourrait être instauré un système d’aide à l’accès aux complémentaires qui serait dégressif au fur et à mesure de l’augmentation des revenus » précise Jean-François Mattei, « un système double qui maintiendrait la solidarité et replacerait l’Etat dans ses responsabilités, car pour moi, la santé ne peut pas être financée uniquement par ceux qui travaillent ».
La réforme de la santé, telle que le préconisent le chirurgien Michel Huguier et l'actuel président de la Croix-Rouge Jean-François Mattei, sera loin de plaire à tous.
Trouver de nouvelles recettes, mais aussi réaliser des économies, voici donc tout l’enjeu pour les années à venir. Et du côté des économies, la chasse à la surconsommation est aussi visée. « Les dépenses de soins et de biens médicaux en France sont supérieurs de 1% du PIB par rapport à nos voisins allemands et britanniques. Cela représente 18 milliards par an environ, soit 2% de plus que les Italiens. Et pourtant on ne pas penser que les Français se portent beaucoup mieux que les Allemands, les Italiens et les Anglais. On peut donc gagner en efficience » constate Michel Huguier.
Économies à l'hôpital et humanisme médical font-ils bon ménage ?
La question du financement touche également l’exercice de la médecine, l’organisation des hôpitaux, l’accès aux soins par un maillage cohérent du territoire...
Dans Santé, égalité solidarité sous la direction de Claude Dreux et Jean-François Mattei, les auteurs écrivent : « L’hôpital n’est plus un enfer mais il ne sera pas un paradis ».
La prise en charge du patient à l’hôpital devient de plus en plus difficile, contrariant à la fois les médecins et personnel soignant qui passent de moins en moins temps avec leurs patients, et contrariant les patients eux-mêmes transformés en numéro de chambre. « Je le dis sans polémique aucune : les 35 heures ont été un drame à l’hôpital dans la mesure où ce n’est plus le patient qui est au cœur de l’organisation de l’hôpital, mais le temps de travail des soignants » énonce Jean-François Mattei. Pour Michel Huguier, « on observe un formidable paradoxe avec des avancées considérables dans la médecine mais qui l’ont aussi peu à peu transformée en un bien de consommation courante. Le malade est devenu un usager et le médecin un prestataire de soins. La contrepartie de ces avancées, c’est la déshumanisation progressive de l’exercice médical ».
Donner plus temps aux médecins et aux patients : tout le monde s’accorde sur ce point. Mais quels moyens leur donner dans un contexte d’économie ? Pour Michel Huguier, il est nécessaire que les médecins se concentrent exclusivement sur leur métier premier. Car les hospitaliers passent désormais plus de temps dans les démarches administratives qu’auprès de leurs patients. « Les chefs de pôles (4000 en France) consacrent actuellement 70% de leur temps à de l’administratif ».
Une vision que ne partage pas l’ancien ministre qui a mis en place ces pôles pendant ses fonctions... ! « Je persiste pour ma part à dire que c’est une bonne chose. Pendant 4 ans, le chef de pôle assume des tâches administratives, comptables, financières et d’organisation. Passé ces années, il retourne au chevet des malades. Il est nécessaire d’avoir des médecins responsables de leurs activités cliniques, biologiques, de soins, d’enseignements face à l’administration, pour qu’ils puissent parler au nom d’une communauté ».
Autre point qui prête à polémique : le numerus clausus, tantôt diminué, tantôt revu à la hausse pour corriger le déficit de médecins généralistes dans des zones délaissées. Un faux débat pour Michel Huguier pour qui « augmenter le numerus clausus ne va pas augmenter le nombre de médecins dans les zones péri-urbaines et rurales démédicalisées ». Pour Jean-François Mattei, « il n’y a rien de pire que le « stop and go ». était insuffisant lorsque je suis arrivé au ministère c’est la raison pour laquelle je l’ai remonté progressivement pour aller jusqu’à 7000, ce qui me paraissait être le maximum raisonnable. Mais rien ne changera tant que la liberté d’installation et la liberté de la spécialité ne sera pas suffisamment régulée ».
Des mesures incitatives sont à l’étude comme le non-conventionnement de jeunes médecins qui arriveraient dans des zones déjà largement desservies, ou au contraire augmenter le prix de l’acte si le médecin fait l’effort de s’installer en zone plus isolée. Revient également à l'esprit la possibilité de forcer les jeunes diplômés à exercer pendant 4 à 5 ans obligatoires dans des zones isolées.
Mais pour Michel Huguier, il faut se méfier d’un effet pervers qui guette la profession : si les généralistes sont trop restreints dans l’exercice de leur métier, ils se spécialiseront pour échapper aux mesures, creusant encore un peu plus le déficit du nombre de généralistes en France.
En revanche, « on pourrait faciliter l’ouverture de cabinets secondaires, où un médecin s’engagerait à venir un jour par semaine dans une maison médicale avec quatre autres médecins » ajoute Jean-François Mattei.
Mais là encore, les maisons médicales, (230 aujourd’hui en France) présentent des résultats contrastés. Certaines fonctionnent parfaitement et d’autres pas du tout, ce que reconnaît Jean-François Mattei qui les a mises sur pied.
Jean-François Mattei est ancien ministre de la Santé, actuel président de la Croix-Rouge française, membre de l’Académie nationale de médecine.
Il a dirigé l’ouvrage collectif Santé, égalité solidarité avec Claude Dreux de l'Académie nationale de médecine, aux éditons Spirnger en novembre 2011.
Michel Huguier est chirurgien, membre de l’Académie nationale de médecine, Secrétaire de la Commission « Assurance maladie », ancien conseiller technique de Simone Veil.
En savoir plus :
Propositions pour une réforme de la sécurité sociale, par les membres de l'Académie nationale de médecine (Rapport adopté le 17 mai 2011).
- Santé, égalité solidarité sous la direction de Claude Dreux et Jean-François Mattei, éditions Springer, novembre 2011.