Le pardon et les derniers jours de la vie
Quelle est l’importance de pardonner et d’être pardonné au moment de mourir ? L’anthropologue Danielle Vermeulen livre ici plusieurs visions, celle d’un chemin vers le pardon à donner durant la vie de thérapeutes américains, celle de soignants en soins palliatifs et celle de Maître Kengan, bouddhiste zen. Cette émission fait partie d’une série qui propose de partager les regards croisés d’académiciens et d’invités, historiens, hommes de religion, juristes, anthropologues, qui, chacun dans leur discipline, ont quelque chose à nous dire sur le pardon.
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Danielle Vermeulen, docteur en anthropologie sociale, propose dans cette émission deux aspects du pardon :
I - le pardon durant la vie. Et pour ce faire, elle présente le travail de groupe pratiqué par des thérapeutes américains sur le pardon, peu pratiqué en France.
II - le pardon au moment de la mort. Et pour cela, elle relate plusieurs témoignages qu'elle a recueillis lors de l'accompagnement de personnes en fin de vie ou de leurs famille qu'elle a effectué -et qu'elle effectue encore- ainsi qu'auprès de soignants en unités de soins palliatifs accompagnant des personnes en fin de vie à qui il reste à "être" quand il n'y a plus rien à faire.
I - Les 6 étapes sur le chemin du pardon durant la vie
Depuis une dizaine d'années, des thérapeutes américains tels Suzanne et Sydney Simon, proposent un travail pour aller jusqu'au pardon, mais un travail en groupe (ce que certains thérapeutes français contestent). Le pardon est un cheminement compliqué à l'intérieur de son labyrinthe émotionnel, douloureux. Mais pouvoir pardonner tant que l'on est en vie est évidemment préférable plutôt que d'attendre le tout dernier moment.
- 1 prendre conscience de sa propre souffrance.
- 2 arrêter de se blâmer soi-même
- 3 la troisième étape est la plus difficile : sortir de son rôle de victime. "
- 4 la quatrième étape consiste à exprimer sa colère, à hurler son indignation et sa douleur. Dans les groupes, il arrive que certains ne puissent franchir cette étape, et, ne pouvant la supporter, abandonnent le travail.
- 5 la cinquième phase, celle de la confrontation à l'autre à qui l'on doit pardonner, n'est pas considérée comme essentielle par les Américains (alors que les thérapeutes français, eux, la juge nécessaire quand elle est possible). Elle n'est d'ailleurs pas toujours possible si l'autre en question est déjà décédé.
- 6 l'expression du pardon.
II - Le pardon en fin de vie
Lorsqu'arrivent les derniers moments de la vie, lorsque l'on ne peut plus rien "faire" mais seulement "être", le pardon est le meilleur moyen pour partir en paix. Là, dans ce dernier moment de vie si précieux, justement il reste "à faire" l'essentiel. Malheureusement, dans notre société occidentale, nombreux sont les cas de pardons refusés car il serait nécessaire qu'il y ait dans ces ultimes moments un accompagnement psychologique après des malades et auprès des familles en détresse. Danielle Vermeulen cite ici plusieurs exemples qui lui ont été relatés au cours de ses enquêtes, tant de pardon refusé au mourant par ses proches, que de pardon refusé par le mourant aux autres.
Elle insiste sur un point : il ne s'agit pas de pardonner pour chercher un salut dans une autre vie après la mort (on est là dans le domaine des croyances) ; il s'agit de pardonner pour se nettoyer, s'alléger, se désencombrer et poser un ultime acte de liberté intérieure menant à la libération. Or, tout le monde n'est pas en mesure de le faire.
Le rôle des soignants et des accompagnants bénévoles
Quant aux soignants, au-delà d'une impression d'impuissance, face à ces refus de "chemin de pardon", ils admettent qu'il leur est possible d'ouvrir un espace de parole, d'écoute, envers celui qui meurt comme envers sa famille, un moment favorisant la prise de conscience amenant à la réconciliation. Et ces soignants éprouvent eux-mêmes une véritable souffrance lorsqu'ils doivent admettre que ce moment d'ouverture n'a pas pu se produire et qu'aucune libération n'aura été possible (expérience éprouvée, entre autres, par Marie-Danielle Roulet, infirmière en soins palliatifs).
Un maître du bouddhisme zen
Danielle Vermeulen nous fait alors partager l'expérience d'un maître du bouddhisme zen, Maître Kengan. Lors d'une conférence "Dits sous le cerisier", il a raconté s'être trouvé face à une femme à peu de jours de sa mort (dont il ignorait la croyance). Maître Kengan propose 4 actes à accomplir durant ces moments ultimes de lucidité : il faut repenser sa vie pour :
1- exprimer son pardon
2- exprimer son repentir
3- exprimer son aspiration à l'accomplissement spirituel
4- pratiquer le recueillement "pur et nu".
C'est ainsi qu'avec des paroles que l'autre peut entendre (il ne s'agit pas de faire un discours ni un traité religieux), le maître a invité cette personne très âgée qui lui avait posé abrupto cette question : "Qu'est-ce que ça fait quand on meurt ?" à exprimer toutes les blessures de la vie, tout le ressentiment, tous les chagrins puis à dresser l'inventaire de "tout ce que l'on ne veut pas emporter de l'autre côté". On doit alors dire en toute sincérité "je te pardonne et je me pardonne"... Il faut tout nettoyer pour être soulagé et parvenir à un point où l'on se sent à la fois "purifié et nu".
On note d'évidents points de convergence entre le discours des thérapeutes américains et le discours plus spirituel du maître zen : ils se rejoignent dans le même constat : le pardon mène à la paix intérieure.
Aller plus loin :
- avec Danielle Vermeulen : son livre NDE et expériences mystiques (l'expérience de mort retour, aux éditions Le Temps présent) et son site www.daniellevermeulen.com
- avec le livre de Claire Kebers, formatrice en soins palliatifs, la vie in extremis, mieux comprendre pour mieux accompagner (éditions Lumen Vitae, collection Trajectoires)
- Sydney et Suzanne Simon à découvrir en lisant l'enquête de Sophie Chiche, correspondante aux Etats Unis de la revue Psychologie.
- Maître Kengan