L’humanité trouvera-t-elle encore de quoi se nourrir dans quelques dizaines d’années ?
L’humanité trouvera-t-elle encore de quoi se nourrir dans quelques dizaines d’années ? Cette question est posée en introduction dans le très sérieux rapport de l’Académie des sciences intitulé « Démographie, climat et alimentation mondiale » sorti en février 2011. Car les faits sont là : les surfaces cultivables arrivent à saturation à moins de raser les forêts, la productivité des sols est à son maximum et la population mondiale est estimée à plus de 9 milliards d’ici 2050. Henri Leridon et Michel Griffon abordent dans cette émission les problèmes technologiques, économiques et politiques des années à venir.
_ Spéculation des prix des produits agricoles, plus grande variabilité des saisons occasionnant des pertes importantes, projection démographique revue à la hausse… Tous les signaux sont au rouge pour nous alerter sur le développement des crises alimentaires plus fortes et plus fréquentes. « On observe une course de vitesse entre l’accroissement démographique et son influence sur nos besoins alimentaires » explique Michel Griffon. « Les pays émergents améliorent leur situation économique. Ils souhaitent logiquement consommer plus et notamment de la viande, ce qui accroît aussi la demande en végétaux » poursuit-il.
Or cette expansion de la production a ses limites. Dans les pays occidentalisés, nous arrivons au maximum de nos possibilités en termes d’intensification des cultures. Ailleurs, le risque à prendre est d’étendre les cultures en rasant les forêts. Le dilemme est là : faut-il défricher pour nourrir la population mondiale ou intensifier encore plus les cultures des pays en voie de développement ?
En France nous arrivons au maximum de l’intensification des cultures. « Dans les 50 dernières années, nos techniques ont très bien fonctionné, mais nos excès en produits phytosanitaires, en engrais …ont provoqué des pollutions et atteint les ressources » affirme Michel Griffon.
L’équation est différente d’un pays à un autre. En Amérique latine, il existe encore des possibilités d’extension des surfaces alors qu’en Asie où la population est importante, il faudra accroître les rendements. Par « gagner en surface » il faut comprendre « raser les forêts »…C’est déjà le cas constate Michel Griffon. « Mais ces espaces sont déforestés pour l’élevage ou la culture du maïs ou du soja exportés vers l’Asie pour nourrir les animaux. Il faudra que cela cesse ». Et que ces espaces soient utilisés pour les cultures locales.
Sur les 3,7 milliards d’hectares de forêts dans le monde, une bonne partie sera exploitée prochainement pour les cultures. C’est le cas de la forêt amazonienne. Les forêts d’Afrique seront exploitées intensivement pour le bois, et les forêts d’Asie du sud sont actuellement défrichées pour implanter des palmiers à huile.
Autre phénomène qui se développe : l’achat de terres à d’autres pays, représentant à ce jour 0,2% des terres arables. Pour Henri Leridon le constat est simple : « un certain nombre de pays prévoient des importations toujours croissantes de produits agricoles et prennent les devants en acquérant eux-mêmes des terres dans des régions supposées actuellement peu exploitées ». Mais les populations locales seront-elles associées à la consommation de ces cultures en cas de crise alimentaire ? Les inquiétudes sont grandes.
Côté extension des terres cultivées, les perspectives ne sont pas réjouissantes… Reste alors la possibilité de l’accroissement des rendements ; un accroissement qui pourrait passer par le principe de « l’écologie scientifique » selon les termes employés dans le rapport. Michel Griffon précise : « Cela n’est pas forcément synonyme d’OGM. Il s’agit d’améliorer les contenus génétiques en utilisant le principe de la sélection assistée, beaucoup plus rapide qu’autrefois. Les résultats sont tout aussi intéressants. La voie OGM présente l’intérêt d’être très rapide mais elle n’est pas acceptée dans le continent européen et fait débat à l’échelle internationale ».
La fin de l’agriculture biologique à l’horizon 2050 ?
Dans ce contexte de pression sur les besoins alimentaires, on peut se demander si l’agriculture biologique n’est pas amenée tout bonnement à disparaître, son rendement étant de 40% inférieur aux cultures intensives. Michel Griffon relativise : « l’agriculture biologique n’a pas dit son dernier mot. Elle n’a fait l’objet que de peu de recherches et le peu de travaux qui ont été menés donnent des espoirs d’amélioration ».
Mais un autre terme mêlant à la fois le respect de la nature et l’aspect intensif est mentionné dans le rapport de l’Académie des sciences : « l’agriculture écologiquement intensive ».
« L’intensivité dépend des facteurs de productions qu’on utilise développe Michel Griffon. La culture du riz en Inde est intensive en main d’œuvre par exemple. L’agriculture européenne est intensive en chimie. Peut-on imaginer une agriculture intensive en écologie qui utiliserait au mieux les fonctionnalités des écosystèmes ? On pourrait utiliser des insectes prédateurs des ravageurs dans les cultures, plutôt que d’utiliser des insecticides sur une parcelle. C’était ce que l’on faisait autrefois et que l’on a un peu oublié… »
Autre exemple fourni par notre invité : celui de séquestrer notre carbone dans le sol sous forme organique. « Cela pourrait améliorer la structure des sols, diminuer les besoins de labour donc diminuer les besoins d’énergies et améliorer la capacité de réserve en eau des sols et leur fertilité ». Selon nos deux invités, il existe une trentaine de familles de solutions émanant de l’écologie scientifique qui pourraient être mises à profit pour améliorer les rendements.
Nourrir la population mondiale à l’horizon 2050 : transport en masse de l’alimentation
Le rapport de l’Académie mentionne que techniquement, nous pourrions nourrir les 9,5 milliards d’habitants que nous serons en 2050. Mais pour cela il faudra déplacer des milliers de tonnes de nourriture. « Impossible à mettre en œuvre » nous écrit un lecteur du groupe critique du rapport. Pourtant répond Henri Leridon, on observe qu’en 2050 il y aura des déséquilibres régionaux importants.
La seule façon de les combler sera de transférer l’alimentation d’un continent à un autre. Aujourd’hui, on ne sait pas bien le faire. Demain il faudra que cela fonctionne surtout pour les pays demandeurs que seront l’Afrique et l’Asie.
Et aujourd’hui les extrêmes s’accentuent : on observe un milliard de personnes sous-alimentées et paradoxalement une épidémie d’obésité qui concernerait selon l’OMS 1,3 milliard de personnes. « Il est important de souligner que l’obésité concerne aussi les pays en voie de développement » fait remarquer Henri Leridon. Si au cœur du sujet demeure la surconsommation calorique, on montre aussi du doigt la consommation de viande qui pose problème en matière de production agricole. Le remède est simple : consommer moins de viande dans les pays industrialisés comme le préconise le rapport de l’Académie ainsi que le rapport Agrimonde.
La population est-elle prête à changer ses habitudes ? rien n’est moins sûr. « Actuellement les politiques publiques ont bien peu d’effets sur le comportement des consommateurs parce qu’on touche à la culture populaire » explique Michel Griffon. Mais des efforts peuvent être faits à des échelons intermédiaires entre le pouvoir public et le consommateur remarque Henri Leridon dans le cadre de la restauration collective.
Et que faire pour les pays en voie de développement qui ne sont pas dans la surconsommation calorique ? « La réponse est simple mais très difficile à mettre en œuvre : accroître les moyens de production dans les proportions suffisantes et notamment dans les productions végétales dans les zones périurbaines » répond Michel Griffon.
Le rapport Démographie, climat et alimentation mondiale aborde aussi la problématique de la répartition géographique de la population et les conséquences que cela pourrait entraîner. L’urbanisation aujourd’hui de 50% à l’échelle mondiale pourrait passer à 70% à l’horizon 2050. « Cette forme d’urbanisation n’est pas forcément liée à la question de l’emploi nous dit Henri Leridon ; il s’agit plus d’une question de survie. « Ceci pose des problèmes de logement, de conditions sanitaires, mais aussi d’alimentation, même si les villes sont le plus souvent côtières et que le poisson reste une ressource importante. Mais la vente de ces produits accroît encore plus le poids des marchés économiques que l’on vient de décrire comme très fluctuants. Les conséquences sur le plan de l’organisation de l’alimentation seront fortes » assure le démographe.
Quand l’économie s’en mêle.
De la quantité des réserves de céréales dépendent les prix ; et des prix dépendent l’accès aux produits alimentaires de la population mondiale. Les conclusions du rapport sont sur le plan économique assez claires. Pour les auteurs, il faut libéraliser le commerce mondial. Michel Griffon développe : « L’ensemble de l’Asie va importer des aliments de même que le Moyen-Orient et le Maghreb. Pour cela, il faudra que le marché mondial soit fluide, indépendamment du fait que l’on soit pour ou contre le marché. Mais le contraire de la libéralisation est aussi nécessaire dans la mesure où les agriculteurs doivent produire dans des quantités suffisantes pour leur propre marché local. Or actuellement, il existe une compétition relativement directe entre la consommation locale et les importations ».
Pour Henri Leridon, il est évident qu’il faut éviter toute source de spéculation sur les produits agricoles. Pour autant, le contrôle des prix sur les denrées alimentaires semble une solution trop difficile à tenir. « Il faudrait surtout que des pays comme l’Afrique et l’Asie constituent une sécurité pour les producteurs ».
On sait aussi que les stocks alimentaires mondiaux sont de trois mois seulement. Ne serait-il pas intéressant d’avoir des stocks à plus long terme pour limiter la spéculation ? « C’est la question qui fait débat chez les économistes » répond Henri Leridon. « Mais plus le stockage est long plus les coûts sont importants avec y compris un risque de déperdition progressif ». Henri Leridon pour sa part serait favorable à des stockages un peu plus longs. Cependant Michel Griffon fait remarquer que les économistes fonctionnent sur le principe des flux tendus… « Cette position devrait être révisée si les changements climatiques amènent à de plus fortes variabilités des productions à l’échelle internationale ».
- Michel Griffon est conseiller scientifique de l’agence nationale de la recherche. Ingénieur agronome et économiste Membre de l’académie nationale d’agriculture.
- Henri Leridon est directeur de recherche émérite à l’INED, Institut national d’études démographiques où il a dirigé une unité mixte de recherche Inserm/Ined en épidémiologie, démographie et sciences sociales. Il est correspondant de l’Académie des sciences.
En savoir plus :
- Consultez le rapport de l'Académie des sciences