Le cinéaste Jean-Jacques Annaud, reçu à l’Académie des beaux-arts par Roman Polanski
Le cinéaste Jean-Jacques Annaud est reçu sous la Coupole de l’Institut de France, au sein de l’Académie des beaux-arts, par son confrère Roman Polanski, au fauteuil du cinéaste Gérard Oury décédé en 2006. Canal Académies vous propose d’écouter la retransmission de l’intégralité de cette séance qui s’est déroulée le 28 mars 2012.
Vous entendrez dans cette émission, le discours d’installation de Jean-Jacques Annaud lu par Roman Polanski, son confrère et ami, puis la réponse du nouvel académicien, Jean-Jacques Annaud, rendant hommage à son prédécesseur Gérard Oury, grande figure populaire du cinéma français qui a porté haut les couleurs de l'art de la comédie.
Le jour-même, à l’issue de la cérémonie, Jérôme Seydoux, le président de Pathé lui a remis son épée d’académicien.
Jean-Jacques Annaud, élu au sein de l'Académie depuis 2007 rejoint ainsi en grande cérémonie, les membres de la section « Créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel », composée de Roman Polanski, Jeanne Moreau et Régis Wargnier, en ce moment. La section "cinéma" reste endeuillée par la disparition toute récente de Pierre Schoendoerffer, le 14 mars dernier, dans sa 84e année.
Roman Polanski, élu membre de l’Académie des Beaux-Arts le 11 mars 1998, au fauteuil de Marcel Carné, a rappelé pour commencer son discours, l'incroyable audace du premier film de Jean-Jacques Annaud, La Victoire en chantant qui n'eut aucun succès à sa sortie en France, puis qui remporta un oscar, le tout Hollywwod s'interrogeant : Qui est ce type ? Le film abordait avec insolence la dérive de petits colons français en Afrique que leur élan martial pousse à une guerre contre leurs voisins colons allemands. C'est en 1976 que le cinéaste entend justement parler de ce réalisateur inconnu sur qui se fondent d'insensées rumeurs et qui remporte l'oscar du Meilleur Film Étranger. Roman Polanski est déjà au faîte de la gloire, deux ans après le succès de Chinatown (1974). Une amitié commence. Elle dure encore.
Après ce flash-back personnel, Roman Polanski dresse le parcours de son ami, né en 1943 à Draveil. Fils unique choyé, lorsqu'il annonce qu'il veut faire du cinéma, à l'âge de huit ans, personne ne le contredit au sein de sa famille. Sa mère prit, quelque années plus tard, rendez-vous avec le directeur de l'Idhec qui conseille alors au jeune garçon, de faire l'école de Vaugirard (devenue l'école Louis Lumière) et une licence de lettres, avant d'intégrer l'Idhec.
Après des études brillantes et ayant suivi à la lettre ces conseils, il décroche un poste de réalisateur chez le pionnier du cinéma publicitaire Jean Mineur. La publicité va devenir ton autre école rappelle Roman Polanski, pour 10 ans. Tu réalises des comédies de 90 secondes, tu t’essaies au spectaculaire, tu expérimentes. Cinq cents pubs à ton actif ! Mais Jean-Jacques Annaud est déterminé à faire du "grand cinéma". Son expérience de coopérant au Cameroun et sa fascination pour l'Afrique vont l'aider à réaliser ce rêve : Il aura fallu dix ans pour que ta « Victoire »… sorte sur les écrans. Rien que pour cela, mon cher Jean-Jacques, bravo ! Et chapeau à tous ceux qui ont ramé avec toi, Claude Berri, Costa-Gavras, Jacques Perrin.
Après la réalisation de son deuxième film Coup de tête avec Patrick Dewaere (1978), il se lance dans la réalisation de La Guerre du feu qui réunit sa passion du cinéma, de l'histoire, de l'archéologie, de la nature, des livres et des cultures extra-européennes. La réalisation de ce film lui apporte une consécration internationale. Écrit avec le scénariste Gérard Brach, ils surmontent les difficultés inventant même un langage pour ce récit en images se déroulant à la préhistoire.
Suivent Le Nom de la Rose (1988) avec Sean Connery d'après le roman d'Umberto Ecco, L'Ours qui adopte le point de vue de l'animal, L'Amant (1992) d'après le roman autobiographique de Marguerite Duras. Il se lance en 1996 dans la réalisation du premier moyen-métrage utilisant le procédé en relief IMAX 3D : Les Ailes du courage qui racontent l'aventure du pilote Henri Guillaumet tombé dans la Cordillère des Andes. Avec Sept ans au Tibet, il évoque l'enfance du Dalaï Lama (1996) faisant tourner Brad Pitt. Il revient à l'histoire avec Stalingrad (2001) où il fait tourner Jude Law, passe ensuite à l'histoire de deux tigres jumeaux avec Deux Frères (2004). Ses films les plus récents sont Sa Majesté Minor (2007) et Or Noir (2011).
Roman Polanski termine ainsi son discours :
Extrait :
Jean-Jacques, je ne ferai pas ici la liste de tes prix, trophées, honneurs et autres distinctions, ce serait trop long. Je voudrais pourtant mentionner la plus inattendue de tes décorations, cette glorieuse cicatrice que tu portes à la fesse. Tu es, en effet, une des rares personnes à avoir survécu à l’attaque d’un ours. Le tien était un kodiak, un animal qui pèse neuf cents kilos et qui, dressé, mesure deux mètres quatre-vingts de haut. Il t’est tombé dessus à la fin du tournage de L’Ours. Encore une saute d’humeur de vedette probablement ! Te souvenant fort à propos de ta documentation, tu as fait le mort et tu t’en es tiré avec une blessure en bas du dos. Un ours originaire de l’Utah attaquant un metteur en scène français dans le fin fond du Tyrol oriental, il n’y a qu’à toi que cela pouvait arriver !
« Mais qui est donc ce type ? » À ce stade, nous disposons de quelques réponses. Jean-Jacques Annaud est un globe-trotter, à l’étroit en France, à l’aise au large. Un cinéaste qui a tâté de presque tous les genres mais ne s’est emprisonné dans aucun. Son ambition première ? Echapper au formatage, aux scénarios prévisibles, aux héros sympathiques et inoxydables, à tout ce qu’il appelle l’hygiène globalisée du spectacle. Son aspiration essentielle ? Passer les bornes.
Son œuvre est multiforme, mais on y trouve quelques thèmes récurrents. Pêle-mêle, immersion dans les autres cultures, intérêt pour la communication, qu’elle passe par le langage ou par le geste, réflexion sur l’inné et l’acquis, sur la fraternité à tous les sens du terme. Il est fasciné par l’Histoire avec un grand « H », mais il excelle à la raconter via de petites histoires et des drames intimes. Une idée-force court dans cet ensemble si varié : plaider pour la tolérance. Cet homme, Mesdames et Messieurs, est un idéaliste.
C’est aussi un de ces artistes qui se forgent des univers. « En tout homme », prétendait Nietzsche, « il y a un enfant qui veut jouer. » Mon cher Jean-Jacques, tu es cet enfant joueur. Au fond, je ne te connais qu’un désir : rêver sans entraves ! En cela, tu nous ressembles et ta place est dans cette maison. Bienvenue donc parmi nous.
Nous serons heureux de t’entendre évoquer notre cher Gérard Oury.
Jean-Jacques Annaud a rendu un très bel hommage à l'œuvre de Gérard Oury dont on se demande qui pourrait ne pas rire à ses films qui conquièrent toujours le cœur de ceux qui les voient, génération et milieux sociaux confondus, en France comme ailleurs dans le monde. Comme le réalisateur de La guerre du feu le précise aux personnes qui l'interrogent sur son élection à l'Académie : Être honoré par des académiciens représentant tous les arts et pas seulement le cinéma, pour succéder au fauteuil de Gérard Oury, qui lui-même avait succédé à René Clément, ne se refuse pas!
Parmi les dix-huit films réalisés par ce maître de la comédie, citons Le Corniaud (1965), La Grande Vadrouille (1966), La Folie des grandeurs (1971), Les Aventures de Rabbi Jacob (1973). Quatre films dont Jean-Jacques Annaud a souhaité montrer des extraits sous la Coupole de l'Institut de France. Quatre scènes devenues classiques, parmi les milliers d’images spectaculaires dans l’œuvre d’Oury, des centaines et des centaines de gags inoubliables et de répliques irrésistibles. J’ai choisi quatre courts segments, subjectivement, parmi mes préférées à moi, dans ses films préférés à lui : "L'accident", "le bain turc", "l'or", "la danse".
Jeune cinéaste, Jean-Jacques Annaud a eu la chance de le rencontrer pour la première fois au Festival d'Avoriaz en 1982 et garde de cette rencontre, le souvenir de sa délicieuse courtoisie et de Michèle Morgan, à ses côtés : Je regarde la silhouette élégante de cette légende du cinéma s’éloigner dans la neige, face au soleil, au bras de cette autre légende qu’est Michèle Morgan, vêtue en blanc comme lui, rayonnante.
Le nouvel académicien a évoqué la vie de "ces deux légendes" qui ont formé l'un des couples les plus célèbres de la capitale.
Jeune pensionnaire de la Comédie française et déjà consacré, Gérard Oury fut interdit d’activité par le gouvernement de Vichy parce qu'il était juif. Petit-fils de rabbin, élevé dans la laïcité la plus totale, des années plus tard libre de faire le cinéma qu'il entendait défendre, en 1973, il a offert au public l'une des plus célèbres comédies du cinéma français : Les aventures de Rabbi Jacob. Louis de Funès y incarne un homme d'affaires raciste poursuivi par des terroristes arabes, conduit à se déguiser en rabbin pour échapper à ses poursuivants.
Entre le succès immédiat du film en 1973 et son retour en France après la Seconde Guerre mondiale, avant de devenir un grand cinéaste populaire, Gérard Oury a enchaîné les petits rôles dont l'un l'a justement conduit dans les bras de Michèle Morgan. Jean-Jacques Annaud, raconte (il ne manque que la pellicule) la rencontre de Gérard Oury et de Michèle Morgan sur le plateau de La Belle que voilà en 1949, où le jeune comédien est censé incarné une brute :
Extrait du discours de Jean-Jacques Annaud :
Le 16 décembre 1949 à 12 heures, Gérard Oury tourne la scène de l’ascenseur.
« La brute profite de l’étroitesse de la cabine pour, je cite, proposer la botte à la belle, et lui coller un patin sans ambages ».
Gérard répète la scène avec la doublure.
Morgan paraît
.
Moteur.
Gérard saisit Morgan par la taille, l’embrasse. « Elle te plaît pas Michèle ? » gueule Le Chanois qui veut du réalisme.
Deuxième prise.
Il l’embrasse comme s’il l’adorait.
« Tu ne joues pas Roméo, mais la Brute ».
Prise 3.
Il l’étreint comme un fauve en rut, l’écrase contre sa poitrine. « Parfait, on tire la 3 ».
Morgan se glisse hors du décor sans un mot, sans un regard.
Dans l’ascenseur flotte encore son parfum. Gérard y demeure quelques instants, le temps qu’il s’évapore.
Il ne s’évaporera plus.
Pour Michèle, c’est décidé, il veut devenir metteur en scène, faire un film et l’éblouir.
Pour Jean-Jacques Annaud : La marque de Gérard Oury, c'est la comédie à grand spectacle, le rire en cinémascope, c'est la fusion du gag et du grandiose. Son style, c'est l'exubérance de la gaîté dans le raffinement des images, l'allégresse de la farce dans le faste des décors et des paysages, la joie dans le luxe des costumes.
Danièle Thompson, scénariste, dialoguiste, réalisatrice et écrivain, la fille de Gérard Oury et de l'actrice Jacqueline Roman, était présente avec sa famille pour écouter l'hommage rendu à son père par Jean-Jacques Annaud.
Le 28 mars, à l'issue de la séance sous la Coupole, Jean-Jacques Annaud a reçu à l'Institut de France, son épée d'académicien des mains de Jérôme Seydoux, président de Pathé. L'épée a été dessinée par Philippe Druillet, l'auteur de la magnifique affiche de La Guerre du feu. L'objet a été conçu et créé par la manufacture de Baccarat. Elle est ornée d'un œil, ou d'un objectif de caméra, qui s'ouvre au monde. Le cinéaste a fait graver sur la lame, le Connais-toi toi-même de la pensée grecque. La lame est en cristal tout en transparence car pour Jean-Jacques Annaud, l'arme du cinéma, c'est la lumière. Clin d'œil supplémentaire, la lame s'allume d'un vert pâle poli qui rappelle l'habit vert des académiciens.
Pour en savoir plus
- Jean-Jacques Annaud sur le site de l'Académie des beaux-arts
- Roman Polanski sur le site de l'Académie des beaux-arts
- Gérard Oury sur le site de l'Académie des beaux-arts
- Site officiel de Jean-Jacques Annaud