Le cinéaste Régis Wargnier, reçu à l’Académie des beaux-arts sous les projecteurs
Le cinéaste Régis Wargnier est reçu sous la Coupole, au sein de l’Académie des beaux-arts par Marc Ladreit de Lacharrière au fauteuil du cinéaste Henri Verneuil décédé en 2002. Canal Académies vous propose d’écouter la retransmission de cette séance, suivie de la cérémonie de remise de l’épée du nouvel académicien qui s’est déroulée le mercredi 1er février 2012.
Vous entendrez dans cette émission le discours d’installation de Régis Wargnier, lu par Marc Ladreit de Lacharrière, son confrère financier et grand mécène, très attaché au patrimoine culturel de son pays, puis la réponse d’usage du nouvel académicien, Régis Wargnier membre de la section « créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel », rendant hommage à son prédécesseur Henri Verneuil dont l’immense succès populaire a éclipsé l’indéniable talent.
Autour de la figure tutélaire d’Henri Verneuil, un vibrant éloge d’un cinéma français aujourd’hui disparu est ainsi rendu par le nouvel académicien qui rejoint ses confrères Pierre Shoendoerffer, Jeanne Moreau, Jean-Jacques Annaud et Roman Polanski, les membres actuels de la famille du cinéma au sein de l’Académie.
La cérémonie sous la Coupole, a été suivie de la remise de l’épée académique.
Pour la circonstance, le président du comité de l’épée Stéphane Richard, PDG d’Orange-France Télécom, a prononcé une allocution sur le bel objet fabriqué à Phnom Penh arrivé quelques jours plus tôt par avion.
Cette épée d’inspiration asiatique a été remise au cinéaste des mains de Catherine Deneuve qui a tourné dans plusieurs de ses films, Est-Ouest (1997), Indochine (1992).
Sous la Coupole, Marc Ladreit de Lacharrière, a salué le cinéaste et ses qualités de direction et de mise en scène mais aussi le créateur. C'est à l'artiste qui fait revivre dans les films les sacrifiés de l'Histoire, à travers ses interprètes, que s'adressait Marc Ladreit de Lacharrière, évoquant notamment Est-Ouest.
Depuis «Indochine» à travers le regard lumineux de vos interprètes et la musique qui rythme le jour, la nuit, la mer, vous ne posez en définitive qu'une question : d'où vient la grâce ?
Des actrices françaises exceptionnelles qui ont joué pour lui, de la musique qui l'accompagne au quotidien, et d'une part de grâce, qu'il révèle avec son film Man to Man en 2005.
Extraits du discours de Marc Ladreit de Lacharrière
Il y a aussi la grâce qui naît de votre engagement. Celui-ci est une part de vous-même, vous allez le révéler en 2005.
Il y a certes les honneurs et la consécration. Vous en savez quelque chose. Cette année-là, vous faites partie du jury du festival de Cannes, présidé par David Lynch, et auprès de vous figurent aussi bien Sharon Stone que Michelle Yeoh – la future « Lady ». De même, vous vous êtes bien amusé lorsque Brian de Palma vous a fait jouer votre propre rôle de metteur en scène de Sandrine Bonnaire dans son film « Femme fatale ».
Mais si vous vous révélez en 2005, c’est parce que vous traduisez sur la pellicule une forte plaidoirie pour la liberté et la dignité des hommes. C’est un apologue que vous filmez, une vraie réflexion philosophique et morale, en emmenant dans l’Europe de la fin du XIXe siècle un couple de pygmées d’Afrique australe que l’on montre dans les foires comme des bêtes curieuses et qui sont pourtant des hommes doués d’intelligence, de sensibilité, d’imagination à l’égal de ceux qui portent sur eux un regard surpris ou méprisant. Une fable sur la civilisation que vous appelez « Man to man », une leçon d’homme à homme.
Marc Ladreit de Lacharrière connaît l'engagement du cinéaste pour le programme Égalité de chances de la Fondation Culture et Diversité qu'il a fondée créée en 2006. Elle a pour but de favoriser un égal accès des jeunes issus des zones d’éducation prioritaire aux arts et à la culture. Fondateur et Président du groupe FIMALAC (Financière Marc de Lacharrière, cotée en bourse), Président de l’agence de notation financière internationale Fitch Ratings, il a été élu en 2005 dans la section des membres libres au sein de l’Académie. Le dernier film de Régis Wargnier, La Ligne droite (2011) est à ses yeux, à l'image de sa carrière et de son parcours.
Et voici Rachida Brakni avec Cyril Descours. C’était toujours un autre regard, d’autres saisons du cœur.
Ce film, sincère et audacieux, est à l’image de votre carrière, au cours de laquelle vous n’avez jamais cessé de mettre en scène les sentiments. Comme l’a joliment écrit Jean-Pierre Lavoignat, qui siège à vos côtés au jury du Prix de photographie de l’Académie des beaux-arts, dont je suis à l’initiative et auquel vous m’avez fait l’honneur de participer : « au-delà des images, il y a toujours dans vos films quelque chose qui vit, quelque chose qui vibre, un cœur qui cogne ».
Régis Wargnier a commencé son discours par évoquer ce qui aurait pu être, à ses yeux, une scène de cinéma, le jour où le journaliste Achod Malakian, venant d’écrire un papier à propos de la commémoration du génocide arménien de 1915, est né sous le pseudonyme d’Henri Verneuil. A peine adopté, il s’en défait dans l’instant pour mieux défendre l’histoire des Arméniens devant des représentants du consulat de Turquie à Marseille, venus réclamer des comptes à l’auteur de l’article.
Une contradiction, une volte-face signe d’une souffrance indélébile, chez celui que nous connaissons sous le nom d’Henri Verneuil, qui dut fuir, enfant avec ses parents et deux tantes, la ville portuaire de Rodosto, sur les bords de la mer de Marmara, où il était né en 1920 en pleine guerre gréco-turque (1919-1922).
« Si, ça s’est passé comme ça, parce que, en fait, je ne suis pas Henri Verneuil, je m’appelle Achod Malakian, et je sais de quoi je parle ! ».
Du haut de ses treize ans, Achod Malakian avait décidé d’être cinéaste mais pour répondre à l’attente familiale d’une "heureuse situation", il sort ingénieur de l’ École des arts et métiers d’Aix en Provence, pour finalement faire du journalisme et travailler pour le magazine Horizons, où il écrit dans la rubrique cinéma des reportages et des critiques.
Fréquentant les plateaux de cinéma, il ose se lancer dans la réalisation de courts métrages, vingt sept en trois ans. Pour son premier film, un documentaire sur Marseille, Escale au soleil, il demande à Fernandel de prêter sa voix. Il noue dès lors avec lui des liens d'amitié solides. Fernandel tournera pour Henri Verneuil à plusieurs reprises.
Il ne quittera plus le cinéma, suivront des dizaines de courts métrages et 37 films. Il sait s'entourer des meilleurs scénaristes Michel Audiard, Henri Jeanson, Henri Troyat, Joseph Kessel, ces deux derniers devenus plus tard, membres de l'Académie française.
Mais c'est La vache et le Prisonnier (1960), devenu un classique, qui lui apporte succès et reconnaissance et les jalons d'une belle postérité.
Peu sensible au milieu intellectuel, aux critiques de cinéma, il conquiert le milieu hollywoodien, cas rare pour un cinéaste français. La Metro-Goldwyn-Mayer commence son aventure avec lui avec trois films, Le président, Un singe en hiver, Mélodie en sous-sol (Golden-Globe). Jean Gabin y tend la main aux plus jeunes, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Alain Delon comptait parmi les invités de la cérémonie sous la Coupole. D'autres films suivent mais le succès de la Nouvelle vague éclipse les films d'Henri Verneuil. Week-end à Zuydcoote (1963), son plus beau film aux yeux de Régis Wargnier, est tourné aux États-Unis, tiré d'un livre de Robert Merle, inspiré de l'expérience personnelle de l'auteur, prisonnier à Dunkerque en 1940, avec Anthony Quinn. Les Américains acceptent même qu'Henri Verneuil tourne en France Le clan des Siciliens. Le succès est immense. Il incarne un cinéma populaire où les acteurs se rencontrent pour le plus grand plaisir du public. Omar Scharif, présent lui aussi sous la Coupole, joue avec Belmondo dans Le Casse.
Cinaste engagé dans l'histoire de son temps, il fait jouer Yves Montand dans I comme Icare, une réflexion sur la manipulation. Explorant l'art du cinéma au point de passer à des registres très éloignés de ce qui a fait son succès, il réalise Mayrig (1991), un film sur son père et sa mère mais ne rencontre pas le succès. Il rentre à l'Académie des beaux-arts en 2000, élu au fauteuil du peintre Yves Brayer et s'éteint deux ans plus tard.
A la fin du discours, les mots de Régis Wargnier en hommage à son prédécesseur, ont laissé place à un montage sonore d'extraits des films d'Henri Verneuil. C'est accompagné des grandes voix du septième art qu'il a ainsi remercié ses confrères d'avoir accueilli auparavant parmi eux, Henri Verneuil. Les voix magiques des plus grands acteurs, accompagnés des musiques de générique ont alors résonné sous la vénérable Coupole. Régis Wargnier a offert à ses invités et ses confrères un moment d'émotion intense.
Extrait du discours de Régis Wargnier
Pour Henri Verneuil, c’est pareil : le succès a caché son talent.
Son nom évoque l’action, la comédie, l’aventure, ou encore l’épopée.
Mais il a aussi, comme nous venons de le voir, embrassé le vingtième siècle, avec ses monstruosités.
Je n’ai pas cité tous ses films, il en a réalisé trente-sept, mais je sais qu’il aimait beaucoup La vingt-cinquième heure, inspirée du roman de Virgil Georgiou, le parcours d’un paysan roumain de Moldavie, qui traverse la Seconde Guerre mondiale comme victime inconsciente de la société arrivée à la 25e heure, quand les individus ne sont plus considérés en tant que tels, mais traités comme membres de catégories.
Un monde dans lequel l’homme ne peut plus exercer sa liberté en face d'une société déshumanisée.
Il partageait certainement cette vision assombrie de notre condition humaine, c’était la marque indélébile de son enfance, arrachée à sa terre.
La suprême élégance d’Henri Verneuil aura été de nous le cacher, en nous offrant des films, et une œuvre, qui clame le contraire : sa foi dans l’amitié, dans l’amour, dans notre humanité. Dans la vie tout simplement.
Cérémonie de la remise de l'épée
L’épée d’académicien de Régis Wargnier, est inspirée d’un modèle asiatique de la dynastie des Han qui ont offert quatre siècles de paix à la Chine, une idée qui résume cette arme symbolique qui l’accompagnera dorénavant à ses côtés à l’Académie des beaux-arts. Elle est l’œuvre de Dominique Eluere, armurier et ferronnier, installé à Phnom Penh. Le cinéaste a souhaité qu’y figure d’une manière ou d’une autre, les quatre éléments, la terre, l’air, le feu et l’eau, à propos desquels Empédocle disait : l’amitié les rassemble la haine les sépare.
Concrètement, l’air n’est pas symbolisé puisqu’il est partout. La terre est présente dans les bois et les métaux utilisés pour l’épée. Le feu a permis la fabrication de la lame, évidemment trempée plusieurs fois pour sa solidité. L’ eau est présente à travers l’utilisation du galuchat, un cuir de l’océan, issu de la peau de raie ou de requin. Ce cuir utilisé pour le fourreau est recouvert de perles de silice, granuleux et brillant. Par endroits, il est lisse et poncé permettant de jouer sur les différents jeux de lumière. Dès le VIIIe siècle, les Japonais avaient pris l’habitude d’en gainer les fourreaux et les poignées de leurs sabres. Jean-Claude Galuchat était le maître gainier du roi louis XV, réputé pour l’excellence de son art, si bien qu’il donna son nom à cette matière.
Pour faire figurer le symbole de la musique, chère au cœur du cinéaste, celui-ci a choisi d’insérer une clé de sol à l’intérieur de la poignée, en référence au Concerto pour deux violons de Bach qu’il aime tant.
Dominique Eluere dans leurs échanges épistolaires au moment de la fabrication et de la conception de cette épée - portrait du nouvel académicien - a raconté à Régis Wargnier la légende de l’épée qui chante de Prince Vaillant, bien connue des lecteurs de bandes dessinées depuis les années trente. L’épée le rendait invincible mais refusait de sortir quand il l’utilisait pour une cause injuste.
Laqué d’un noir brillant, le fourreau en bois de jaquier protège la lame sur laquelle le cinéaste a choisi cette phrase du philosophe Theodor Adorno Seul celui-là t’aime, auprès duquel tu peux te montrer faible sans provoquer la force.
Elle a reçu une trempe différentielle, qui fait qu’elle présente deux duretés différentes qui se voient sous la forme d’une vague d’aspect nuageux dans l’acier, une ondulation en référence au mouvement de l’image animée qui définit le cinéma, dont la racine utilise le mot grec kino (mouvement).
Catherine Deneuve, l’actrice du mémorable Indochine lui a remis son épée et a prononcé une brève allocution : l’épée d’académicien n’a pas été pensée comme une arme mais comme le portrait de celui qui l’arbore, à la fois souvenir, reflet et espoir. Loin d’annoncer quelques luttes à venir, elle est signe d’existence et par là, impose le respect.
Pour en savoir plus
- Régis Wargnier sur le site de l'Académie des beaux arts
- Marc Ladreit de Lacharrière sur le site de l'Académie des beaux-arts
Les principaux films de Régis Wargnier
- La Femme de ma vie (1986)
- Je suis le Seigneur du Château (1989)
- Indochine (1992),
- Une femme française (1995),
- Lumière et compagnie (1995, court-métrage)
- Est-ouest (1999)
- Cœurs d’athlètes (2003, documentaire)
- Man to Man (2005)
- Pars vite et reviens tard (2007)
- La ligne droite (2011).
Régis Wargnier sur Canal Académie
- Régis Wargnier : entrée dans le scénario de la vie du cinéaste
- La Ligne Droite : le film de Régis Wargnier, membre de l’Académie des beaux-arts