Notice sur la vie et les travaux de Raymond Barre
Succédant à Raymond Barre à l’Académie des sciences morales et politiques, l’historien Georges-Henri Soutou a, comme il est d’usage, lu la notice qu’il a rédigée sur la vie et les travaux de son prédécesseur. Devant ses confrères réunis en séance solennelle le lundi 12 avril 2010, il a dressé le portrait de l’universitaire, de l’économiste et de l’homme politique, en révélant des aspects souvent méconnus d’une personnalité à laquelle les Français accordaient une grande confiance.
Dans cette émission, enregistrée en direct le lundi 12 avril 2010, vous entendrez tout d'abord le président de l'Académie des sciences morales et politiques pour l'année 2010, Jean Mesnard, retracer la carrière et la personnalité de son confrère l'historien Georges-Henri Soutou, puis ce dernier lire la notice sur la vie et les travaux de son prédecesseur Raymond Barre.
Le texte ci-dessous n'est qu'un résumé de ce discours dense. Pour avoir accès à l'intégralité des propos et aux détails donnés par l'intervenant, il convient d'écouter l'émission ou de lire le document joint ci-dessous.
Georges-Henri Soutou : historien de la diplomatie européenne contemporaine.
La diplomatie et les relations internationales constituent la spécificité historique de G.H. Soutou. Son père occupant un poste clé au Quai d'Orsay comme Secrétaire général, c'est dès sa jeunesse que Georges-Henri Soutou fut initié aux questions diplomatiques. À Bonn où il fut détaché à l'ambassade, de 1969 à 1971, il entreprit d'approfondir l'Histoire de l'Allemagne. Puis en 1985, il passa sa thèse sous la direction de Jean-Baptiste Duroselle sur la Première Guerre mondiale (parue chez Fayard sous le titre "L'or et le sang"). Il devint rapidement l'un des spécialistes de la Guerre froide et de l'analyse des rapports « incertains » entre l'Allemagne et la France. Il exerça également une grande expertise dans les questions du nucléaire civil et leurs implications dans les dimensions internationales.
Raymond Barre, homme d'action d'une fermeté granitique dans ses convictions
Au cours de sa carrière, G.H. Soutou eut plusieurs fois l'occasion de rencontrer Raymond Barre, ainsi qu'il l'explique dès les premières phrases de cette notice qu'il lui consacre. Il en souligne d'emblée la personnalité attachante : homme pudique, affable, éminement accessible et immensément cultivé, d'une autorité naturelle mais d'une fermeté « granitique » dans ses convictions. Et surtout, homme animé d'un intense souci de l'intérêt général. Il précise aussi deux caractéristiques de la personne : sa totale indépendance d'esprit (il n'appartint jamais à aucun parti politique) et son aptitude à établir, comme l'a souligné son élève Jean-Claude Casanova, des liens entre l'économie, la politique et l'histoire.
Il rappelle qu'il est né, le 12 avril 1924, à Saint-Denis de La Réunion, qu'il quitta son île en 1945 mais sans jamais lui ôter affection ni intérêt. Il a 16 ans en 1940, appelé sous les drapeaux en 1944, il est démobilisé en 1946, et entreprend des études d'économie.
1 - L'économiste et l'universitaire.
Raymond Barre, agrégé de droit et de sciences économiques en 1950, ne fut pas seulement un économiste. Il resta tout sa vie un professeur d'économie fort apprécié de ses étudiants -d'abord à Caen puis à Paris- et un chercheur en ce domaine. Son "Traité d'économie politique" est un manuel toujours en usage, familièrement appelé "le Barre".
Dès cette époque, il participa à un travail de réflexion important et novateur destiné, notamment, à faire sortir la France de sa tradition protectionniste et à l'ouvrir sur l'extérieur.
Georges-Henri Soutou insiste sur la ligne politique qui orienta tous les choix de Raymond Barre : supprimer ce qu'il appelait les « rigidités françaises » : moderniser l'économie française, minimiser l'extension du secteur public, modifier la machinerie gouvernementale... L'homme n'était pas un dogmatique mais il aimait chercher, observer. Pour lui, les questions économiques étaient toujours liées aux questions sociales.
Un séjour en URSS (en 1958) l'avait éclairé sur les dangers d'une économie trop dirigée. Il avait relevé, avec les autres membres de la délégation française, combien un enseignement dominé par l'idéologie donnait une culture pauvre, en économie comme en d'autres disciplines.
2 - l'Européen
Georges-Henri Soutou n'a garde d'oublier le rôle essentiel de Raymond Barre dans la construction de l'Europe, en particulier lorsqu'il fut nommé par De Gaulle Commissaire à Bruxelles, nomination qui n'était point l'effet du hasard car Barre avait parfaitement suivi les questions industrielles liées aux Communautés. Il servit parfaitement l'Europe et la France dans sa manière de gérer la crise avec les Britanniques (il fallait en bloquer l'adhésion) et de limiter la domination du dollar, dans sa façon de représenter le général de Gaulle. Il fut véritablement le précurseur d'une monnaie unique (à l'époque l'Écu), initiant la création d'un espace économique sans frontières.
L'académicien insiste sur la capacité de Raymond Barre à dépasser la seule vision des intérêts français à court terme en faveur d'une vision plus largement européenne. Son discours lors de sa remise d'épée d'académicien ne laisse aucun doute sur la profondeur de sa foi en l'Europe et ses décisions et initiatives montrent à quel point il se sentit toujours très impliqué.
3 - Le Premier Ministre
Le 25 août 1976, Raymond Barre devient Premier Ministre après la démission de Jacques Chirac. Et de 1976 à 1981, il va assurer pleinement ces fonctions de Premier Ministre avec pour objectif la réforme patiente des structures de l'économie française : la stabilité des changes, l'équilibre du commerce extérieur, la réduction du déficit commercial, la renonciation au vieux remède de la dévaluation, l'équilibre budgétaire, la libéralisation des prix et... la suppression de quelques avantages indus. Et l'on peut dire que la période Barre fut pour les Français certes une période de relative austérité, mais surtout celle de la réduction des inégalités dans notre pays, avec de nouvelles mesures pour la formation et l'emploi.
Ces objectifs seront en partie atteints : en 1979 l'industrie française, par exemple voit sa production augmenter de 6 %, les emplois continuent à se développer, mais les deux chocs pétroliers amoindriront évidemment les progressions. Les années 80 paraîtront plus difficiles à ceux qui avaient connu Les Trente Glorieuses.
On ne sait sans doute pas suffisamment combien Raymond Barre fut mêlé de près à l'action extérieure de la France, aux sommets du G7, puis aux questions du nucléaire, aux grands entretiens entre chefs d'État (sans se limiter aux aspects économiques), aux plans soviétiques, aux échanges Est-Ouest, et aux conflits naissants au Moyen-Orient comme en Europe centrale.
G.H. Soutou développe également les liens De Gaulle-Barre et Giscard-Barre, rappellant aussi le fameux débat télévisé face à Mitterrand (en 1977), sa candidature à l'élection présidentielle, son rôle de maire de Lyon jusqu'en 2001...
Raymond Barre, « L'homme qui inspirait confiance », accomplit donc une œuvre considérable. Il avait perçu que le monde allait évoluer de manière inéluctable et brutale vers une économie libérale et de marché, pressentant les crises et le fait que l'Europe serait alors la meilleure manière de les affronter. Pour lui, il n'y avait pour la France "d'autre politique que d'être une nation solide" et de continuer à participer "à la construction pas à pas d'une Union européenne puissante".
Et jusqu'au bout, même devant la maladie, on put reconnaître la cohérence profonde de sa personnalité équilibrant l'homme privé, l'universitaire et l'homme public.
En savoir plus :
Retrouvez en pièce jointe le discours de Georges-Henri Soutou devant l'Académie des sciences morales et politiques.
A lire :
Après la disparition de Raymond Barre, les éditions de Fallois ont publié un ouvrage collectif intitulé "Raymond Barre, un homme singulier dans la politique française", avec plus de 20 contributions et témoignages -dont plusieurs académiciens-. L'ouvrage reprend les actes du colloque consacré à Raymond Barre des 11 et 12 juin 2009. Il a été publié par l'Académie des sciences morales et politiques, avec le soutien de la Fondation nationale des sciences politiques et l'Institut ASPEN France.