Réception de Mgr Claude Dagens à l’Académie française
Le 14 mai 2009, Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, est reçu sous la Coupole de l’Institut de France. Élu le 17 avril 2008 à l’Académie française, au fauteuil n°1 précédemment occupé par René Rémond, il prononce, selon l’usage, l’éloge de son prédécesseur. En réponse, Florence Delay le reçoit par un discours de réception qui retrace l’essentiel de sa vie. Canal Académie vous propose d’écouter la retransmission de cette cérémonie.
Dans l’assistance, on notait, bien sûr, de nombreux ecclésiastiques, tant du clergé régulier que séculier, parmi lesquels trois cardinaux, le cardinal archevêque de Paris, Mgr André Vingt Trois, Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et Mgr Roger Etchegaray, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, ainsi que le nonce apostolique à Paris, Mgr Baldelli.
Si les membres présents des cinq académies avaient revêtu l’habit vert, selon la tradition, Mgr Dagens, lui, portait sa soutane d’évêque. Aucune épée à son côté : ses amis lui ont offert en remplacement une croix tout à fait particulière, dont il explique la symbolique dans son discours (un cœur pour symboliser la charité, un livre pour rappeler l'Evangile). Mgr Dagens, qui a dédié ce moment à ses parents, a qualifié son discours "d'épreuve de vérité", précisant qu'il ne donnait pas une homélie mais faisait acte de mémoire par un discours d'éloge, comme il se doit, de son prédécesseur l'historien René Rémond. Mais aussi par un discours "politique" de haut vol.
Dans cette retransmission intégrale, vous entendrez tout d’abord Mgr Claude Dagens. Puis Madame Florence Delay dont le discours de réception accueillait ce nouveau membre de l’Académie française.
Le discours de Mgr Claude Dagens
Après avoir rappelé quelques uns des grands noms de ses prédécesseurs à ce fauteuil n°1 (du chancelier Séguier à François Furet), Mgr Dagens a concentré ses propos sur la haute figure de René Rémond, l'un des meilleurs connaisseurs de la vie et des idées politiques de la France de ces deux derniers siècles, qui fut un maître en science historique. Il précise d'emblée qu'il ne compte pas s'en tenir à la surface de sa vie mais tenter de saisir la profondeur de l'homme "en allant au cœur autant que possible".
René Rémond avait une conscience vive de son rôle de laïc, membre de l'Eglise catholique romaine en France dont il connaissait parfaitement l'histoire. Il s'était engagé très jeune dans la bataille des idées (déjà en 1938 après Munich, puis à la JEC) et toute sa vie, dans l'enseignement autant que dans ses nombreux engagements, il défendit la liberté de l'esprit. Il croyait dans le partage des intelligences. Il avait un grand souci de la justesse des mots.
L'homme qui écrivit l'Histoire des droites en France n'a jamais publié d'autobiographie, ne livrant guère ses états d'âme. Sa liberté intellectuelle le poussait à toujours comprendre les évolutions en cours, refusant les pensées idéologiques, croyant à l'importance des idées, n'adhérant à une vision de l'Histoire ni marxiste ni déterministe (se détachant en cela des historiens des Annales).
Mgr Dagens précise que l'on trouve grand intérêt à lire et à relire la méditation de René Rémond La règle et le consentement, une forte leçon de politique. Dans les choix qui ont agité le catholicisme au XIXe siècle (et encore au XXe), dans ce pluralisme, René Rémond cherchait surtout à discerner les courants d'idées. "Il fut, dit Mgr Dagens, non un maître à penser mais un maître à discerner", appliquant ce discernement approfondi, notamment à l'Histoire de l'Eglise, ayant beaucoup réfléchi au rôle des papes du XXe siècle (éprouvant une sympathie personnelle pour Paul VI). Mgr Dagens explique alors ces deux courants de l'Eglise, le courant "libéral" et le courant "intransigeant", deux formes de sensibilité catholique dont René Rémond a cherché les raisons culturelles et spirituelles de leur antagonisme.
René Rémond fut un homme de conciliation, c'est ainsi qu'il concevait son rôle et sa vocation intellectuelle au sein de l'Eglise. Mgr Dagens a rappelé son influence éminente dans "La semaine des intellectuels catholiques" et dans le Centre catholique des intellectuels français (CCIF). Preuve de son souci permanent de conserver la présence catholique dans la société française. Mais l'engagement social ne suffit pas. Il ne faut pas négliger la vie des idées (la culture, l'enseignement...) pour laquelle les milieux catholiques ont longtemps eu de la méfiance.
Mgr Dagens a également évoqué les raisons pour lesquelles René Rémond s'est penché sur la vie de Lamenais et sur le cas de Paul Touvier (collaborateur arrêté en 1989, abrité par des catholiques, pour lequel il a composé une commission d'historiens). La question des relations du pouvoir laïc et républicain avec l'Eglise restait au centre de ses interrogations.
Vers la fin de sa vie, René Rémond a porté sa réflexion sur ce que l'on pourrait appeler un nouvel anti-christianisme (lire à ce sujet l'ouvrage de son fils, Bruno Rémond, Vous avez dit catholique ?). Dans l'avenir du christianisme, René Rémond percevait un malaise, celui des réactions identitaires, des formes d'affirmation catholique que son expérience d'historien lui avait appris à bien distinguer...
Et, après avoir évoqué son cher maître, Henri-Irénée Marrou (membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres) et les Pères de l'Eglise des origines, Mgr Dagens a terminé sur cette conclusion : le christianisme aujourd'hui n'est pas rejeté, il est méconnu. Lui se dit prêt à témoigner de la modernité chrétienne pour notre temps.
Le discours de Florence Delay
Faut-il l'appeler Monseigneur, en référence à ses charges pastorales ? faut-il l'appeler Père comme est celui qui réunit ses enfants ? C'est sur cette interrogation, respectueuse et affectueuse, que Florence Delay a commencé son discours de réception pour retracer "le parcours visible et le parcours invisible" de Mgr Dagens, un discours qui lui a permis d'évoquer aussi d'autres figures attachantes, celle du père Ambroise-Marie Carré et celle de Mgr Jean-Marie Lustiger, tous deux de l'Académie française. Elle a d'emblée rassuré le nouvel académicien : "Nous ne vous demanderons jamais de changer votre personnalité, votre caractère, votre liberté !".
Elle a rappelé ses origines girondines et pyrénéennes (trahies son léger accent), son goût pour la marche en montagne et le chant lyrique, son parcours au lycée Montaigne de Bordeaux, à l'Ecole normale supérieure, son agrégation de lettres (avec les cours d'Henri Irénée Marrou qui lui fit aimer l'histoire du christianisme), ses débuts de jeune enseignant, jusqu'à ce qu'il décide un jour de devenir prêtre à l 'âge de 30 ans. C'est à Bordeaux, en la cathédrale Sainte-Eulalie que Claude Dagens fut baptisé, que ses parents se marièrent, qu'il fut ordonné prêtre puis, 17 ans plus tard, qu'il reçut l'ordination épiscopale.
Florence Delay avoue s'être penchée de près sur l'emploi du temps d'un évêque pour mieux comprendre la vie de celui dont elle retrace le parcours et s'être rendue sur place pour mieux percevoir les tâches de ce "veilleur de Dieu" (sens étymologique du mot évêque).
Puis elle annoncé qu'elle allait faire référence à une parole, deux saints et une composition. La parole, c'est celle du Christ dans l'Evangile : "Avance en eau profonde" que l'on peut traduire aussi par "va au large", parole dans laquelle elle discerne la hauteur et la profondeur de la mission de l'évêque. Les deux saints furent François d'Assise et Thérèse de Lisieux. Et la composition, celle de la Lettre des évêques de France dont Claude Dagens a été, en 1996, le concepteur et le rédacteur. Elle a ainsi pu établir un rapprochement avec l'une des grandes figures étudiées par Claude Dagens, le pape du VIIe siècle, Grégoire le Grand "le serviteur des serviteurs de Dieu". Elle a confié à l'assistance son émotion d'avoir pu lire cette thèse d'agrégation dans l'exemplaire original que lui a confié Jacques Fontaine (de l'Académie des inscriptions et belles lettres) qui dirigea la thèse de Claude Dagens.
Et Florence Delay de faire résonner sous la Coupole les prénoms d'une trentaine de Pères de l'Eglise : Athanase, Irénée, Ignace, Cyprien, et tant d'autres, publiés désormais dans la fameuse collection "Sources chrétiennes" (au Cerf) initiée par le père de Lubac (à Lyon dans les années de guerre). Mais, après avoir clamé son admiration pour ces Pères, elle n'a pas manqué de souligner qu'elle leur faisait reproche de leurs propos sur les femmes... en les citant !
Ces deux discours, fort brillants l'un comme l'autre dans des genres différents, furent salués par l'assistance d'applaudissements prolongés et nourris. Le visage de Mgr Dagens, pour qui l'observait tout au long de ces deux heures, était celui d'un homme habité par la Joie...
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En savoir plus:
Pour plus de détails biographiques et bibliographiques sur Mgr Dagens, consulter sa fiche sur le site de l'Académie française
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Références des livres de Réné Rémond cités par Mgr Dagens dans cet éloge :
- Les droites en France, Aubier-Flammarion, 1982
- La règle et le consentement, gouverner une société, Fayard, 1979.
- Lamenais et la démocratie, PUF, 1948
- Paul Touvier et l'Eglise, Fayard, 1992
- Le nouvel antichristianisme, Desclée de Brouwer, 2005
- Vous avez dit Catholique ?, Desclée de Brouwer, 2007
- Le christianisme en accusation, Desclée de Brouwer, 2000
voir aussi:
- Diocèse de Mgr Claude Dagens
- La réponse de Mme Florence Delay au discours de Mgr Claude Dagens