1953-2005 : le début de la « décommunisation »
Directeur de recherche au CNRS, Stéphane Courtois s'interroge sur l'héritage du totalitarisme en Europe entre 1953 et 2005. Peut-on parler d'un déclin de l'exercice totalitaire ou d'une persistance de l'idéologie ? Ces questions se trouvent au cœur de l'ouvrage collectif Le jour se lève, publié sous sa direction après un colloque.
Stéphane Courtois insiste particulièrement sur l'année 1956.
Attentat d'un jeune d'extrême droite contre le président de la République française, croix gammées dans les cimetières juifs, saluts fascistes dans les stades de football, la passion raciste et ultra-nationaliste, la fascination pour la violence, réminiscences des mouvements et régimes totalitaires d'extrême droite semblent s'être emparées d'une fraction de la jeunesse européenne.
Tee-shirts à l'effigie de Che Guevara, de Lénine et même du KGB, défilés russes à la gloire de Staline, montée en puissance du vote trotskyste à l'élection présidentielle française, mobilisation spectaculaire des "nouvelles radicalités" contre le projet de Constitution européenne : les idées qui ont fait la force du mouvement communiste tout au long du XXe siècle semblent connaître une nouvelle jeunesse.
Soixante ans après la défaite du nazisme allemand et du fascisme italien, un demi-siècle après la mort de Staline, la pensée totalitaire et les pratiques qu'elle induit hantent-elles toujours l'Europe ? Pourquoi nos sociétés opposent-elles tant d'obstacles à un travail d'histoire et de mémoire des totalitarismes européens ? Pourquoi la pensée totalitaire, fondée essentiellement sur l'idéologie révolutionnaire et l'utopie, continue-t-elle de trouver bon accueil dans nos sociétés démocratiques ?
C'est à toutes ces questions qu'une équipe de vingt-deux historiens, sociologues et politologues venus de toute l'Europe consacre sa réflexion, dans cet ouvrage qui poursuit une recherche déjà engagée dans Quand tombe la nuit - Origines et émergence des régimes totalitaires en Europe, 1900-1934 (L'Age d'homme, 2002) et Une si longue nuit - L'apogée des régimes totalitaires en Europe, 1935-1953 (Editions du Rocher, 2003).
Bibliographie
Le jour se lève : L'héritage du totalitarisme en Europe, 1953-2005, Ed. du Rocher, 5 janvier 2006
Cet ouvrage dirigé par Stéphane Courtois est le troisième volet d’une réflexion sur le totalitarisme au XXe siècle.
À propos de Stéphane Courtois
Historien spécialiste du communisme, Stéphane Courtois est directeur de recherches au CNRS. Au sein de cette institution, il est également responsable du laboratoire GEODE, le Groupe d'Observatoire et d'Etudes de la Démocratie.
Ancien militant maoïste au début des années 70, il est (avec Annie Kriegel, aujourd'hui décédée) directeur de la revue "Communisme" qui réunit les meilleurs spécialistes de l'historiographie du communisme français. Depuis l'Affaire Jean Moulin - accusé d'être un agent espion - de nombreux départs ont marqué l'histoire de la revue.
En novembre 1997, Stéphane Courtois et ses collaborateurs publient "Le Livre Noir du Communisme" qui dresse un bilan catastrophique de l'application de l'idéologie marxiste à travers le monde. Cet ouvrage a provoqué l'émoi d'une partie de l'intelligentsia de la gauche française.
Depuis la publication de cet ouvrage, Stéphane Courtois a élargi ses recherches à l'ensemble des totalitarismes.
Extrait du texte Charles Kecskeméti dans le livre Célébrations Nationales, ouvrage publié sous l'autorité scientifique du Haut comité des célébrations nationales placé sous la présidence de Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres :
« En octobre 1956, Budapest, renouant avec l'héritage de 1848, devint le symbole de la révolution des peuples contre la dictature totalitaire et des actions d'Europe centrale contre leur asservissement par l'Empire de Staline. Le 9 mai 1945 avait marqué l'apogée de cet Empire. Son déclin commença le 23 octobre 1956 quand 200 000 Hongrois, assemblés devant le parlement, revendiquèrent dignité et liberté.
En l'espace de 72 heures, le pouvoir changea de mains. Villes et villages, universités et usines, armée et police, presse et radio, syndicats et associations, bref, une nation entière se plaça sous l'autorité du gouvernement issu de sa volonté. Les troupes soviétiques intervenues pour «rétablir l'ordre » ne reçurent d'autre appui que celui des oligarques du régime renversé et de leur bras armé, la police politique de sinistre mémoire. Désorientées devant le souffle d'une révolution qui réduisait à néant la bulle propagande glorifiant la Patrie des Travailleurs, elles se retirèrent de Budapest au bout d'une semaine, et la Hongrie commença à rêver d'avenir. Le 4 novembre se déclencha la deuxième offensive soviétique. C'est ce jour-là que les chenilles des chars soviétiques écrasèrent, sur les pavés de Budapest, la liberté hongroise et, avec elle, le mythe de l'avenir communiste radieux.
En se souvenant de ces jours d'octobre, la France de 2006 commémore un événement héritier de 1789. Elle commémore l'espoir, né au bord du Danube de voir l'Europe renaître. Elle se souvient de l'angoisse ressentie pour un pays qui osait croire dans les valeurs européennes et qui refusait de s'agenouiller. Elle se souvient de ceux qui sont tombés dans les combats et de ceux qui furent mis à mort par la tyrannie vengeresse. Le monde apprit, le 17 juin 1958, l'exécution du Minis-Président de la Hongrie révolutionnaire et de ses compagnons. François Mauriac écrivit : « Je crains qu'avec Imre Nagy la liberté des petits peuples de l'Est n'ait été abattue sans espoir de résurrection-du moins à vue humaine... Nul ne peut dire aujourd'hui d'où viendra le salut. »
L'Histoire s'écrit avec des symboles. Le premier monument honorant le supplicié de 1958 fut érigé au Père-Lachaise, en 1988. L'année suivante vint la résurrection dont désespérait Mauriac. Quinze ans plus tard, la Hongrie prit sa place au sein de l'Union Européenne.
En 1956, Budapest chantait la Marseillaise. En 2006, la France s'en souvient. »