Gaston d’Orléans, le frère rebelle de Louis XIII
Fils d’Henri IV, frère de Louis XIII et oncle de Louis XIV, à la fois énigmatique et attachant, Gaston d’Orléans a fasciné autant qu’intrigué ses contemporains. Mais l’histoire l’a quelque peu oublié. Pourtant l’actuelle critique historique voit en Gaston d’Orléans (1608-1660) le meilleur mécène de son temps après les cardinaux... Regard d’ Yves-Marie Bercé, de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, sur ce personnage appelé « Monsieur ».
L’actuelle critique historique voit en Gaston d’Orléans (1608-1660) le meilleur mécène de son temps après les cardinaux–ministres Richelieu et Mazarin et le rôle revendicatif qu’il essaya de jouer à la tête de la noblesse française a été récemment éclairci, sinon justifié : il aurait contribué à retarder d’un demi-siècle l’asservissement de l’aristocratie française à Versailles. Qui fut « Monsieur », cet héritier de trône de France pendant trente ans dont les idées politiques, méconnues, furent remarquables ?
Dans cette émission, Yves-Marie Bercé, de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, rétablit la réalité des faits, qui dément souvent la légende noire. Il cherche à comprendre ce prince de France, non à le justifier à tout prix.
L’existence colorée d’un des derniers princes de la Renaissance qui annonçait parfois, par sa liberté d’opinion et de ton, le siècle des Lumières a fait l’objet de nouvelles recherches historiques. Depuis l’exposition organisée à Blois, en 1960, pour le tricentenaire de la mort de Monsieur, on assiste à son retour : Gaston d’Orléans intéresse, désormais, l’histoire littéraire et politique de la France.
L’historiographie change
Chaque pays a construit une histoire nationale officielle qui est, en grande partie, commémorative. Le genre littéraire qu’on appelle « L’Histoire de France » est une chronique des évolutions de la construction de l’État, dont les héros sont Richelieu et Louis XIV, entre autres. Ces grands personnages sont supposés – historiens monarchistes et jacobins confondus- avoir eu une destinée inévitable, nécessaire à la construction de l’État, donc de la Nation. Par conséquent les opposants éventuels, comme l’a été Gaston d’Orléans, deviennent des boucs émissaires. Ils jouent un mauvais rôle.
Un historien attentif à la vie politique de son pays, se doit d’étudier les diversités des opinions, les attentes, les possibilités qui ne se sont pas concrétisées. Il sera plus fidèle à l’instant étudié s’il essaie d’envisager les hypothèses d’autres destins qui ont tenté de répondre aux aspirations des contemporains. Autrement dit, on ne saurait faire l’histoire de la Fronde comme si de toute nécessité l’État louis-quatorzien devait en surgir.
Enchaîner l’histoire à ses déterminismes revient à en émousser ou appauvrir les significations.
Il faut essayer de comprendre, de reconstituer une époque jusque dans ses futurs inachevés.
La destinée de Gaston d’Orléans nous offre la possibilité de cet exercice.
Trente ans sur les marches du trône
Monsieur fut, en effet, l’héritier présomptif de Louis XIII jusqu’en 1638. L’apparition d’un dauphin, le futur Louis XIV, brisa ses rêves. L’idée de ses droits et ses devoirs d’héritier de la couronne ne l’avait jamais abandonné. Sous son apparente insouciance le duc d’Orléans se préparait au métier de roi. Sa personnalité était tellement différente de celle du roi son frère qu’on pouvait raisonnablement attendre de son éventuel avènement des changements assez profonds dans le style du gouvernement. Il aurait pu imposer une version alternative de l’évolution de l’État. La centralisation absolutiste de Richelieu et Louis XIV aurait pu céder la place à une monarchie mixte. La représentation des corps sociaux (villes, noblesse, gens des campagnes) au sein des assemblées d’États provinciaux ou d’États généraux aurait évité au royaume de supporter la main mise de la monarchie absolue.
Un Hamlet princier au grand coeur
Gaston, duc d’Anjou, fut un jeune homme joyeux et extraverti, indolent, sans volonté, plus cultivé et curieux que son aîné. Les deux frères ne s'aimaient pas beaucoup : discordes et réconciliations se sont multipliées jusqu'à la mort du roi. Louis XIII était jaloux de ce cadet trop brillant, trop aimable et trop aimé. Cependant Monsieur a toujours gardé sa conscience de prince français. Même pendant ses exils -volontaires- en terres étrangères il revenait auprès de son frère occuper la place qui lui revenait quand la position de la France semblait fragilisée. Mécène, grand collectionneur, ami des sciences et des arts comme ses ancêtres Médicis, il tenait du roi gascon, son père, sa bonhomie et sa réputation de coureur de jupons.
Marguerite de Lorraine
Les mariages de ce prince héritier furent des affaires d’État graves et délicates. Il en était toujours ainsi pour les enfants de France, en général, mais le cas de Monsieur fut singulier : Il réussit à s’opposer à la raison d’État par amour pour Marguerite de Lorraine, celle qui deviendra sa seconde épouse. La reine mère, le roi et Richelieu l’obligèrent à épouser, en 1626, Marie de Bourbon-Montpensier, princesse du sang, richement dotée. Il reçut en apanage le duché d’Orléans et il sera par la suite connu sous ce titre. Gaston aurait préféré une alliance étrangère qui lui aurait donné plus de liberté politique et plus de prestige dans les cours étrangères.
Un enfant –la future Grande Mademoiselle- naquit de cette union. Mais le bébé princier coûta la vie à sa mère. Une semaine après la naissance, en juin 1627, Marie de Montpensier expirait au Louvre.
Ce fut lors d'une de ses fuites en Lorraine que Gaston tomba éperdument amoureux de Marguerite de Lorraine, la sœur du duc Charles IV de Lorraine. La cour de France interdit à Monsieur de songer à un mariage avec cette princesse; le duché indépendant lorrain opposé aux visées diplomatiques de Paris était soutenu par l'Espagne.
En janvier 1632, en grand secret, dans une chapelle du prieuré de Saint-Romain, à Nancy, un moine bénédictin unit devant Dieu Gaston de France et Marguerite de Lorraine.
Les vicissitudes matrimoniales du duc et de la duchesse d'Orléans se poursuivirent jusqu'au 6 mai 1643. Louis XIII sur son lit de mort permit à son frère d'envoyer « quérir Madame », qui était à Bruxelles. Gaston avait attendu plus de dix ans l'acte officiel et public de consentement du roi à son mariage.
Les résistances au pouvoir du cardinal de Richelieu
Le duc d'Orléans chercha toujours à se libérer et à libérer le royaume de ce qu'il appelait « l'odieuse persécution du Cardinal ». Il fut le chef reconnu (bien que non déclaré) de l'opposition. Réfugié en Lorraine, il publia en 1631 un manifeste justifiant sa conduite. La politique menée aux frontières n'était pas en cause. Le manifeste dénonçait la tyrannie personnelle de Richelieu accaparant le pouvoir royal pour son profit personnel, constituant sur les deniers publics une fortune considérable. Pour parvenir à ses fins, il opprimait la famille royale, privait les parlements de leur rôle d'équilibre et de remontrance, réduisait le peuple des provinces à une condition misérable : disette, mendicité, mortalité. « Dieu soit loué, mon ennemi n'est plus de ce monde! » s'écria le frère du roi à la nouvelle de la mort du Cardinal, en décembre 1642.
« Je crois que la monarchie va finir »
L'attitude de Gaston d'Orléans fut déterminante pour sa belle-soeur, la mère du jeune roi, dans les jours qui suivirent la mort de Louis XIII. Il demanda -avec le prince de Condé- au Parlement de Paris qu'Anne d'Autriche soit reconnue comme régente pendant la minorité de son fils.
Pendant la Fronde, il fut « un médiateur entre le roi et ses sujets ». Au Conseil du roi, Monsieur joua un rôle primordial. Le programme frondeur édulcoré était son oeuvre ; il lui semblait que la paix civile n'était plus troublée que par la personnalité devenue encombrante de Mazarin.
Les nobles assemblés obtinrent que le duc fût leur porte-parole. Il plaida auprès de la régence pour une convocation des États généraux. Espérance déçue : ni le Parlement, ni la Cour ne souhaitaient réunir les États. Il ne sera plus question de recourir à cette assemblée avant la fin du XVIII°siècle.
Gaston, plus par indolence que par lâcheté, hésita à soutenir jusqu'au bout son opinion. De sombres pressentiments, dont il faisait part à sa fille aînée, l'agitaient en 1655: « Je crois que la monarchie va finir ».
Partagé entre son humanité de coeur, sa faiblesse de caractère, un sens aigu de sa dignité de prince de la couronne et ses tentatives pour dénoncer l'unification absolutiste du royaume, Gaston d'Orléans fut un prince skakespearien.
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