Vincent de Paul : Les galériens à la cour de France
Aventurier, homme de communication, missionnaire, féministe, au chevet des galériens aussi bien que de Louis XIII, ministre du culte de la régente Anne d’Autriche et « Petit Père des plus démunis », Vincent de Paul (1581-1660) fut l’apôtre qui a le plus marqué son époque. Sa carrière extraordinaire de fondateur de mouvements de charité est bien connue grâce aux écrits qu’il a laissés, aux nombreux textes pieux composés immédiatement après sa mort, et à ses œuvres sociales bienfaitrices qui ont traversé les siècles. L’historien moderniste Yves-Marie Bercé, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en dresse un portrait replacé dans l’époque, loin d’une image dévote.
Yves-Marie Bercé, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, poursuit sa série historique sur les grands personnages méconnus du XVIIe siècle en évoquant Vincent de Paul, figure chrétienne exceptionnelle en ce XVIIe -surnommé « Le Siècle des Saints ». Vincent de Paul appartient à une génération riche en vocations variées engagées dans le renouveau catholique qui suit la conclusion du Concile de Trente en 1563. On pourrait évoquer bien d’autres grandes figures de la Contre-Réforme, mais aucune d’entre elles n’a eu autant d’influence en son siècle que celle de Vincent de Paul.
Il ne s’agit pas ici de donner une vision hagiographique de celui qui, plus tard, sera canonisé et qu’on appellera Saint Vincent de Paul. Il s’agit d’envisager Mr Vincent « en son temps », en s’écartant des aspects d’imageries populaires, et confites en dévotion, qui ont illustré souvent ce personnage.
Campagne landaise, études de théologie, prêtrise et… peut-être captivité chez les Barbaresques
Vincent de Paul est né dans le hameau de Ranquines, village de Pouy (près de Dax) qui deviendra en 1828 « Saint Vincent de Paul ».
Son origine n’est pas aussi humble que certains de ses biographes aimaient à le dire pour insister sur « la réussite miraculeuse de ce pauvre petit miséreux, des campagnes reculées, devenu le plus beau fleuron des grands saints accueillis à la cour de France ». Non, sa famille ne connaît pas la misère. Son père est laboureur -il possède, donc, des terres et des troupeaux- et son oncle ecclésiastique, Etienne Depaul, jouit d’une confortable aisance qui lui permet de venir en aide à la famille.
Très tôt Vincent est remarqué pour son intelligence. On l’envoie au Collège à Dax puis à Toulouse à la faculté de théologie où il devient bachelier en théologie. Grade honorable, mais qui ne fait pas de Vincent un grand théologien parmi les hommes d’Église.
Mr de Comet, juge de Pouy et avocat à la cour de Dax, le prend comme précepteur de ses enfants et sera son fidèle et affectueux conseiller pendant de nombreuses années.
En 1600, il est ordonné prêtre avant l’âge normal requis pour la prêtrise (25 ans). Ce détail biographique indique qu’il ne suit pas la carrière d’un simple jeune prêtre gascon et qu’il échappe à la norme, d’autant plus qu’il commence à voyager hors de l’Aquitaine : un séjour à Rome puis à Marseille.
De 1605 à 1607 on perd la trace de Vincent de Paul. Un épisode obscur se situerait pendant ces deux années-là. La tradition veut qu’il ait été capturé sur le bateau du retour de Marseille à Narbonne par des pirates barbaresques puis emporté sur la côte près de Tunis. L’aventure de cette captivité, réelle ou prétendue, est vraisemblable au XVIIe siècle en Méditerranée. On ne saurait rien affirmer de plus.
Bérulle, Clichy La Garenne, les Gondi et Châtillon-les-Dombes
En 1608, Vincent de Paul commence sa carrière parisienne. Il se lie d’amitié avec Pierre de Bérulle (1575-1629), un ecclésiastique proche de Rome auquel Henri IV s'est attaché pour le mettre au service de sa politique.
Vincent de Paul et le futur cardinal de Bérulle, fondateur de l’Oratoire en France et représentant de l’École Française de Spiritualité, n’ont pas la même origine sociale mais qu’importe ! Une rencontre spirituelle forte cimente ces deux figures de la Contre-Réforme.
De 1610 à 1613 Vincent est au service de Marguerite de Navarre, première femme d’Henri IV, puis il prend en charge pendant quelques mois la cure de Clichy La Garenne. Période particulièrement heureuse pour le jeune curé qui se lance dans l’action pastorale et esquisse son œuvre sociale future. En 1613, Bérulle lui ouvre les portes de l'Hôtel des Gondi, en le nommant précepteur des fils de Philippe-Emmanuel et Françoise-Marguerite de Gondi, ménage richissime et pieux, sincèrement et efficacement dévoué à l’Église. Des liens affectifs se tissent entre Vincent de Paul et la famille Gondi, toujours à ses côtés pour soutenir ses œuvres.
D’août à décembre 1617, Bérulle l'envoie en mission à Châtillon-les-Dombes, une bourgade bressane, où il fonde sa première institution d’assistance matérielle et spirituelle auprès des pauvres. Vincent de Paul imagine ses premiers cercles permanents de secours, quasi expérimentaux, disposant de moyens et de fonds modérés, mais animés par la générosité et la bonne volonté des femmes. D’abord modestement, puis avec beaucoup d’efficacité, La Société des Dames de Charité d’une part et La Compagnie des Filles de la Charité d’autre part vont prendre petit à petit leur essor sur tout le territoire du royaume.
Aumônier des galères, Général des Lazaristes et ministre du culte
En 1619 Vincent de Paul est nommé aumônier des galères par la grâce de Philippe-Emmanuel de Gondi, Général des galères du Roi. Louis XIII, lui-même, a signé cette nomination. Pour la première fois Vincent de Paul, connu et respecté par les souverains, est doté d'une charge officielle dans le royaume.
Les années Richelieu ont commencé quand Vincent est autorisé à s'installer avec les prêtres de sa mission au « prieuré de St Lazare » pour secourir villes et campagnes et lutter contre la misère spirituelle répandue dans le royaume par les malheurs du temps (troubles politiques, épidémies et calamités naturelles). Il ne fut pas méconnu en son temps, les plus hautes instances de la société et de l’État le reconnaissent et lui demandent conseil. Ses Conférences du Mardi sont très suivies et c’est un Directeur de Conscience recherché par les femmes de la grande société parisienne. On le voit au chevet de Louis XIII mourant en mai 1643. Anne d'Autriche lui a assigné une place particulière au coeur de l'Etat, de1643 à 1649 environ, en le nommant au Conseil de Conscience.
Apôtre et organisateur passionné, son action rayonne encore
Les charités de Vincent de Paul sont fondées solennellement dans les Eglises mais remises entre les mains des laïques. Rien n'aurait pu être réalisé sans une action concertée, définie par des textes précis. De véritables unités de conversion sont mises en place dans le royaume et même hors des frontières. Ses missions à Madagascar et au Canada attestent du rayonnement mondial de Vincent de Paul.
Cet apôtre si imaginatif avait, aussi, la passion de l’organisation rigoureuse et adaptable selon le contexte du moment. Ce fut sa grande force.
Ses œuvres charitables, ciblées, qui semblaient correspondre à des préoccupations immédiates sont toujours pertinentes - autres siècles et autres lieux confondus.
Homme de cœur et de raison et homme de Dieu, Vincent de Paul eut une compréhension quasiment anthropologique des points d’action à développer selon une dynamique chrétienne.
Autres portraits de la série avec Yves-Marie Bercé :
- Henri IV : rumeurs, complots et légendes
- Le Président Jeannin, conseiller d’Henri IV, de Marie de Médicis, de Louis XIII
Consulter la fiche d'Yves-Marie Bercé sur le site de l'Académie :
http://www.aibl.fr/fr/membres/home.html
Quelques ouvrages :
A signaler aussi : les plus beaux textes du saint sur la charité : "Saint Vincent de paul" par Nicolas Blanc (enseigne la théologie à Rome). Une éditions ARTEGE (11 rue du Bastion St François 66000 Perpignan).