Cousu de fil rouge, plongée dans les archives soviétiques
Une plongée dans les anciennes archives soviétiques ont amené Sophie Coeuré et Rachel Mazuy à sélectionner cent cinquante textes illustrant la relation si particulière qu’entretinrent les intellectuels français avec l’URSS.Cousu de fil Rouge, paru chez CNRS Editions, évoque non seulement les relations littéraires mais aussi, les liens scientifiques, artistiques et de manière générale, culturels. Au cours de cette émission, les deux auteurs, invités de Christophe Dickès, présentent notamment les rapports de plusieurs académiciens avec le monde russe.
" je serai très heureux de travailler à la réalisation de ce film en URSS. Je pense en effet que c'est seulement en URSS que nous pouvons traiter ce film avec une parfaite liberté d'esprit". Ces quelques mots de Jean Renoir sont adressés à un certain Aroseff et datent du mois de mars 1935. Renoir projetait en effet de tourner une interprétation cinématographique du fameux livre de Gide, Les Caves du Vatican...
Ces quelques mots sont assez révélateurs du lien que les milieux intellectuels français ont entretenus avec ce monde soviétique. Par opposition, on pense à un reporter bien connu qui, en janvier 1929, prit le train pour se rendre en Russie, envoyé par son rédacteur en chef au pays des Soviets. Or, au cours de ce voyage, notre reporter observe au coin d’une rue, en restant bien caché, un guide soviétique qui s’adresse à des journalistes anglais de la façon suivante : « Et contrairement aux racontars des pays bourgeois, explique le guide, nos usines marchent à plein rendement !!! » Bien évidemment, il n’en était rien et notre reporter découvre que ces usines ne sont qu’un décor de théâtre, alors que la fumée qui sort des hautes cheminées n’est que le produit d’un feu de paille… Ce reporter est bien connu et il n’est plus à présenter: il s’agit de Tintin.
De la bande dessinée d’Hergé écrite sur le ton de l’humour à la réalité, la frontière est bien mince. La présence des intellectuels en URSS constitue un des révélateurs de la propagande communiste que le pouvoir n'aura de cesse de cultiver. Certains s'y laisseront prendre de bonne foi, d'autres resteront dans le silence. Un "silence contraint", un "silence négocié" ou un "silence pragmatique". Sophie Coeuré et Rachel Mazuy présentent ici ce système de voyage organisé au sens propre où tout fut calculé par une administration entière qui en fit son occupation principale. Elles retracent aussi les actions et les réactions de plusieurs académiciens comme André Malraux, André Mazon (élu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1941) ou Jean Lurçat (élu à l'Académie des beaux-arts en 1964) dans ce monde fondé sur le mensonge, le double jeu où il s'agit de "montrer et dissimuler, parler et se taire, plaire et tout contrôler...".
Les auteurs
- Sophie Coeuré est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 7 Denis Diderot et à l'Ecole normale. Elle a notamment publié La mémoire spoliée. Les archives des Français butin de guerre nazi et soviétique (Payot, 2007); La Grande Lueur à l'Est : les Français et l'Union soviétique, 1917-1939.
- Rachel Mazuy est agrégée et docteur en histoire, diplômée de l'IEP Paris, chargée de conférences à l'IEP Paris et professeur au lycée Honoré-de-Balzac. Auteur de Croire plutôt que voir-Voyages français en Russie soviétique (Odile Jacob).
- Les traductrices, Galina Kuznetsova et Elena Aniskina, sont archivistes aux Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF).