Haussmann, Georges Eugène, préfet-baron de la Seine
« Haussmann c’est Paris ». Préfet de la Seine sous le Second Empire, le baron Haussmann métamorphosa la ville. Mais que sait-on de l’homme ? A l’occasion du bicentenaire de sa naissance, Nicolas Chaudun lui consacre une biographie. On y découvre un Haussmann travailleur, ambitieux, amoureux de l’ordre et dénué de sensibilité artistique. Se pose alors la question de sa responsabilité dans le remodelage parisien. Fut-il vraiment le grand homme visionnaire, instigateur du projet ? A écouter Nicolas Chaudun, il serait plutôt le parfait exécutant d’une marche engagée.
- Né à Paris le 27 mars 1809, Georges Eugène est le fils de Nicolas Valentin Haussmann, protestant, commissaire des guerres et intendant militaire de Napoléon Ier et de Caroline Dentzel, fille d’un pasteur luthérien, aumônier militaire. Georges Eugène fait ses études au collège Henri-IV où il a pour condisciple le duc d’Orléans et Alfred de Musset. Il achève ses études secondaires au lycée Bourbon (aujourd’hui Condorcet) et s’inscrit alors à la faculté de droit de Paris ; il y obtiendra son doctorat en 1831.
L’ascension
- La révolution de Juillet et l’arrivée au pouvoir des Orléans facilitent ses débuts dans la carrière préfectorale. Il est successivement secrétaire général de la préfecture de la Vienne (21 mai 1831) puis sous-préfet d'Yssingeaux, le 15 juin 1832, du Lot-et-Garonne à Nérac le 9 octobre 1832, de l'Ariège le 19 février 1840 puis de la Gironde à Blaye jusqu’à la révolution de 1848. Contre toute attente, la révolution ne freine pas son avancement : il est nommé préfet du Var le 24 janvier 1849, puis de l'Yonne le 15 mai 1850. De passage à Paris, il se dit favorable au coup d’Etat du 2 décembre, ce qui lui vaudra la préfecture de Bordeaux.
Il s’y fait remarquer par l’accueil exceptionnel que la ville de Bordeaux réserve au prince-président en 1852. Dès lors, Haussmann est pressenti par Napoléon III et Persigny pour occuper la préfecture de la Seine. Sa nomination est effective le 22 juin 1853. Il succède ainsi à Jean-Jacques Berger et à Rambuteau.
La transformation de Paris
A l’aube du Second Empire, Paris se présente à peu près sous le même aspect qu'au Moyen Âge : les rues y sont encore sombres, étroites et insalubres. Napoléon III, qui avait séjourné plusieurs années à Londres, avait pour objectif de faire de Paris une ville moderne. Il comptait pour cela s’entourer d’une commission chargée de mettre en forme son projet. Celle-ci est mise en place dès juin 1853. Six mois plus tard, en décembre 1853 elle achève son travail par un rapport précis, accompagné d’une huitaine de plans parfois visionnaires. L’œuvre est considérable. Cet acte, connu sous le nom de commission Siméon, a été occulté des chroniques parisiennes.
Notre invité Nicolas Chaudun est le premier à utiliser ce document. Cette prise en compte l’amène à contester à Haussmann la paternité de la ville haussmannienne ! En d’autres termes, à considérer Haussmann avant tout comme un parfait exécutant.
Pour en revenir aux travaux, l'idée maîtresse est une meilleure circulation de l'air et des hommes, en adéquation avec les théories hygiénistes, héritées des « Lumières », mais aussi en réaction à l'épidémie de choléra de 1832. Un autre objectif, moins net et moins avoué, est de maîtriser d'éventuels soulèvements populaires, en souvenir de ceux de 1830 et 1848.
La première phase du projet prévoit la « grande croisée ». Il s’agit d’ouvrir deux axes, un nord/sud, l’autre est/ouest. Haussmann s’atèle aussitôt à la tâche et applique son goût prononcé de la ligne droite. Pour respecter la rectitude des tracés, il est prêt à amputer des espaces structurants comme le jardin du Luxembourg mais aussi à démolir certains bâtiments comme le marché des Innocents ou l'église Saint-Benoît. De nombreux boulevards et avenues sont ouverts dans la foulée, de la place du Trône à la place de l'Étoile, de la gare de l'Est à l'Observatoire. Haussmann donne également aux Champs-Élysées leur visage actuel.
Le percement de Paris s’accompagne de l’aménagement d’un certain nombre de parcs et jardins : ainsi sont créés, outre de nombreux squares, le parc Montsouris ou encore le parc des Buttes-Chaumont. D'autres espaces déjà existants sont transformés et passent du statut d'espaces verts à celui de hauts lieux voués à la promenade comme les bois de Vincennes et de Boulogne. Des règlements imposent des normes très strictes quant à la hauteur et au style architectural des édifices. L'immeuble de rapport et l'hôtel particulier s'imposent comme modèles de référence. Les immeubles se ressemblent tous : l'esthétique haussmannienne est rationnelle. Il crée en parallèle, avec l'ingénieur Belgrand, des circuits d'adduction d'eau et un réseau moderne d'égouts, puis lance la construction de théâtres (Théâtre de la Ville et Théâtre du Châtelet), ainsi que deux gares (Gare de Lyon et Gare de l'Est).
Honneurs et critiques
Son activité au service de la transformation de Paris permit à Haussmann d'accéder à la fonction de sénateur en 1857, de membre de l'Académie des Beaux-Arts en 1867 et de chevalier de la Légion d'honneur en 1847, puis grand-officier en 1856 et enfin grand-croix.
Son titre de baron a été contesté. Comme il l'explique dans ses Mémoires, il a utilisé ce titre après son élévation au Sénat en 1857, en vertu d'un décret de Napoléon Ier qui accordait ce titre à tous les sénateurs. En réalité, d’un abord agaçant, Haussmann n’a cessé d’être critiqué.
Son œuvre, colossale, a impliqué de nombreux sacrifices. En outre, les méthodes employées sont apparues parfois assez douteuses.
Les nouvelles lois d'expropriation entraîneront plus tard de nombreuses contestations et pousseront à la faillite de nombreux petits propriétaires qui ont vu leurs biens détruits. En parallèle, les nouveaux règlements imposent des constructions d'un niveau de standing élevé. Il en résulte une forte spéculation immobilière qui exclut de facto les classes les moins aisées de la société parisienne.
Une partie de la population manifeste son mécontentement en même temps que son opposition au pouvoir en place. En 1867, le baron Haussmann est interpellé par le député Ernest Picard. Les débats houleux que le personnage suscite au sein du Parlement entraînent un contrôle plus strict des travaux. Jules Ferry rédige la même année une brochure intitulée : Les Comptes fantastiques d'Haussmann. On l'accuse, à tort, d'enrichissement personnel. Trop orgueilleux pour tomber dans ce genre de pièges, il est en fait d’une honnêteté scrupuleuse. Le Baron, qui avait un temps espéré entrer au gouvernement, est destitué de son pouvoir par le cabinet d'Émile Ollivier le 5 janvier 1870, quelques mois avant la chute de Napoléon III. Léon Say lui succède ; il garde à ses côtés Belgrand et Alphand qui poursuivent l'œuvre d'Haussmann.
Après s'être retiré pendant quelques années dans sa propriété à Cestas près de Bordeaux, Haussmann revient brièvement à la vie politique, toujours sous l’étiquette bonapartiste. De 1877 à 1881, il sera député de Corse. 1881 marque son retrait définitif de la vie publique pour se consacrer à la rédaction de ses Mémoires (1890-1891). Le baron Haussmann s’étaient le 11 janvier 1891.
La biographie de Nicolas Chaudun est parue aux Editions Actes Sud, 2009.