Les armures des princes d’Europe au XVIème siècle, des chefs-d’oeuvre d’apparat
Art majeur de la Renaissance, l’art des armures illustre à merveille la culture raffinée de l’époque maniériste. Les armures commandées par les princes de l’époque sont de véritables objets d’apparat qui reflètent à la fois le pouvoir du commanditaire et, par leur beauté et la richesse du travail, son goût pour les arts ainsi que sa culture humaniste. Partons à la découverte, avec Olivier Renaudeau, de cet art du métal et du rôle déterminant de l’école de Fontainebleau qui influença la production des ateliers les plus prestigieux d’Europe.
Jusqu’au milieu du XVIème siècle, l’art des armures est largement dominé par les italiens. Le goût maniériste, imité de Michel Ange et Raphaël, est transposé par les armuriers sur les armures et les harnois pour leur conférer un caractère héroïque. Les maîtres milanais excellent dans cet art où décors, repoussés et ciselés, s’enrichissent de damasquinures pour mieux rappeler les armures mythiques des héros de l’Antiquité.
- On comprend ainsi pourquoi la Cour de France, en particulier le futur Henri II, féru d’armures, passe commande aux maîtres milanais. Au milieu du XVIème siècle, les choses changent. Les artistes français s’approprient peu à peu le registre maniériste italien. On assiste alors à l’émergence d’une école française du maniérisme.
Fontainebleau et l’école du maniérisme en France
- Le chantier de la galerie François Ier du château de Fontainebleau se révèle décisif. En permettant les échanges entre artistes italiens, français et même flamands, il donne naissance à un nouveau répertoire décoratif visible en premier lieu sur la galerie où se déploient scènes à l’antique, figures d’atlantes entourées de cuirs, de rubans, de guirlandes, de trophées... Ce nouveau répertoire décoratif inspire aussitôt l’art du métal et permet, en France, l’émergence d’une école d’armurerie. Le morion de Charles IX conçu par l’orfèvre Pierre Redon vers 1572 en est issu. L’école française se distingue de l’école milanaise par la subtilité de son décor repoussé, capable malgré un très faible relief de suggérer les moindres nuances de modelé ou les gradations de la perspective. Les ateliers français rencontrent vite un grand succès, ils reçoivent les commandes de l’Europe entière. Pourtant, ils demeurent très mal connus faute de poinçons laissés par les maîtres. L’usage voulait en effet que les armuriers restent anonymes, ce qui rend aujourd’hui difficile l’attribution de la plupart des armures réalisées dans les ateliers français.
L’art de l’armurerie française au XVIème siècle
- Jadis carapace défensive, l’armure demeure un symbole de la vocation guerrière du souverain tout en se muant en objet d’apparat, chargé d’inscrire son possesseur dans la suite des temps héroïques. Les décors complexes largement inspirés de la mythologie soulignent alors l’origine fabuleuse de ceux qui les portent, descendants de Mars et d’Hercule. Sur le plan pratique, il s’agit de véritables pièces d’orfèvrerie qui nécessitent la collaboration de nombreux spécialistes. Outre le travail de l’orfèvre qui travaillait les pièces de métal sur l’envers, à froid, avant de les affiner sur l’endroit par la ciselure, on découvre l’importance du travail du peintre chargé de tracer les ornements que les damasquineurs soulignaient de fins réseaux d’or et d’argent incrustés dans l’acier. Plusieurs noms de peintres sont aujourd’hui rattachés à l’école française. Etienne Delaune, dont le travail est connu grâce à un fonds de dessins conservé à Munich, a souvent été considéré comme le principal voire l’unique. Or, l’exposition organisée par le musée de l’Armée a permis de révéler l’importance d’autres peintres comme Jean Cousin le Père.
L’Europe maniériste
- L’école française est avant tout stimulée par les commandes royales de la cour de France, en particulier celles d’Henri II. Il est toutefois intéressant de constater que les symboles et les codes du pouvoir des princes, largement inspirés des mythes antiques, sont communs à la plupart des souverains de l’époque. Nombreux sont donc les princes à faire appel aux ateliers français : l’empereur Maximilien II, l’électeur Johann Georg de Saxe, le roi Erik XIV de Suède… Les commandes de ce dernier personnage se révèlent particulièrement intéressantes. Dans le style, elles se rattachent à s’y méprendre à l’école française. Pourtant, leur auteur, Eliseus Libaerts, est un armurier et orfèvre anversois qui n’a jamais séjourné en France. Comment cela est-ce possible ? Tout simplement grâce à l’existence de réseaux européens qui relient les artisans et les artistes mais aussi les marchands et permettent une circulation rapide des modèles français depuis la France jusqu’à l’Europe centrale.
Pour en revenir à Erick XIV, il est un des plus importants commanditaires d’armures de l’époque. Il commanda, entre autres, à Libaerts un somptueux ensemble équestre aujourd’hui conservé au musée de Dresde. Les projets matrimoniaux du roi de Suède sont à l’origine de la commande. Avant même son accession au trône, il avait en effet demandé la main de la reine Elizabeth Ière d’Angleterre. Il se heurta à un refus catégorique ne prit jamais possession de son armure, bloquée par la guerre entre le Danemark et la Suède.
Notre invité
Olivier Renaudeau, conservateur du département ancien du musée de l’Armée et commissaire de l’exposition« Sous l’égide de Mars. Armures des princes d’Europe ».
Pour en savoir plus :
- Exposition : « Sous l’égide de Mars. Armures des princes d’Europe ». Musée de l’Armée, hôtel National des Invalides, jusqu’au 26 juin 2011. Site : www.invalides.org
- Catalogue de l’exposition : Sous l’égide de Mars. Armures des princes d’Europe. Editions Nicolas Chaudun, Paris, 2011, 376 p, 55 euros.
- Laëtitia de Witt nous parle d'Histoire ici