Marie Mancini, la première passion de Louis XIV

Par Claude Dulong-Sainteny, membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Claude DULONG-SAINTENY
Avec Claude DULONG-SAINTENY
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Marie Mancini est la nièce de Mazarin. C’est aussi le premier amour du Roi-Soleil. Une histoire peu commune que retrace Claude Dulong-Sainteny, historienne et membre de l’Académie des sciences morales et politiques.

Le plus souvent, les "grands hommes" - Alexandre, César, Richelieu, Louis XIV, Napoléon, Hitler, Staline, De Gaulle - sortent de l'humanité. Selon le mot de Bonaparte, ils sont "des météores destinés à brûler la terre".



Le cardinal Mazarin n'est pas de cette race-là. En ce XVIIe siècle, tout rempli de héros et de saints, sa silhouette insinuante dépare quelque peu parmi tant d'altières statures. Les contemporains l'ont vivement senti. Et le temps écoulé n'y fait rien. Des deux grands cardinaux-ministres de l'ancienne monarchie, Mazarin est celui que l'historiographie et la mémoire collective ont considéré avec le moins d'admiration. Malgré les années, il n'a jamais tout à fait cessé d'être le "gredin de Sicile" vomi par les pamphlets de la Fronde. Après le Mazarin de Pierre Goubert, publié en 1990, il n'était donc pas inutile de revenir à cet Italien mal-aimé des Français.

Portrait de Marie Mancini, entre 1660 et 1680, Jacob-Ferdinand Voet, Rijksmuseum

Élevé au pouvoir par Richelieu, Mazarin en demeura l'admirateur sincère, mais n'imita point son style de gouvernement. Quelle différence de l'un à l'autre ! Avec sa verve coutumière, Retz a bien résumé le contraste des deux ministres : «L'on voyait sur les degrés du trône, d'où l'âpre et redoutable Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains, un successeur doux, bénin, qui ne voulait rien, qui était au désespoir que sa dignité de cardinal ne lui permettait pas de s'humilier autant qu'il l'aurait voulu devant tout le monde, qui marchait dans les rues avec deux petits laquais derrière son carrosse».



Vient la Fronde. Mme Claude Dulong nous montre un Mazarin moins habile qu'on le croyait et qu'on le croit encore. Elle s'attache particulièrement au "couple inattendu" formé par Mazarin et Anne d'Autriche pendant ces années difficiles. Malgré d'infinis obstacles ou grâce à eux, leur amour peu commun semble croître avec les années. L'expression en est précieuse chez le cardinal, passionnée chez la reine, autant qu'on en puisse juger par les lettres d'affaires et d'amour conservées, parsemées de signes cryptiques et de phrases romanesques, que Mme Dulong met sous nos yeux.



En dépit de la charge de l'auteur contre la "nouvelle histoire", elle nous donne une source extraordinaire pour l'histoire des mentalités. Trop souvent, les correspondances et écrits intimes des hauts personnages sont dédaignés par les chercheurs spécialisés dans cette partie. On regrettera d'ailleurs que, fidèle à l'historiographie traditionnelle, l'historienne ne se risque pas sur ce terrain, laissant au lecteur le soin de pousser ses propres observations psychologiques. La provende est pourtant fort riche et fort instructive. Ainsi voit-on Mazarin avouer, sur son lit de mort, qu'il n'avait auparavant «jamais entendu la messe suivant les véritables intentions de l'Église»... Nous voilà bien loin du siècle des saints !



La moindre surprise de l'ouvrage n'est pas de découvrir un Mazarin peu estimé de ceux qu'il côtoie le plus près et auxquels il a rendu les plus signalés services. Colbert, sa créature, qu'il place au sommet de l'État, le méprise pourtant cordialement : «il est encore pis qu'il n'était, écrit le futur ministre de son patron ; il ne pensait jamais au lendemain : mais à présent il ne pense pas du matin à midi et raisonne toujours sur de faux fondements».



Pour le roi, les choses sont plus complexes. Les relations entre le ministre et son souverain sont celles de maître à écolier. Le cardinal suit avec attention et affection les progrès du jeune Louis XIV dans l'art de régner, et le P. Paulin lui rapporte avec gourmandise que «le roi croît en sagesse et en dissimulation». Mais le ministre fait parfois la leçon assez rudement à son pupille. Quand le roi se refuse à rompre avec Marie Mancini et lui assure que sa passion est irrépressible, Mazarin lui rétorque : «C'est proprement parler pour ne rien dire». On peut imaginer quelle blessure cette réponse fut pour l'orgueil du futur Roi-Soleil !



Plus tard, Louis XIV se souvenant de Mazarin, louera, «un ministre rétabli malgré tant de factions, très habile, très adroit, qui m'aimait et que j'aimais, qui m'avait rendu de grands services, mais dont les pensées et les manières étaient naturellement très différentes des miennes». Sans doute le roi-soleil ne pardonnait pas à son mentor ses airs de polichinelle, si éloignés de l'aisance marmoréenne dont le monarque fit un des plus efficaces instruments de son règne.



Il est vrai que le cardinal n'affectionne guère les poses héroïques et la fermeté d'âme chères à son époque. C'est la scène fameuse, rapportée par Brienne où Mazarin, près de mourir, arpente sa galerie : «Hélas, il faut quitter tout cela (...) Adieu, chers tableaux. Je ne les verrai plus où je vais».

 

 

 

 



Spécialiste des finances et de la diplomatie au XVIIe siècle, Mme Dulong avait plusieurs titres à donner un Mazarin. Objet principal de ses recherches, la fortune mal acquise du cardinal n'a plus de secret pour elle. Elle a donné sur ce sujet un livre et plusieurs articles, dont les conclusions sont résumées à la fin de la biographie. Épouse d'un ancien ministre du général de Gaulle, elle a eu aussi cette chance, trop rare pour les historiens, de parcourir les allées du pouvoir. Les "gaullologues" reconnaîtront d'ailleurs ici la plume alerte et l'ironie de l'auteur de la Vie quotidienne à l'Élysée au temps du président de Gaulle.



D'une indifférence impériale à l'égard des questionnements nouveaux sur l'art biographique, Mme Dulong, tout en campant le Mazarin intime, l'homme de trafics et d'intrigues, peint le serviteur de l'État pénétré de la grandeur de sa tâche, qui écrit, d'un ton très gaullien : «pour porter les affaires de la France au plus haut point qu'elles aient été, une seule chose est nécessaire: que les Français soient pour la France». C'est donc en son genre une réussite que ce Mazarin qui atteint le rare bonheur d'attraper la ressemblance du héros et d'être, comme lui, plein d'esprit, et de vie.



Aussi ne peut-on fermer ce livre sans repenser au parallèle de Richelieu et de Mazarin. Rien ne le fait mieux sentir que la distance qui sépare les tombeaux des deux cardinaux-ministres. Sur le premier, ouvrage de Girardon, un Richelieu surhumain s'offre avec assurance au jugement du Ciel. Avec le second, au contraire, Coysevox montre un Mazarin égaré dans le royaume des morts, l'oeil plein d'inquiétude, humain, irrémédiablement humain. De cette humanité qui, justement, nous le fait comprendre et aimer davantage peut-être que son superbe et terrible devancier.





A propos de Claude Dulong-Sainteny

Retrouvez sa biographie complète sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques



 

 

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