Maurice Tubiana : La science au coeur de nos vies
Le professeur Tubiana revient au cours de cette rencontre sur les différentes peurs qui jalonnent l’histoire de la science, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il prône le courage pour les politiques, une meilleure information fondée sur des données scientifiques plutôt que sur la rumeur et un public plus confiant face à l’usage de la science.
Il y a toujours eu des résistances envers la science et à certaines époques, elles ont été très fortes.
A partir du XVIe siècle le monde devient peu à peu compréhensible grâce à la science envisagée sous un jour plus moderne. Mais elle s’oppose aux dogmes, aux croyances, nourrissant la haine depuis l’Antiquité de ceux qui la voient comme une menace pour leurs religions. Le procès de Galilée, un siècle plus tard, en est une illustration.
Si au XXe siècle, science et foi ne s’opposent plus, la science est perçue cependant comme l’instrument d’une aliénation pour l’homme. « Freud à développé dans son ouvrage Malaise dans la civilisation en 1929 l’idée que la science est devenue synonyme de contrainte, celle du réveil matin et du travail à la chaîne ; celle qui impose une certaine manière de vivre » nous explique le professeur Tubiana. Et il poursuit : « les réticences envers la science sont aujourd’hui très fortes pour deux raisons : tout d’abord parce qu’une partie de la population y est hostile délibérément. Les précautionnistes pensent que la science peut apporter des agents dangereux, susceptibles de remettre en question l’espèce humaine. Et puis il y a les écologistes qui pensent que la nature répond à tous les problèmes, qu’elle est parfaite. Ils ont peur de la remise en question par les travaux scientifiques ».
Par « précautionnistes », Maurice Tubiana fait référence au courant développé par le philosophe allemand Hans Jonas, dont la crainte fut que la science mette à jour des agents pouvant être à l’origine d’une apocalypse. « D’où la précaution et plus tard le principe de précaution » précise-t-il.
Les scientifiques sont-ils donc tous contre le principe de précaution ? « Pas du tout ! s’exclame notre invité, ils sont même plutôt pour, à condition que le principe de précaution soit encadré par des connaissances scientifiques solides, qu’il ne se fonde pas simplement sur des rumeurs ».
Deux exemples étayent la thèse du professeur Tubiana :
L’arrêt de la vaccination contre l’hépatite B dont on pensait qu’elle augmentait le risque de développer une sclérose en plaque. « En arrêtant la vaccination, on a provoqué environ 500 morts par an simplement parce qu’on avait peur de déclencher une sclérose. Or les travaux ont montré qu’il n’y avait pas rapport direct entre les deux ».
- Plus récent est l’exemple de l’épidémie de chikungunya dans l’île de la Réunion. L’utilisation des insecticides a été jugée initialement dangereuse pour la population. Mais l’épidémie se développant, les insecticides ont finalement été utilisés. Entre temps, plus de 200 personnes décédèrent. « La précaution quand elle est excessive peut être dangereuse » observe-t-il.
Science et écologie ne sont pas rivales
OGM, pesticides, insecticides, pollutions diverses, les technologies ne semblent pas vraiment compatibles à première vue avec l’environnement. Le professeur Tubiana ne nie pas l’importance de l’environnement, « qu’il faut étudier avec objectivité et esprit critique » précise-t-il. Il prône le développement dans les universités françaises des sciences de l’environnement et de l’écologie. Mais encore une fois, Maurice Tubiana veut faire la différence entre les écologues et les écologistes. « Il faut faire la distinction entre l’étude de l’environnement construit de manière scientifique et d’autre part les croyances des écologistes. Il est important de voir si les deux disent la même chose ».
L’approche scientifique est mise à mal par l’émotion qui prend le pas sur la raison. « La peur se répand plus facilement que tout le reste et d’autant plus facilement qu’elle est un vecteur d’audience pour les médias » ajoute-t-il. « Regardez les OGM. Ils sont utilisés depuis 18 ans aux Etats-Unis, en Afrique, en Asie. On n’a jamais prouvé que les OGM étaient néfastes pour la santé. Mais en Europe, on a réussi à créer une peur sur le simple fait de parler de manipulation génétique. On peut se demander si certaines personnes n’auraient pas des intérêts commerciaux ou idéologiques à bloquer les OGM pour se débarrasser d’un concurrent dans ce gigantesque marché des semences agricoles ; un marché qui va prendre une importance colossale prochainement ».
Mais cette peur de la science se fonde aussi sur des faits réels. Côté médecine, le public garde en mémoire l’affaire du sang contaminé, celles de l’hormone de croissance et du distilbène, autant d’erreurs qui renforcent la suspicion quant à la science et ses applications.
« Il est évident que nous avons fait des erreurs sur l’évaluation du coût/bénéfice de certains traitements. Le cas du distilbène en est un exemple : on a cru éviter les fausses couches et on a provoqué des maladies très graves. Mais il ne faut pas oublier qu’un médicament est toxique par définition. Les médicaments ont causé des drames mais ils ont causé encore beaucoup plus de guérisons. Au début du XXe siècle, la durée de vie moyenne était de 45 ans, aujourd’hui elle est de 78 ans pour les hommes et de 85 pour les femmes. Tout cela, on le doit aux avancées thérapeutiques ».
La rumeur et le politique
Le public est-il ingrat vis-à-vis de la science, reconnaissant plus volontiers ses méfaits que ses apports ? Selon notre invité, une des raisons de ce regard biaisé, c’est l’information donnée aux Français. « Les gens peuvent raconter n’importe quoi dans les médias, personne ne les contredit. Personne ne s’occupe de faire contrepoids face aux rumeurs ».
Mais surtout, le phénomène fondamental réside dans la volonté « des politiques d’obtenir les voix des écologistes. Pour avoir ces voix, ils ont laissé faire les écologistes sans les contredire. C’est pour moi la défaillance fondamentale du système français. Les politiques n’osent pas prendre de risques de peur de perdre des voix aux élections ».
L’ouvrage de Maurice Tubiana se termine par une réflexion basée sur une citation de Renaud Denoix de Saint-Marc, membre du conseil constitutionnel et de l’Académie des sciences morales et politiques : « Le déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche des dirigeants et de la couche actuelle dominante […], et la démarche scientifique demande du courage parce qu’elle refuse le conformisme et les idées reçues ». A bon entendeur…
Maurice Tubiana est médecin, biologiste et physicien, pionnier depuis 1950 de la lutte contre le cancer. Ancien président de l’Académie nationale de médecine, il est également membre de l’académie des sciences et de l’Académie des technologies.
En savoir plus :
- Maurice Tubiana, membre de l'Académie de médecine->http://www.academie-medecine.fr/membres_titulaires.cfm?old_flt_alpha=&flt_alpha_T=T&old_flt_division=&flt_division=&old_flt_section=&flt_section=&old_flt_commission=&flt_commission=&pageEnCours=0], [de l'Académie des sciences->http://www.academie-sciences.fr/academie/membre/Tubiana_Maurice.htm], de[ l'Académie des technologies
- Maurice Tubiana sur Canal Académie