Mona Ozouf, une vie dédiée à La cause des livres

Elle aime la littérature en silence, avec constance et jubilation ! Entretien avec Damien Le Guay
Avec Damien Le Guay
journaliste

A l’occasion de la publication de son livre La cause des livres (Gallimard), recueil d’articles parus dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur depuis trente ans, Mona Ozouf, grande dame des lettres françaises, membre du jury Fémina, nous entretient de son intérêt jamais démenti pour la littérature.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag1009
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Mona Ozouf, philosophe de formation, devenue historienne de la Révolution Française est, depuis toujours, amoureuse des livres, de la lecture vagabonde et du commerce silencieux avec « la part récalcitrante de l’existence humaine » dévoilée par la littérature – selon ce qu’en disait Benjamin Constant. Nombreux sont ses livres qui traitent de cet amour en silence de la littérature : Les mots des femmes (1995), La muse démocratique (1998), Les aveux du roman (2001) et, maintenant, La cause des livres. Quand elle était petite fille, à Plouha (au sud de Paimpol), orpheline de père à quatre ans, dans l’école qui lui tenait lieu de maison, elle n’avait pas le droit, le jeudi ou le dimanche, d’aller soit au bord de la mer (pourtant à trois kilomètres) ou dans les bois (eux aussi à trois kilomètres). Alors, elle « trompait son ennui » dans la fréquentation des bibliothèques de la maison. Cet ennui est-il, selon elle, nécessaire pour accéder « aux choses de l’esprit » grâce au « tapis volant des livres » ?
Pourquoi aimer ainsi, avec tant de constance et de jubilation, cette littérature des autres, des auteurs lus et relus au fil des années ? Mona Ozouf aurait-elle une vocation littéraire réfrénée par une immense pudeur et un goût de l’ordre des choses et de l’analyse des situations ? Ou, pour lui poser la question autrement : est-elle une pascalienne (pour laquelle le « moi est haïssable ») sublimée par la littérature des autres ?



Mona Ozouf (dans Les Aveux du Roman) signale le caractère double de la littérature : « elle vit de formes et de traditions et tient par toutes les fibres à l’ancienne France : aristocratique donc en son essence » et, en même temps, elle observe et exprime la société comme elle est et la démocratie comme elle va. Dès lors, « la littérature nous en dit beaucoup sur le lent travail de transaction entre les deux France, celle de la Tradition et celle de la Révolution ».
Une question, dés lors, s’impose : l’amour qu’à Mona Ozouf de la littérature n’est-elle pas une manière, pour elle, de concilier l’aristocratie de l’esprit et sa foi républicaine qui tend à devenir un monde un peu trop démocratique – au sens d’un aplanissement des goûts, un nivellement des mœurs ?



Si nous sommes dans la littérature, nous sommes dans l’amour des nuances, des situations indéterminées. Or, de toute évidence, Mona Ozouf, fut confrontée à un monde trop binaire, trop clivé pour elle. Jeune, elle vivait entre trois lieux presque exclusif l’un de l’autre : sa maison soucieuse de vivre la vocation particulariste d’une Bretagne bretonnante ; l’école républicaine à vocation universaliste ; l’église frileuse vis-à-vis d’une république désireuse de lui retirer nombre de ses prérogatives. Dans la préface à La cause des livres elle indique que la dite cause a pris le contre-pied de cette « douteuse religion communiste » dont elle fut l’une des paroissiennes quatre ans durant. Dès lors, il est légitime de se demander si la littérature ne fut pas pour elle un antidote à l’égard de tous ces mondes d’oppositions, de séparation, où il fallait choisir et renier, en somme, l’espace chaleureux d’un monde plus humain, plus indéterminé, plus épais ?

Toujours dans la préface de La cause des livres, Mona Ozouf met bien en évidence les qualités différenciées entre les hommes et les femmes. L’arrogance serait masculine tandis que les femmes ont « l’ingénuité modeste de faire avec le monde comme il va ». Elles ont, plus que les hommes, « l’esprit d’observation et la liberté intellectuelle » pour être « des créatures d’imagination, en colloque avec l’invisible, toujours un brin sorcières ». Il aurait donc une « science féminine des accommodements ». L’exploration romanesque n’est-elle pas le lieu même de l’épanouissement des qualités féminines ?



Finissons cet entretien en demandant à Mona Ozouf si ceux des historiens de « sa bande d’amis », ceux avec lesquels elle noua des relations d’amitié, n’ont pas, eux aussi, un profond amour de la littérature. Dans le portrait, à la fin du livre, qu’elle fait de Pierre Nora, elle dit de lui qu’il est « l’heureux sujet d’une monarchie absolue, la littérature française » et que cette « allégeance littéraire » le préserva « des sottises que nous avons pu dire en chœur » - à savoir les « sottises » des communistes assurés d’être dans le sens de l’histoire. Quant à François Furet il ya chez lui, dit-elle, « un romancier qui s’ignore, qui s’enchante de la rencontre intempestive, du dérapage des vies ». Mona Ozouf, François Furet et Pierre Nora ont en commun une même affinité avec les romans. Est-ce à dire, pour autant, que cette affinité fut, pour eux, une hygiène de croyance, un besoin de dégrisement idéologique, une manière d’être des historiens des situations et non des concepts, des évènements incertains plutôt que déterminés par avance ?




Bibliographie de Mona Ozouf



- L'École, l'Église et la République 1871–1914, éd. Armand Colin, Paris, 1962
- La Fête révolutionnaire 1789–1799, éd. Gallimard, Paris, 1976
- L'École de la France Essai sur la Révolution, l'utopie et l'enseignement, éd. Gallimard, Paris, 1984 (ISBN 2-07-070202-2)
- Dictionnaire critique de la Révolution française, en coll. avec François Furet, éd. Flammarion, Paris, 1988
- Dictionnaire critique de la Révolution française Institutions et créations, en coll. avec François Furet, éd. Flammarion, Paris, 1993
- L'Homme régénéré Essai sur la Révolution française, éd. Gallimard, Paris, 1989
- Mona Ozouf et Jacques Ozouf, La République des instituteurs, éd. Gallimard, Paris, 1989
- La Gironde et les Girondins, Payot, 1991,
- Le Siècle de l'avènement républicain, en coll. avec François Furet, Paris, Gallimard, 1993
- Les Mots des femmes Essai sur la singularité française, éd. Fayard, Paris, 1995
- La Muse démocratique, Henry James ou les pouvoirs du roman, éd. Calmann-Lévy, Paris, 1998
- Un itinéraire intellectuel, en coll. avec François Furet, éd. Calmann-Lévy, Paris, 1999
- Les Aveux du roman. Le XIXe siècle entre Ancien Régime et Révolution, éd. Fayard, Paris, 2001 prix Guizot-Calvados
- Le langage blessé : Reparler après un accident cérébral, éd. Albin Michel, Paris, 2001
- Une autre République : 1791 L'occasion et le destin d'une initiative républicaine, en coll. avec Laurence Cornu, éd. L'Harmattan, Paris, 2004
- Varennes. La mort de la royauté, 21 juin 1791, éd. Gallimard, Paris, 2005
- Jules Ferry, Bayard Centurion, Paris, 2005
- Varennes, la mort de la royauté, éd. Gallimard, Paris, 2006 prix des Ambassadeurs 2006
- Composition française : Retour sur une enfance bretonne, éd. Gallimard, Paris, 2009 prix du Mémorial-grand prix littéraire d'Ajaccio 2009
- La cause des livres, éd. Gallimard, Paris, 2011


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