Napoléon ou la destinée
Jean-Marie Rouart, reçu à l’Académie française en 1998, vient de publier « Napoléon ou la destinée ». Il est invité ici à reprendre en trois moments, trois thèmes, les points qui lui tiennent le plus à cœur ainsi que la place de ce dernier livre dans son œuvre. Jean-Marie Rouart s’est volontiers prêté au jeu !
1- Premier grand thème : Quel sont les points qui vous tiennent le plus à cœur concernant le fond de ce livre ?
Jean-Marie Rouart explique qu’il s’agissait pour lui de percer un mystère. Résoudre l’énigme de l’homme le plus connu des Français, et comprendre pourquoi ils y sont tant attachés. Même si beaucoup d’encre a coulé à son sujet, Napoléon reste un mystère au cœur de l’histoire de France. L’académicien s’est imprégné de cet homme lumineux et obscur et a cherché à comprendre pourquoi les Français continuaient de s’identifier à lui (et pas seulement les Français d’ailleurs, le monde entier).
Il se questionne aussi sur sa propre identification à ce grand homme qui le passionne depuis longtemps. Au point que, pour Jean d’Ormesson, son confrère de l’Académie française, ce livre est en réalité un autoportrait, presque même une autobiographie. L'auteur n’en disconvient pas et nous confie que dans ses difficultés existentielles à l’âge de 18 ans, il a trouvé en Napoléon le modèle d’un homme qui faisait toujours face à l’adversité. S’identifier à lui l’a aidé à surmonter les orages. Napoléon ou la destinée est d’ailleurs bâti autour des échecs de cette figure emblématique de l’histoire de France dont les succès sont éclairés par les infortunes.
Jean-Marie Rouart explique aussi que le sujet de Napoléon sous-tend celui de la France, ce pays qui est tout et le contraire de tout. Tout comme Napoléon, qui avait commencé par la gauche, devint jacobin, puis 1er consul et enfin empereur… Il est en somme un résumé de l’histoire de France dont il incarne les contradictions et les ambigüités. De plus, Napoléon, comme de Gaulle, a su rassembler les Français qui lui en sont reconnaissants. Figure sans âge, comme en dehors du temps, il continue d’insuffler une leçon de courage et symbolise une espérance à la fois personnelle et collective. Napoléon se sent guidé par une providence et pour lui la vie se doit d’être au sommet. Ce qui le fait vibrer, c’est la destinée et la postérité. Laisser une image impeccable, devenir un mythe qui nourrisse l’imagination, voilà ce qui lui importe plus que tout. Il comprend que la politique ne consiste pas seulement à la gestion de la vie des Français mais aussi à les faire rêver. On peut dire qu’il a été le romancier de leur vie. Il a d’ailleurs dit un jour « Je fais mes plans de campagne avec les rêves de mes soldats endormis ».
2- Deuxième grand thème : quels sont les points qui vous tiennent le plus à cœur concernant la forme de votre livre ?
Tout d’abord, Jean-Marie Rouart tenait à ce que son ouvrage ne soit pas ennuyeux. Il trouve certains livres d’histoire trop abstraits, trop pleins de notes qui perdent le lecteur. Il se considère, quant à lui, comme un écrivain qui aborde l’histoire à la manière de Stefan Zweig, ou de Paul Morand, tenant à cœur d’offrir du plaisir. Il faut que l’on ait le sentiment que la vie est là avec ses couleurs et son rythme. Il a tenu à ce qu’il y ait du mouvement, que le lecteur soit pris par l’existence galopante de Napoléon. Il y a des moments de réflexion mais qui viennent plutôt des faits.
3- Troisième grand thème : Quels sont les points qui vous tiennent le plus à cœur concernant la place de votre livre dans l’ensemble de votre œuvre ?
Jean-Marie Rouart réfute le terme d’œuvre car il ne regarde pas le passé mais le présent et l’avenir. Son besoin d’écriture l'aide à lutter contre le doute, très présent en lui. Animé par la peur de ne pas exister, sa plume lui vient en aide, mais reste un remède incertain. Pour lui, c’est comme une conquête de chaque jour. Issu d'une famille de peintres (son arrière-grand-père André Rouart, un oncle et son père aussi), ces hommes doutaient aussi mais ils n’ont pas été jusqu’à vouloir exister dans la société. Ils voulaient exister en tant qu’artistes. La particularité de Jean-Marie Rouart, au cœur de cette famille, a été de réconcilier son travail d’écrivain avec la société. Il avoue avoir joué le jeu de la société, peut-être trop même. Il respecte pourtant beaucoup les marginaux, ceux qui restent tout à fait à l’écart de la société. En réalité il considère toute vie comme un échec. Parce que toute vie se solde par la mort. L’amour est difficile, l’amitié aussi. Proust disait « je ne crois pas à l’amitié mais j’en jouis, mes amis y croient mais ils n’en jouissent pas ». L’artiste a le privilège de pouvoir transmuer l’échec en quelque chose de lumineux, une œuvre artistique. Pensons à Berthe Morisot qui donne une image extraordinaire du bonheur ou à Hemingway qui donne aussi une image extraordinaire du bonheur. Et derrière tout cela il y a beaucoup de souffrance. Être un artiste c’est vivre en permanence avec cet abîme qu’est l’échec, mais de le sublimer. Il y aura peut être un lecteur qui trouvera dans ce qu’on a écrit un peu de réconfort, de plaisir, une joie.
Il semble qu’il y ait pour vous une noblesse dans l’échec comme si c’était un art de vivre? « La noblesse des vaincus » était très claire sur ce sujet.
Les gens qui ont échoué sont souvent plus sympathiques que ceux qui ont réussi. Prenons l’exemple du Cardinal de Bernis, homme merveilleux qui était le ministre des affaires étrangères de Louis XV. Il était extraordinairement sympathique, il a d’ailleurs échoué car il était trop gentil. Alors que Choiseul, qui était plutôt une brute, a réussi. Au delà de ces considérations, il y a, pour Jean-Marie Rouart, une rivière souterraine précieuse, une spiritualité très en lien avec la vie artistique. Pour lui, le travail artistique amène vers une sorte de Dieu, et vous porte à une élévation.
Et maintenant ?
Continuer à vivre avec Napoléon car après avoir abordé un homme comme lui, c’est comme une histoire d’amour, on ne s’en défait pas si facilement ! De plus, Napoléon lui a permis de mieux comprendre la France.
Et l’Académie dans tout ça ?
Il avoue éprouver une « fierté modeste » pour employer un oxymoron. Estimant avoir bénéficié d'une grande chance d’être élu à l’Académie française, il a une pensée pour ceux qui n’ont pas eu cette chance. Il a fallu qu’il se présente cinq fois tout de même ! Mais une fois élu, il a cru rêver, trouvant intensément romanesque de se retrouver auprès de personnes qui le fascinaient comme Claude Lévi-Strauss. Barrès ne disait-il pas : « Il faudrait tout obtenir afin de pouvoir tout mépriser ». Il est par exemple ravi d’avoir la Légion d’honneur. Mais notre invité considère aussi que tout désir social est une compromission, et qu'à partir du moment où l’on se bat pour atteindre des désirs sociaux, on n’est plus dans le spirituel mais dans la compromission matérielle. Quoiqu’il en soit, Jean-Marie Rouart reconnaît qu’il a atteint un rêve en entrant à l’Académie française...
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