Qu’est-ce que l’homme ? la réflexion croisée de Luc Ferry et Jean-Didier Vincent, de l’Académie des sciences (2/2)
Jean-Didier Vincent et Luc Ferry signent ensemble le livre Qu’est-ce que l’homme ?, un ouvrage "incontournable" selon Jean Roulet qui, après avoir traité de la contribution de Luc Ferry dans une première chronique, présente ici celle de Jean-Didier Vincent, de l’Académie des sciences. Après la réflexion du philosophe, voici celle de l’homme de science qui parle en homme... de l’art !
Le philosophe Luc Ferry et le biologiste Jean-Didier Vincent répondent à cette question, « Qu’est-ce que l’homme ? » chacun selon l’éclairage de sa discipline et avec le souci de nous en exposer les données fondamentales. Après une émission consacrée à la lumineuse contribution de Luc Ferry (Qu’est-ce que l’homme ? la réflexion croisée de Luc Ferry et Jean-Didier Vincent, de l’Académie des sciences, tournons-nous maintenant vers celle de Jean-Didier Vincent, homme de science et de verbe, de passion et de provocation.
Jean-Didier Vincent cultive une prédilection pour l’affinité des contraires, leur caractère indissociable et leur façon de se constituer en alter ego : dieu et le diable, la vie et la mort, le plaisir et la souffrance, la prière et l’agnosticisme… Abandonnant ici les grandes marmites de cette soupe originelle où, selon lui, « le diable » nous aurait concocté la vie*, et à défaut d’en avoir percé les secrets, le biologiste choisit d’en symboliser le mystère dans l’enclos d’une chambre : celle de l’Annunciazone telle que l’a peinte Simone Martini.
Tout y est : La présence végétale du rameau que tient l’ange, la chair en formation dans le ventre de Marie, l’intimité qui fut nécessaire à la rencontre des composants vitaux lorsque la chimie a basculé dans une nouvelle dimension en fabriquant la première cellule. Jean-Didier Vincent récuse tout « préjugé religieux », toute « vision orthogénique » mais il sait, à l’occasion, témoigner d’un sens culturel du sacré.
Le constat humaniste
Jean-Didier Vincent énonce d’emblée son credo humaniste : si biologiquement l’homme est un animal et s’il descend du singe, il est ontologiquement unique et distinct. En matière d’homme, il n’est pas de place pour l’à peu près. L’homme descend du singe, des espèces intermédiaires ont pu exister mais elles ont disparu. Répondre à la question de l’homme, c’est d’abord s’interroger sur la vie et, nous dit le biologiste, « l’histoire de la vie qui nous aide à comprendre ce qu’est la vie. »
L’histoire de la vie
Imaginée contre la croyance à un dieu créateur l’hypothèse d’une génération spontanée a été réfutée par Pasteur. Il a montré que la vie ne pouvait surgir que de la vie et restaurer ainsi la nécessité d’une origine (pour ne pas parler de création) mais sans pour autant cautionner les vieux mythes. De fait, si la vie ne peut surgir de rien sinon d’une autre vie, comment penser la fixité des espèces ? D’où viendrait chacune d’elle ? Dès lors, l’évidence observée de leur parenté va vite accréditer la théorie de l’évolution. Ainsi la biologie moderne a-t-elle fait table rase de tout finalisme ou créationnisme et autres théories apparentées, telles les transformations préconçues ou dirigées par quelque dessein intelligent...
La biologie moderne repose sur l’idée que toutes les formes vivantes peuvent se transformer et évoluer à partir de formes préexistantes. Les modifications s’opèrent en réponse aux instructions du milieu.
La génétique moléculaire s’accorde à ce schéma. Les instructions du milieu, sans enrichir la vie de quelque information, ne font que révéler une information contenue dans les gènes mais encore inexprimée.
Aucune forme n’était donc préformée, toutes celle qui apparaissent au gré des instructions du milieu étaient potentiellement possibles. Les instructions du milieu n’auront joué qu’un rôle de révélateur. Seul impératif, la présence des éléments nécessaires au changement.
Nous en retenons que la théorie de l’évolution est soumise à ce schéma. Tout s’y négocie entre les erreurs de recopies génétiques et les impératifs d’adaptation au milieu. La sélection naturelle explique l’adaptation. Elle en est même la cause unique.
LUCA : ancêtre commun et unique de la vie
Un principe allait s’imposer au milieu du XIXe siècle : Toute cellule nait d’une cellule. Toute vie dérive d’une cellule unique qui a donné LUCA : Last Universal Common Ancestor. La vie a dû se chercher pendant les milliards d’années d’un monde pré-biotique et proposer d’autres prototypes avant la réussite de LUCA dont toute vie dérive comme l’atteste une identité de composants. De cette dernière, LUCA fut le premier dépositaire en même temps que l’unique. Pourquoi l’unique ? Parce qu’une barrière génétique interdit aux espèces le libre échange de leur matériel génétique et qu’il n’existe qu’une forme de vie.
Des vertébrés à l’homme
Prenons l’évolution en marche au niveau des vertébrés. Ils sont apparus il y a 550 millions d’années. Ils se distinguent par l’existence d’un système nerveux relié à un cerveau qui les informe sur les besoins de leur corps : la soif, la faim, la souffrance. En étudiant l’évolution de ce système, de plus en plus élaboré, il est possible de reconstituer le cheminement des espèces animales vers l’espèce humaine. Il est marqué par une progression du cerveau vers toujours plus d’émotion et de capacités cognitives. Tout revient alors à situer le tournant décisif à partir duquel l’espèce humaine a pu surgir et donner naissance à l’homo sapiens que nous sommes aujourd’hui.
C’est à cette investigation passionnante que Jean-Didier Vincent nous convie. Ainsi fait-il écho à l’interrogation attentive du philosophe qui attendait beaucoup de la science pour définir le propre de l’homme et le localiser dans l’histoire de la vie.
Parmi les diverses spécificités envisagées, le biologiste accorde une importance particulière à cette dimension de l’homme qui fait de lui « l’interprète passionné du monde. »
Jean-Didier Vincent y retrouve à la fois l’art, l’amour et la haine. La conscience réfléchie d’une émotion devenue passion et la capacité de la partager au moyen d’un langage outil de culture.
Texte de Jean Roulet.
* La Chair et le Diable de Jean-Didier Vincent (Ed. Odile Jacob).
Pour écouter le premier volet consacré à la réflexion croisée de Luc Ferry et Jean-Didier Vincent : Qu’est-ce que l’homme ? la réflexion croisée de Luc Ferry et Jean-Didier Vincent, de l’Académie des sciences
En savoir plus :
- À écouter sur Canal Académie :
- Les hormones de l’amour
A propos de l’ouvrage La biologie des passions de Jean-Didier Vincent - Émission proposée par Élodie Courtejoie
- Voyage extraordinaire au centre du cerveau
A propos de l’ouvrage Voyage extraordinaire au centre du cerveau de Jean-Didier Vincent - Émission proposée par Solenne Robin
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