Soliloque du prisonnier de Charles Maurras
Voici un ouvrage surprenant et un auteur souvent dérangeant pour ne pas dire rejeté : « Soliloque du prisonnier », rédigé par Charles Maurras, qui fut élu à l’Académie française en 1938 (à l’âge de 70 ans). Ce court texte fait partie de la collection « Carnets » des éditions de l’Herne (publié en 2010), et notre invité est François L’Yvonnet, qui en a rédigé la présentation.
Est-il nécessaire de préciser d'emblée que le fait de ne pas partager toutes les opinions de Maurras ni d’adopter toutes ses prises de position, notamment quand elles étaient anti-sémites, n’interdit pas d’évoquer ce membre de l’Académie française ? Surtout qu'il est un écrivain de talent et la lecture de cet ouvrage le confirme.
Charles Maurras, rappelons-le brièvement, est né à Martigues en 1868, en Provence, une région qu’il chérira toujours. Il est mort en 1952. Il fut tout à la fois poète (son recueil de poésie « la musique intérieure » est paru en 1925) , critique littéraire, journaliste, théoricien politique (il a laissé des nombreuses œuvres politiques). Ses positions sont connues : nationaliste, royaliste fortement anti-démocratique (« la démocratie, inane chimère, écrit-il dans cet ouvrage, ou encore « un de ces faux remèdes universellement employés »).
Notre invité revient sur certaines positions de Charles Maurras qui, on l'oublie trop, était fortement anti-allemand et n’a jamais été favorable au nazisme.
Dans quelles conditions a-t-il rédigé « Soliloque du prisonnier » ? En prison, à la maison centrale de Clairvaux où il est enfermé à perpétuité (il y restera encore 7 années). L'homme est âgé (82 ans), solitaire mais toujours pugnace. Il ne cesse de se battre, de travailler en écrivant.
Il commence fort : « Vous me demandez des nouvelles de Charles Maurras ? J’en ai de sûres, les voici”. Et chaque début de chapitre est fort. Par exemple au chapitre 2: « On prétend que Maurras radote sur la France ». Ou au chapitre 8 « Mais Maurras n’est pas pour le désespoir… ».
Les faits : Charles Maurras fut arrêté à Lyon, le 8 septembre 1944, conduit le 9 au Fort Monluc pour quelques minutes, puis à l'hôpital lyonnais de l'Antiquaille pour quelques jours, à la prison Saint-Paul-Saint-Joseph de la même ville, pour dix-huit semaines environ. Au bout de cette longue prévention, le 24 janvier 1945, malgré ses arguments de défense exposés durant 4 jours, le verdict tombe le 27 janvier : Maurras est emprisonné à Riom. De là, il sera conduit, en 1947, à Clairvaux. Il précise, dans "Soliloque du prisonnier", d'autres éléments (notamment son n° d'écrou 8321...). Une fois ces faits rappelés, l'auteur développe ses idées.
On l'a compris : il parle de lui à la troisième personne. Ses propos se répartissent en deux parties :
- sa position vis à vis de l’Allemagne, du nazisme et de la guerre
- puis la latinité. Ou plutôt ce qu’il appelle l’esprit latin.
I – l’Allemagne
Il affirme entre autres que sa résistance aux influences littéraires et politiques de l’Allemagne date de loin, elle remonte à 1894, l’année où il lut les quatorze discours de Fichte à la nation allemande… Il estime avoir compris le germanisme à sa source et de là, il a organisé, dans sa tête et autour de lui, une résistance méthodique au « système » (mot qu’il met en guillemets ) du narcissisme allemand. Il rappelle avoir écrit en 1937 une préface contre l’hitlérisme… Au fond, il se considère, à sa façon, comme un des premiers résistants…
Il critique surtout la déclaration de la guerre, écrivant « l’acte du 3 septembre 1939 fut un crime contre la Patrie… ».
Canal Académie, dans cette émission, vous propose d'écouter la lecture de plusieurs extraits.
II – l’esprit latin
François L'Yvonnet précise ce que Maurras entend par cette expression.
Ce Carnet de l'Herne offre d'ailleurs deux appendices :
- "Les forces latines", texte que Maurras avait rédigé en préface de l'ouvrage de Marius André "La fin de l'empire espagnol d'Amérique" (paru en 1922)
- "Latinité", texte de Maurras daté de 1925, publié dans la revue du même nom de novembre 1929.
Extrait repris par l'éditeur sur la 4ème de couverture :
"Je suis un drôle de Méditerranéen ; ma Méditerrannée ne finit pas à Gibraltar, elle reçoit le Guadalquivir et le Tage, elle baigne Cadix, Lisbonne et s'étend, bleue et chaude, jusqu'à Rio de Janeiro. Elle atteint le cap Horn, salue Montevideo, Buenos Aires et, sans oublier Valparaiso ni Callao, elle s'en va grossie de l'Amazone et de l'Orénoque, rouler dans la mer des Caraïbes, caresser amoureusement nos Antilles... Elle court au Saint-Laurent, et sausf de menues variationsde couleur ou de température, va se jeter dans la baie d'Hudson où elle entend parler français... "
Consulter la fiche de Charles Maurras sur le site de l'Académie française : http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html
Dans cette collection Carnets de l'Herne, signalons d’autres titres en rapport avec des académiciens :
- Le Carnet de Michel Déon, ainsi que le Cahier de L'Herne qui lui est consacré, qui fait le sujet d’une émission sur Canal Académie avec Michel Déon lui-même Les passions de Michel Déon, de l’Académie française : lecture, écriture, peinture... et quelques autres aussi !
- Deux étonnants textes de Jules Michelet sur les animaux : « la République des oiseaux » et « la mer » (bientôt en ligne sur Canal Académie)
- Un texte de Tocqueville reprenant le dernier chapitre de La Démocratie en Amérique et intitulé par l'éditeur "Le despotisme démocratique" également présenté sur Canal Académie par François l'Yvonnet Le despotisme démocratique selon Tocqueville