Artemisia, peintre géniale et passionnée
Artemisia Gentileschi (Rome 1593- Naples 1654) est la première femme admise à l’Académie du dessin de Florence. Elle n’a alors que vingt-trois ans. Un destin européen l’attend. Yves-Marie Bercé, membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres, évoque cette femme libre qui n’appartenait qu’à son art, et la manière dont elle fut reçue dans la Rome du XVIIe siècle.
Yves-Marie Bercé rend hommage à la superbe exposition du musée Maillol à Paris (jusqu'au 15 juillet 2012) Artemisia, Pouvoir, Gloire et Passions d'une Femme Peintre-et à son catalogue très intéressant- qui permet de découvrir la peinture d'Artemisia pour la première fois en France :
«Cette exposition est un événement dans les annales de l'histoire de l'art, à Paris tout au moins, dans la mesure où je ne crois pas que le public français était familier des œuvres de cette extraordinaire femme talentueuse, exceptionnelle en son temps. Elle est moins connue que son père, Orazio Gentileschi, dont l'œuvre peint est, pourtant, inférieur car moins original. On peut découvrir la capacité de création d'Artemisia dans des actions bibliques ou mythologiques mises en scène dans un style qui relève des maîtres bolonais (les Carrache) et qui, à d'autres moments par les clairs-obscurs, se rattachent plus aux éclairages du Caravage.
Cette œuvre est, pour certains, difficile à interpréter : est-elle l'œuvre exceptionnelle d'une femme virtuose du dessin dont les capacités d'invention des mouvements et des situations de ses personnages s'allient à un art fascinant de la couleur ? Ou bien faut-il la mettre au rang de beaucoup d'autres peintres de son temps ? Peut-on « banaliser » sa situation dans les premières décennies du XVIIe où tant de peintres affluent à Rome venant de toute l'Europe ? En fait, sa célébrité, sa place extraordinaire dans la société aristocratique et auprès des plus grands collectionneurs européens témoignent bien de son génie. Elle est l'une des plus grandes artistes de son époque.»
Une famille d'artistes : hérédité et endogamie
Artemisia est née dans une famille liée aux arts, ses ancêtres étaient des orfèvres toscans. Son père est l'un des plus grands peintres de la Rome baroque. Elle devient, tout naturellement, apprentie dans l'atelier paternel. Dès l'âge de 15 ans elle crée elle-même. Suzanne et les Vieillards qu'elle réalise à 17 ans, éblouit son père : « elle est l'égale des plus grands maîtres » écrit-il, en 1612, à Christine de Lorraine, grande-duchesse de Toscane.
Rome, Florence, Naples, Venise, Londres...
Agostino Tassi, peintre et compagnon d'Orazio, lui promet le mariage et abuse d'elle. Quand Orazio Gentileschi découvre le déshonneur de sa fille, malheureuse victime, il dénonce son collaborateur à la justice pontificale. Tassi est condamné.
Artemisia se marie, deux jours après le procès, avec un peintre florentin.
À Florence, Artemisia s'affranchit de l'influence de son père et vole enfin de ses propres ailes. Sa réception au sein de l'Académie du dessin lui apporte privilèges, gloire et liberté d'action. Désormais seule maître de son destin, elle revient à Rome, puis ce sera : Naples, Venise, Londres et enfin de nouveau Naples où elle meurt en 1654, maître d'un immense atelier.
Ses tableaux franchissent les frontières.
Le marché de l'art à Rome et le succès commercial d'Artemisia
Sous Maffeo Barberini, devenu le pape Urbain VIII en 1623, Rome connaît une véritable renaissance. Les cardinaux-neveux Barberini, humanistes et mécènes, attirent dans la Ville les artistes, les amateurs, les acheteurs, les antiquaires. La mode des expositions est lancée. Dans les nartex de certaines églises, dans les cloîtres, chez les collectionneurs privés, on expose des centaines de tableaux.
Entre la Piazza del Popolo et la Piazza di Spagna, s'étend le bouillonnant quartier des peintres venus de France, de l'Europe du Nord ou de la Péninsule.
Artemisia, honorée et protégée par l'élite intellectuelle et artistique du brillant pontificat d'Urbain VIII, est particulièrement fascinante, certes, mais elle n'est pas la seule femme-artiste dans l'Italie des XVIe et XVIIe siècles.
D'autres femmes peintres de renom
Et Yves-Marie Bercé de conclure : Pour une femme du début du XVIIe se consacrer à la peinture représente un choix hors du commun, mais pas exceptionnel.
On ne saurait oublier Sofonisba Anguissola (1530-1625), Lavinia Fontana (1552-1614), Fede Galizia (1578-1630) et Virginia da Vezzo, miniaturiste et épouse de Simon Vouet.
En savoir plus :
- Visitez le site du musée Maillol
- Retrouvez Yves-Marie Bercé de l'Académie des inscriptions et belles-lettres sur Canal Académie.
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