Attention, une baignoire peut se cacher sous un meuble... ou l’inverse !
Dans Liaisons dangereuses, film de Stephen Frears, Valmont, joué par John Malkovich, pénètre dans le salon de Mme de Merteuil, jouée par Glenn Glose. Quoi de plus naturel, sinon que la dame est dans son bain ! Nous n’aurions pu le deviner sans la colère du vicomte qui renverse la chaise longue dans laquelle était posée la baignoire. Notre amateur d’objet d’art, Bertrand Galimard Flavigny, se lance dans des histoires de meubles de bain...
On devine la suite : la marquise glisse sur le carrelage, empêtrée dans le drap humide qui revêtait la baignoire, tandis que l’eau s’écoule…
J'ai vu une « baignoire en chaise longue cannée » (h : 98 cm, l : 165 cm, prof : 66 cm), semblable à celle aperçue dans le film. Elle figurait dans un catalogue de la société des ventes volontaires Christophe Joron-Derem et a été adjugée 1.100 €, le dimanche 26 juin 2011 au château de la Petite Malmaison. Ce siège particulier est en hêtre mouluré et sculpté. Le dossier est mouvementé, les accoudoirs à manchettes garnies reposent sur des consoles ; les pieds sont cambrés.
Sans vouloir retracer l’histoire des baignoires, sachons qu’à la fin du XVIIe siècle, il en existait en bois doublé de plomb. Les modèles en cuivre étamé sont apparus vers 1680. Cela nous le savons grâce aux inventaires. Dans celui de Madame de Pompadour dressé en 1764, on trouve une baignoire en cuivre rouge. Ce métal a la propriété de conserver la chaleur de l’eau. Plus tard, on utilisera la tôle, vernie ou émaillée, en zinc éventuellement peint, en fonte émaillée, etc.
Cachée sous l'apparence d'un meuble, de face ou en sopha...
Ce qui nous intéresse davantage, ce sont les baignoires ayant l’aspect d’un meuble, comme la baignoire de face ou « baignoire en sopha » dont le dossier est fixé sur le long côté. Nicole de Reyniès indique dans Le Mobilier domestique, vocabulaire typologique (1), que Delafosse (Jean-Charles, 1734-1789) en a dessiné une qu’il a justement intitulée « baignoire en sopha » ; tandis que François Boucher le fils ( 1703-1770) désignait un autre modèle semblable qu’il intitulait : « baignoire vue de face ». L’ouvrage reproduit ce type qui fait songer à un bassin orné de sirènes entourant un cadre figurant une fontaine. Une estampe du même J-F Boucher datée de 1773 en montre une qui ressemble à celle mise en vente. L’ébéniste André-Jacob Roubo (1739-1791) en a représenté une autre vue de côté en indiquant que le dessus est en trois parties et le dossier amovible.
Quand "la dame au bain" tient salon
Avec le retour au naturel, le « siècle de la Raison de Louis XIV, ayant disparu, on se baignait à nouveau nu, et l’eau était parfumée. A Versailles, la reine Marie Leszczynka aura successivement trois cabinets de bain, et Louis XV déménagera quatre fois le sien. Selon Françoise de Bonneville, auteur du Livre du bain (2), il y aurait eu à Versailles, plus de cent bains. Il était du meilleur ton de faire savoir que l’on prenait des bains, que l’on s’y livrait à ses travaux épistolaires et d’y tenir salon. J.-B. Pater (1695-1736) réalisa dans les années 1730, une gravure coloriée mettant en scène une baigneuse enjambant sa baignoire de cuivre tandis que les femmes de chambre et demoiselles d’honneur s’affairent autour d’elle. Le thème de « la dame au bain » devint, en effet, au XVIIIe siècle, un sujet de prédilection de la gravure et, le bain, dernier passe-temps à la mode, pendant lequel il était du meilleur goût d’y recevoir et d’y séduire. Ce qui explique la scène décrite plus dans le film inspiré par Les Liaisons dangereuses (3).
Pour ce « bain de salon », pris en compagnie ou dans sa chambre, les ébénistes rivalisèrent d’imagination pour transformer ces baignoires en véritable meuble. Ceux-ci devaient s’intégrer au mobilier ambiant et être facilement transportables. Toujours le même Boucher fils déguisa une baignoire dans une bergère capitonnée pour le bain de siège ou « demi-bain ». Comme ce siège proposé comme étant une « Baignoire », sans autre indication, en bois naturel mouluré à dossier et assise mobiles, à fond de canne, pieds fuselés à bagues ; l’intérieur en zinc » daté de la première moitié du XIXe siècle (H. : 72 - L. : 115 - P. : 67 cm) qui a été adjugée 750 €, à Drouot, le 9 novembre 2004 par la svv Néret-Minet, & Teissier. Il s’agissait réellement d’un fauteuil bain de siège avec un dessus quelque peu plus allongé que la normale et que nous ne pouvons comparer avec les bidets.
Les baignoires allaient ensuite évoluer, nous nous souvenons néanmoins d’une enquête réalisée en 1968 qui indiquait que 48 % des maisons et appartements n’étaient pas équipées de salle de bain. Nous nous sommes heureusement rattrapés !
Bertrand Galimard Flavigny
(1) Imprimerie nationale, 1987.
(2) Flammarion, 2001.
(3) La collection de La Pléiade chez Gallimard, vient de publier une nouvelle édition des « Liaisons »
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