Centrales nucléaires : fonctionnement, durée de vie et protocole de sécurité en France
L’accident de Fuksuhima le 11 mars 2011 a jeté un trouble dans la communauté internationale et notamment française : nos centrales nucléaires sont-elles fiables et pouvons-nous poursuivre l’extension de cette énergie ? Gilbert Ruelle, membre de l’Académie des technologies et Guy Laval, membre de l’Académie des sciences, reviennent sur l’histoire du nucléaire civil en France, l’implantation de centrales à eau pressurisée, et le développement de centrales de quatrième génération dont le combustible sera une partie des déchets radioactifs actuellement conservés à La Hague.
Cette émission n’a pas pour ambition de lancer un débat « pour ou contre le nucléaire civil » mais vise à faire comprendre comment fonctionnent les centrales nucléaires, leur durée de vie, le travail des comités indépendants qui réalisent les tests et pourquoi la France s'est tournée vers une énergie électrique essentiellement nucléaire.
C’est pour des raisons d’indépendance énergétique que la France s’est tourné vers le nucléaire civil au moment du premier choc pétrolier.
« Il faut se rappeler que le prix du pétrole avait été multiplié par quatre en quelques mois » en 1970 précise Gilbert Ruelle.
Une tonne d’uranium produit une énergie de 420 000 gigajoules, c'est-à-dire 10 000 fois plus qu’une tonne de pétrole. « Il n’existe pas d’autres sources d’énergies qui aient cette performance » poursuit-il.
En France, nos 19 centrales (pour 58 réacteurs) sont de deuxième génération. Elles fonctionnent sous le principe de l’eau pressurisée (PWR), le fonctionnement le plus commun et le plus répandu dans le monde.
« Ces centrales sont basées sur la fission par neutrons lents. Elles utilisent la réaction entre neutrons et le noyau d’un métal lourd. Lorsqu’ils entrent en collision, ils se divisent en deux morceaux que nous appelons les produits de fission. L’énergie libérée est disponible sous forme de chaleur » nous explique Guy Laval. Le système d’eau pressurisée permet de ralentir les neutrons. La température diminuant, les réactions de fission se produisent plus facilement
Point positif de ces centrales à neutrons lents : elles assurent une grande sécurité de fonctionnement.
Point négatif : elles ne brûlent qu’une toute petite partie du combustible, l’uranium 235, soit 0.7% de l’uranium. Les 97,3 % d’uranium sont actuellement considérés comme déchet.
« Il existe aussi dans le monde quelques centrales à eau bouillante (BWR) comme celle de Fukushima. Elles fonctionnent sur le même principe que les centrales à eau pressurisée mais la technologie est différente puisqu’elle autorise l’ébullition du liquide de refroidissement et du liquide ralentissant les neutrons. Ceci n’est pas autorisé dans nos centrales en France » poursuit Guy Laval.
Qu’il s’agisse des centrales PWR ou BWR, elles représentent 82 % de tous les réacteurs en service dans le monde.
Quels sont les 18 % restant ? Gilbert Ruelle nous répond : « Il existe encore des centrales où le modérateur est du graphite… C’est le cas des réacteurs russes (les MBK). Il y en a encore une quinzaine en fonctionnement dans le monde. Au Royaume-Uni il existe aussi des réacteurs de type graphite-gaz, utilisant le gaz carbonique CO2 comme caloporteur. Même à l’époque de leur construction, les MBK n’auraient jamais reçu d’agrément pour être implantés en occident. Les enceintes de confinement n’existent pas et ce sont des réacteurs duales. Ils sont ouverts pour que l’on puisse prélever du plutonium à des fins militaires.
Ce n’est pas le cas de nos réacteurs en France qui sont scellés dans une enceinte ; ils sont ouverts une fois par an, pour retirer le combustible usé ; à savoir du plutonium 53 qui inexploitable sur le plan militaire ».
Les centrales de troisième génération : des centrales plus perfectionnées
Les centrales de troisième génération ne sont que le perfectionnement des centrales de deuxième génération. On les appelle communément EPR. Elles sont cependant considérées comme une nouvelle génération de centrales car les améliorations apportées en font des sources d’énergie plus sûres et plus économes en matière première. Elles parviennent de fait à réduire une partie des déchets radioactifs. « Les centrales que nous construisons actuellement sont beaucoup plus sûres que celles construites à Fukushima. Avec les EPR notre but ultime est de supprimer autant que faire se peut le risque d’accident » précise Guy Laval.
Les accidents sont rares mais toujours très inquiétants car les enjeux sont colossaux. Le cas de l’accident de Three Mile Island en 1978 en est un exemple. « Le réacteur PWR de Three Mile Island était un réacteur de deuxième génération qui eut une fusion partielle du cœur suite à une série d’événements accidentels. Cette fusion fut limitée à l’intérieur de la cuve sans aucune conséquence extérieure et aucune conséquence physiologique pour les êtres humains » assure Gilbert Ruelle. Et il poursuit : « Si vous reprenez l’exemple de Fukushima, vous avez certainement vu ses images d'explosions d’hydrogène… Voilà quelque chose qui ne risque pas d’arriver dans les PWR en France car ils sont munis de piège à hydrogène. Par ailleurs les rejets de bouffées radioactives volontaires que nous avons pu observer au Japon ne pourraient pas non plus se produire en France car tous les PWR français sont équipés de filtres à sable capables de capter 90 % de la radioactivité émise ».
Pourtant, des leçons de l'accident de Fukushima sont à tirer. Il est important de s’assurer que de multiples systèmes de mesures de refroidissement s’enclenchent en cas d’accident, et cela , indépendamment de toute inondation ou catastrophe climatique. « Lors de la tempête de 1999, la centrale du Blayais a eu quelques postes de secours noyés » rappelle Gilbert Ruelle.
Vers une réexploitation partielle de nos déchets radioactifs avec les centrales de quatrième génération
La question qui soucie le plus les spécialistes du nucléaires en France, c’est la gestion de nos déchets, c'est-à-dire nos combustibles usés. Une fois arrivé en bout de course le combustible est retiré. Pour cela l’arrêt annuel de la centrale pendant un mois est nécessaire. Le combustible retiré est stocké dans des piscines de refroidissement. Passé plusieurs années, le combustible baisse en température et en radioactivité.
Quant aux isotopes plus lourds comme l’uranium et le plutonium ils sont envoyés à la Hague pour un retraitement. Leur durée de vie est plus longue, on l’estime a plusieurs centaines ou milliers d’années…
Sur place à La Hague, on extrait le plutonium, « une particularité française qu’a adoptée le Japon récemment » souligne Gilberte Ruelle. « Ce plutonium sera un combustible idéal pour la quatrième génération de réacteurs » ajoute-t-il. Grâce à ce combustible « nous pourrons brûler dans ces prochaines centrales de l’uranium 238 qui représente 99,3% de l’uranium naturel » (Pour rappel, on ne travaille que sur 0,7% de l’uranium).
En stockant ces déchets radioactifs, nous stockons également une partie de l’énergie nécessaire à nos prochaines centrales. « Notre production d’énergie nucléaire est de ce fait assurée pendant 5000 ans » précise Guy Laval.
Les tests de sécurité réalisés dans les centrales
Pour rappel, suite à l'accident de Fukushima le 11 mars 2011, de nombreux pays ont reconsidéré leur stratégie dans l'atome civil : l'Allemagne a pris des décisions drastiques, l’Italie qui s'apprêtait à relancer son programme vient de décréter un moratoire d'un an.
En France le gouvernement a demandé un état des lieux de nos centrales. « Nous procédons à des révisions décennales de chaque centrale » nous explique Gilbert Ruelle. « La liste de contrôle est drastique et supervisée par l’Autorité de sûreté nucléaire, une autorité indépendante.
Aux Etats-Unis, ils ont obtenu d’un seul coup un label de fonctionnement de 60 ans ! Nous ne pourrions jamais procédé ainsi en France. Tous les 10 ans, l’ASN décide si oui ou non il est possible de prolonger la vie d’une centrale de 10 ans supplémentaires ».
Que penser des « 30 ans » communément admis pour la durée de vie d’une centrale ?
« Il s’agit d’une durée de vie économique ! » s’exclame Gilbert Ruelle, « la durée d’amortissement de construction. Il ne faut pas confondre la durée de vie économique avec la durée de vie physique ».
La France peut-elle sortir de l’énergie nucléaire ?
Pour nos deux invités, cette industrie est d’une très grande inertie, « nous n’arriverions pas à arrêter toutes les centrales en France, les pertes financières seraient trop importantes ».
Alors le débat politique actuel sur la sortie du nucléaire est-il vain ? Pour Guy Laval, la question valable aujourd'hui est de savoir si nous augmenterons la production nucléaire ou si nous envisagerons de la faire baisser dans le futur.
Et l’académicien de nous rappeler que le projet ITER pourrait certainement faire avancer le débat : « ITER est une grande expérience de recherche sur la fusion. Au contraire de la fission qui consiste à séparer les noyaux, il s’agit ici de constituer des noyaux de taille supérieure à ceux qui entrent en interaction. Ces petits noyaux se combinent pour devenir plus gros et libèrent de l’énergie ». Il faut pour cela atteindre des températures de plusieurs centaines de millions de degrés d’où la difficulté à réaliser cette expérience.
« ITER est une promesse pour le futur, car la fusion n’a pas les défauts de la fission. J’espère que nous arriverons à faire fonctionner le prototype d’ITER à l’horizon 2050 ».
Cette émission n’a pas pour ambition de lancer un débat « pour ou contre le nucléaire civil » mais vise à comprendre comment fonctionnent les centrales nucléaires, leur durée de vie, le travail des comités indépendants qui réalisent les tests et pourquoi la France s'est tournée vers une énergie électrique essentiellement nucléaire.
Une seconde émission consacrée à l'analyse de l'accident de Fukushima sera prochainement mise en ligne sur le site de Canal Académie.
Guy Laval est physicien, directeur de recherches émérite au CNRS, membre de l’Académie des sciences, vice-président délégué aux relations internationales.
Gilbert Ruelle est membre fondateur de l’Académie des technologies. Il a présidé pendant huit ans au sein de cette académie la commission Énergie et changement climatique. Ingénieur il a effectué sa carrière chez Alstom.
En savoir plus :
- Guy Laval de l'Académie des sciences
- Consultez l'ensemble de nos émissions en compagnie de Guy Laval
- Gilbert Ruelle de l'Académie des technologies
- Consultez Les éoliennes : une fausse bonne idée pour la France ? en compagnie de Gilbert Ruelle
Livre cité au cours de l'émission :
- Claude Allègre, Faut-il avoir peur du nucléaire, éditions Plon, 2011
- Jean-Louis Basdevant, Maîtriser le nucléaire, que sait-on et que peut-on faire après Fukushima, éditions Eyrolles, 2011
Contributions de Guy Laval :
- L'énergie bleue : Une histoire de la fusion nucléaire, éditions Odile Jacob, 2007
- Rapport sur la Science et la Technologie, N°26 : La fusion nucléaire : de la recherche fondamentale à la production d'énergie ?, EDP siences, 2007