Jean-Luc Marion : espace public ou sphère privée, quelle place pour la laïcité ?
La laïcité est régulièrement l’objet de débats dans notre société, notamment à travers les tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Cette émission vous propose le regard du philosophe Jean-Luc Marion, de l’Académie française..
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La société actuelle serait entrée dans une sorte de nihilisme, c'est-à-dire une société de production de valeurs où toute chose a un prix décidé par ceux qui évaluent ces valeurs.
Qu'entend Jean-Luc Marion par "nihilisme" ?
Le philosophe académicien prend des exemples relatifs à l'actualité comme la crise économique qui balaye actuellement le monde. Qui est capable d'expliquer exactement cette crise et ses conséquences ? Les économistes, de quelque école de pensée qu'ils soient, observent un dialogue de sourds. Et de poursuivre parallèlement sur les rapports entre les éducateurs et leur "public" en remarquant qu'ils n'arrivent plus à faire valoir leur autorité.
Les valeurs
Les « valeurs », ne sont en aucun cas une « vérité » puisque toute pensée est une valeur. Il n'y a pas de ligne directrice, chacun agit comme il l'entend au nom de la liberté. C'est à travers cet exemple que Jean-Luc Marion parle de « situation de nihilisme ».
Le rapport à la laïcité
Cette situation de nihilisme aboutit à la situation suivante classique : personne n'écoute personne. Les dirigeants ne sont pas une référence pour le peuple. Le Pape, grande figure de la chrétienté, en revanche, est écouté. Mais beaucoup sont en désaccord avec ses pensées. Il prétend détenir de la rationalité. « La distinction entre l'Église et l'État qui est nécessaire doit-elle vraiment conduire à une laïcité de combat et enfermer la foi religieuse dans la sphère privée ? »
C'est un fait: la distinction entre pouvoir politique public et pouvoir religieux a toujours été conflictuelle; l'Église a toujours voulu diriger aussi la politique. Cette distinction État/religion a été un combat idéologique particulier en France depuis la loi de 1905 qui institue cette séparation.
Il est cependant faux de dire que la foi religieuse est enfermée dans la sphère privée ou même que l'on saura l'y enfermer. Il est évident que « l'espace public neutre », que certains prêchent tant en France, n'existe pas. La rue, par exemple, est le plus grand espace public, et chacun y manifeste sa foi ouvertement.
Jean-Luc Marion l'affirme : « On peut même reconnaître que l'avenir de la République repose sur l'intégration de toutes les religions ». Cela existe déjà en partie. Citons les nombreuses écoles catholiques ou les associations d'aide aux démunis, elles aussi catholiques.
« Ce qu'il faut », poursuit-il, « c'est réussir à intégrer toutes les nouvelles religions à l'État . Ainsi l'ensemble de ses religions s'investira dans le maintien de la paix sociale, dans le combat des valeurs et même dans l'éducation. Le succès des Instituts catholiques, par exemple, est indéniable face aux facultés classiques. »
En conséquence selon Jean-Luc Marion, « on voit dans la laïcité une inadéquation entre le discours tenu et la réalité ». Le discours est tel que l'on souhaite une séparation stricte entre l'État et la religion. Or, la réalité montre que les organisations religieuses ont de l'avance sur les valeurs et les modes de fonctionnement par rapport à l'État.
Jean-Luc Marion, philosophe et professeur à la Sorbonne et à Chicago, est un spécialiste de Descartes, un phénoménologue ; il a développé une nouvelle approche de Dieu, débarrassée des pesanteurs de l’Etre, pour mieux reprendre cette question.
En savoir plus :
- écoutez : Mort d’une idole : Entretien avec Jean-Luc Marion, de l’Académie française
- Jean-Luc Marion sur le site de l'Académie française : ici
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