Marianne Bastid-Bruguière : Les Chinois et les révoltes du monde arabe
Comment les Chinois perçoivent-ils les révoltes et les révolutions arabes depuis le début de l’année 2011 ? Quelles sont les conséquences qu’on peut aujourd’hui discerner de l’écho de ces révoltes en Chine ? Le regard de l’académicienne sinologue Marianne Bastid-Bruguière sur cette histoire immédiate.
Comment les Chinois voient-ils le monde arabe et les Arabes ? Pour ce deuxième rendez-vous régulier des "Nouvelles de la Chine" avec Marianne Bastid-Bruguière, enregistré le 16 mars 2011, nous vous proposons d'aborder la lecture, les réactions et les commentaires que les Chinois ont pu faire de ces événements.
Les liens culturels et économiques entre monde arabe et monde chinois sont forts et anciens. L'islamisation de l'Asie remonte au IXe siècle et l'ensemble des 18 provinces de la Chine comptent chacune une minorité musulmane. "Monde chinois et arabe" constituent une mosaïque de peuples et de cultures que nous avons souvent tendance à enfermer en un même ensemble réducteur ; l'un et l'autre ayant l'habitude des minorités et des pouvoirs autoritaires, autre point commun.
Sur le plan économique, les Chinois sont très présents dans les pays arabes : étudiants et entreprises ont noué sur place des liens importants. L'actualité récente des affrontements en Libye entre partisans du régime en place et opposants, a révélé au public français, par exemple, la présence de 37 000 Chinois. Marianne Bastid-Bruguière nous précise que 75 compagnies chinoises étaient présentes sur place et que 50 projets de construction étaient en chantiers, plus de la moitié a été pillée durant les guerre civile en cours. Les pays arabes, pour ceux d'entre eux qui sont producteurs de pétrole, représentent un marché important pour les entreprises chinoises de recherche pétrolière offshore et d'équipements d'exploitation. La défense des intérêts chinois en matière d'approvisionnement en pétrole conduit la Chine à chercher des alliés et concevoir une action au Moyen-orient qui ne soit pas focalisée sur la relation avec les Etats-Unis.
Plus que ce qu'on appelle désormais la Révolution de jasmin en Tunisie, c'est la révolution qui s'est déroulée en Egypte dans son sillage, qui suscite désormais en Chine un flot d'informations et un vaste débat, animé dans la presse, à la télévision, sur Internet, dans les milieux intellectuels et universitaires et y compris, plus surprenant, dans le personnel politique. Il n'y a pas de censure sur l'information et les images en provenance des différents pays concernés. La couverture est même parfois plus complète que dans les médias européens et américains d'après Marianne Bastid-Bruguière. Elle nous explique qu'ils sont souvent à double entente et sarcastiques, même sur les sites officiels.
- Quelle analyse les autorités chinoises ont-elles fait du poids des Etats-Unis au Proche-orient et de la gestion par Obama des révoltes et révolutions arabes ?
- Les révoltes arabes peuvent-elles avoir une influence sur d’éventuelles révoltes en Chine ?
- Les Chinois ont-ils été curieux de cette aspiration à la démocratie des pays arabes ? Comment ?
L’appel à manifestation hebdomadaire diffusé par Internet tous les dimanches dans dix grandes villes est, semble-t-il, peu suivi, au regard du déploiement policier mis en place, les jeunes se sont méfiés d'une réaction répressive immédiate des autorités.
Le 5 mars dernier lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale du peuple qui est l’occasion pour le premier ministre de faire un bilan de l’année et de donner les objectifs et les grandes orientations de la politique des cinq prochaines années de la politique chinoise, il a été question de « droit au bonheur », une question inédite. Mais surtout les Chinois ont interpellé leurs députés sur des problèmes de logement, de corruption, de justice. Ce débat nouveau, par sa simple existence, est-il une façon de désamorcer d’éventuelles révoltes en Chine à l’instar de ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte ou une évolution des mœurs politiques chinoises ?
La réaction des autorités chinoises s'est aussi dirigée sur Internet, par l'ouverture de portails, par la publications de réponses aux internautes aux commentaires sélectionnés d'internautes. Les centaines de milliers de connexions sur ces questions et les réponses du pouvoir révèlent l'existence d'un espace public, collectif, opérationnel pour l'échange politique : sorte de Cahier de doléances des temps modernes. La politique chinoise paraît bien plus en avance qu'il n'y paraît dans la maîtrise des réseaux sur Internet et ailleurs. Juste avant l'ouverture de la session annuelle de l'Assemblée nationale, le Premier ministre Wen Jiabao s'est livré à un exercice inédit en répondant en direct, sur le Net à des questions d'internautes sur les problèmes sociaux pendant deux heures. Les commentaires sur les sites officiels sont autorisés mais pas l'interaction entre internautes. La couverture de la session fut plus fournie que d'habitude, nous précise Marianne Bastid-Bruguière, et a fait surtout l'objet d'innombrables commentaires sur le travail de la législature. Sur le site officiel plus de 460 000 messages ont été reçus et 130 ont été publiés.
Entre saisir sa chance, gagner du terrain là où les Etats-Unis en perdent ou se tenir à distance sur la scène des pays arabes : le personnel politique chinois oscille...
Marianne Bastid-Bruguière est une sinologue française qui a enseigné à l’université de Pékin dans les années soixante. Directeur de recherches au CNRS, ancienne directrice adjointe de l’École Normale Supérieure, elle a consacré l’essentiel de ses travaux à l’histoire de la Chine moderne et contemporaine. Chercheur de renommée internationale ayant travaillé avec des sinologues du monde entier, sa connaissance de l’Asie et de la civilisation chinoise en font une observatrice avisée de l’actualité de la Chine. Membre de l’Institut, au sein de l'Académie des sciences morales et politiques, depuis 2001, elle est vice-présidente de l'Académie pour l’année 2011.
Pour en savoir plus
Nouvelles de la Chine sur Canal Académie :
-Marianne Bastid-Bruguière : Retour sur la visite du président chinois en terre américaine
-Marianne Bastid-Bruguière, Le débat intellectuel en Chine
- Marianne Bastid-Bruguière est membre de l'Académie des sciences morales et politiques et vice-présidente de l'Académie pour l'année 2011.
Comme tous les invités et chroniqueurs de Canal Académie, les propos de Marianne Bastid-Bruguière ressortent de son point de vue personnel et n'engagent pas l'Académie dont elle est membre ni l'Institut de France.