Drogues et recherche d’identité
S’il existe bien un domaine où la notion de liberté ouvre à polémique c’est bien celui de l’usage des drogues... Bernard Roques, membre de l’Académie des sciences, développe cet angle dans le cadre d’un colloque organisé par la fondation Simone et Cino Del Duca consacré à l’identité changeante.
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La consommation de drogues entraîne une modification de nos états de conscience. Or la conscience peut se définir et c’est qui est soutenu par des spécialistes des sciences cognitives, comme le fait d’avoir ressenti une émotion et de savoir, au sens de l’analyse, qu’il s’agissait bien d’une émotion.
La liberté est une notion métaphysique qui concerne le statut de l’homme au sein de la nature. Elle oppose deux grandes théories :
- La première privilégie l’absence de contrainte, d’assujettissement à un ordre social, c’est l’ivresse de la liberté.
Cette notion de liberté souvent reprise par des consommateurs de drogues s’appuie sur l’hédonisme, même si les substances consommées changent notre état de conscience. Elles ont d’abord une action positive sur notre état psychique en procurant une sensation plus ou moins intense de plaisir. En effet, toutes les drogues activent dans notre cerveau reptilien ce qui conditionne les fonctions « animales » les plus essentielles : manger, se reproduire, s’adapter. Dans les civilisations les plus anciennes où la notion de liberté n’était pas formulée comme une entrave à la volonté, la consommation des hallucinogènes, premières drogues avec l’alcool à avoir été utilisées, avait pour mission de transcender les limites de notre conscience pour atteindre au dieu suprême.
- À cet abandon au désir s’oppose les philosophies moralistes illustrées par Jean-Jacques Rousseau, donnant à la liberté morale la propriété de rendre seule l’homme vraiment maitre de lui, l’obéissance à la loi étant seule caution de liberté.
Le développement de nos connaissances sur les drogues et leur mécanisme d’action a bouleversé ces notions philosophiques antagonistes. Nous savons désormais que de nombreux paramètres biologiques et environnementaux, traduction génétique et épigénétique de nos comportements vont bouleverser notre approche de la consommation de drogues.
Nous sommes totalement inégaux devant la transition délétère qui conduit de la consommation récréative à l’abus, puis à la dépendance désormais traduite en addiction, trouble compulsif qui peut s’exercer de différentes manières mais qui résulte dans tous les cas, à une impossibilité de résister au désir de reproduire l’action en dépit de la connaissance des désordres majeurs (internes et externes) que ceci produit.
Dans ces conditions, qu’en est-il de la notion de liberté ?
Faut-il en épousant le principe de précaution ne jamais consommer de psychotropes, y compris l’alcool, faut-il s’en remettre à sa volonté pour dominer notre déterminisme en s’abandonnant à nos désirs ?
Ainsi Spinoza écrit dans l’Ethique : «Telle est cette liberté humaine que tous vantent de posséder et qui consiste en cela seul que le hommes ont conscience de leur appétit et ignorent les causes qui les déterminent» .
Écoutez la communication de Bernard Roques, Professeur des sciences pharmaceutiques et biologiques, membre de l’Académie des sciences. Il s’est exprimé dans le cadre du colloque consacré à l’identité changeante de l’individu qui s’est déroulé les 24-25 janvier 2008 à la fondation Simone et Cino Del Duca
Écoutez les autres intervenants de ce colloque :
- Vrais jumeaux : entre ressemblances et différences génétiques
- L’identité dans les textes de droit
- Définition de l’identité : la réconciliation entre philosophes et scientifiques
- Identité biologique : gènes génomes et environnement
Ecoutez également Pierre Buser, membre de l'Académie des sciences, sur Dissociations et hallucinations : deux pathologies de l’identité, émission réalisée suite aux communications consacrées au colloque sur li'dentité changeante.
En savoir plus :
- Bernard Roques, membre de l'Académie des sciences
Bernard Roques, La dangerosité des drogues, éditions Odile Jacob, 1998