Dissociations et hallucinations : deux pathologies de l’identité
Janet, Charcot, Freud : Pierre Buser, neurobiologiste membre de l’Académie des sciences, évoque les travaux de ces trois grands médecins sur les dissociations et les hallucinations. Où ranger les psychoses, les schizophrénies, les hystéries ? Comment se déclenchent-elles ? Éléments de réponses dans cette émission.
La dissociation est un écroulement de l’ego si intense, que la personnalité est considérée comme littéralement cassée en morceaux
Les travaux sur ces troubles remontent XIXe siècle avec le psychologue Pierre Janet (1859-1947). Celui-ci pensait que la dissociation exprimait l’effet des traumatismes de jeunesse chez des femmes (agressions sexuelles, incestes) essentiellement, cela créant à terme des dissociations ou problèmes de multiples personnalités
Il avait pris pour habitude de traiter ses patients par l’hypnose, considérant que la maladie n’était pas une maladie somatique, mais une maladie psychique.
Entre temps Jean-Martin Charcot, (initialement neurologue) fut conduit à traiter des hystériques, et s’est intéressé à l’hypnose.
À la différence de Pierre Janet, Charcot interprète le phénomène mental comme quelque chose de physiologique, et trouve en cela des détracteurs tel qu'Emile Bernheim pour qui l'hypnose n’est que le simple effet d’un phénomène social et intersubjectif omniprésent.
C'est à cette époque que débute de la lutte entre les pro-biologique et les pro-sociologique (appelés plus tard les pro-mentale).
Si l’on range dans les dissociations les troubles de la personnalité multiple, peut-on dire que la schizophrénie est une dissociation ?
La réponse est difficile. En effet le travail de Janet n’était pas complètement axé sur la schizophrénie, qui à cette époque là, n’était pas encore totalement décrite dans son ensemble.
Ce que nous décrit Janet, ce sont des femmes jeunes qui peuvent changer de personnalité tout à coup. L’exemple le plus connu est celui de sa patiente Lucie, qui possédait trois personnalités bien distinctes :
- Lucie 1
- Lucie 2
- Lucie 3 (qu’elle appelait Adrienne)
Pour Janet, il était question de scission de la conscience et de la perception, qu'il explique par un affaiblissement de la puissance de synthèse (conséquence de trouble événementielle, l’émotion ayant une action dissolvante).
Point essentiel de ces dissociations : toutes ses fonctions de mémoire, perception, attention restent intactes.
En cela, la dissociation est très différente d’une psychose hallucinatoire, en particulier chez les schizophrènes (pour qui il y a à la fois dissociation et désorganisation complète des diverses fonctions)
La position de Freud
Freud et Janet ne s’entendaient pas, en particulier parce que le célèbre psychanalyste ne croyait pas au morcellement de ces personnalités. Vers la fin de sa vie, Freud semble cependant rencontrer des cas de dissociations et parle de « Ichspaltung» (coupure du soi)
Les épidémies de dissociation
Dans les années 1970, un phénomène surprenant se déroule : des épidémies de dissociations essentiellement aux Etats-Unis en Hollande et un peu en France. Elles disparaissent en 1990.
L’explication se trouve dans le contexte historique de la guerre du Vietnam et de la guerre du Kosovo.
La guerre en elle-même ne crée pas de dissociation, mais elle réveille le plus souvent des traumatismes sexuels de l’enfance. Ian Hacking, dans son ouvrage L’âme réécrite livre une étude fouillée et passionnante de la personnalité multiple.
Les hallucinations
L’hallucination n’est pas une illusion ni une perception : il s’agit de la vision de quelque chose qui n’existe pas
- l’hallucinose : le patient voit des choses, mais il n’y croit pas
- l’hallucination peut arriver à tout le monde, que l’on ait ou pas une pathologie psychiatrique. Les cas de tumeurs et d’épilepsie sont des exemples.
Mais la plus grande partie des hallucinations s’observent dans des syndromes psychotiques, et de schizophrénie en particulier.
Pour Sigmund Freud, l’hallucination est un désinvestissement du système conscient.
Écoutez Pierre Buser, neurobiologiste, neuropsychologue. Agrégé de sciences naturelles en 1946, Pierre Buser s'est progressivement intéressé à la neurobiologie intégrative. Il est membre de l'Académie des sciences depuis 1988.
En savoir plus :
- Pierre Buser, membre de l'Académie des sciences
- Jean-Martin Charcot, membre de l'Académie des sciences
- Ian Hacking, professeur honoraire au Collège de France
Hacking Ian, L'âme réécrite : étude sur la personnalité multiple et les sciences de la mémoire, Paris, les Empêcheurs de penser en rond, 1998
- Cette émission a été réalisée suite au colloque organisé à la fondation Simone et Cino Del Duca, le 24-25 janvier 2008, consacré à l'identité changeante.
Parmi les nombreuses interventions, écoutez :
-* Vrais jumeaux : entre ressemblances et différences génétiques
-* L’identité dans les textes de droit
-* Définition de l’identité : la réconciliation entre philosophes et scientifiques
-* Drogues et recherche d’identité