Emile Durkheim et la religion
Raymond Boudon présente ici comment Émile Durkheim, auteur de Les formes élémentaires de la vie religieuse concevait les croyances religieuses. C’est pour lui l’occasion de revenir sur une question qui lui est chère : « qu’est-ce qui fait que les croyants croient ce qu’ils croient ? ».
A l’occasion du 150 ème anniversaire de l’un des plus grands sociologues français, Emile Durkheim, l’Académie des sciences morales et politiques a tenu un colloque à l’Institut de France, les 4 et 5 novembre 2008. Le sociologue Raymond Boudon y est intervenu sur le thème de la religion selon Durkheim.
Selon Durkheim, « les croyances religieuses doivent s’expliquer comme des croyances scientifiques ». Dans ce cadre, il convient de désigner par « religion » la distinction effective entre « sacré et profane ». De fait, le monde sacré est révélé par un sentiment, c’est-à-dire « une crainte sui generis faite de respect ». Raymond Boudon introduit alors des précisions sémantiques sur la notion de valeur. Notion que Durkheim n’utilise manifestement pas, alors que le philosophe Nietzsche, en faisait, à la même époque, un grand usage. L’orateur l’explique par le fait que Durkheim ne reprenait pas la perspective « réductionniste » de ce dernier. Toutefois il souligne que l’ancien binôme sacré/profane équivaut aujourd’hui à celui de valeur/réalité. Á l’instar de William James, Georg Simmel et Max Weber, ses contemporains, Durkheim définit « l’expérience religieuse » comme « une réalité non illusoire ». Ainsi, « le sentiment religieux sui generis fait de respect plutôt que de crainte » n’est pas le produit d’une illusion. En outre, Boudon nous explique que le sociologue français, dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse, félicite Kant parce que le philosophe allemand conçoit la raison comme le sésame tant du monde profane que du monde sacré.
Autant pour son positionnement philosophique, passons maintenant à ses démons, à ses démons « cognitifs » diraient certains…
Après nous avoir expliqué que « l’être humain, selon Durkheim, n’adhère qu’à ce qui lui paraît reposer sur des raisons fortes », Raymond Boudon s’interroge sur les raisons pour lesquelles le fondateur de la sociologie française se propose de répondre à la question suivante : « Pourquoi le croyant devrait imaginer que l’âme est un double du sujet dont l’expérience lui aurait été suggérée par le rêve ? » De fait, nous répond Boudon, si l’âme se distingue de l’esprit, car elle est incarnée dans le sujet, l’esprit en revanche ne saurait être « durablement illusionné », de sorte que le rêve ne peut pas en être l’origine. Aussi, en guise de conclusion provisoire au problème, Durkheim soutient l’idée d’une universalité de l’âme. Ce qui lui permet d’introduire les questions éminemment importantes que voici : « De quoi l’âme est-elle le symbole ? », « Pourquoi la dualité de l’individu est-elle exprimée de façon symbolique ? » Premièrement, si les valeurs sont constitutives du moi, le moi, néanmoins, n’en est pas la source. Secondement, Boudon nous apprend que « le symbolisme provoque un profond sentiment d’inconfort intellectuel et suscite un désir de clarification : la glose ».
Enfin, Raymond Boudon aborde les problèmes durkheimiens autrement importants qui concernent les « données de l’expérience », les « savoirs-faire », et « le grand service des religions à la pensée », c’est-à-dire avoir su établir « le rapport de parenté entre les choses ». Ainsi peut-on répondre avec aisance à la raison pour laquelle « la magie est toute pleine d’éléments religieux » et aux raisons pour lesquelles les théories magiques et scientifiques se maintiennent alors qu’elles se révèlent fausses ou inexactes au regard de la réalité. De plus, il devient possible de comprendre comment la réalité peut confirmer des idées fausses. Et au total, dans une perspective plus historique, Raymond Boudon donne de nombreux exemples qui nous font découvrir comment et « pourquoi la magie et la science coïncident »…
Ecoutez aussi les autres émissions enregistrées pendant ce colloque :
- Emile Durkheim et Friedrich Ratzel : frontières disciplinaires
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