Robert Debré, mon père
C’est à l’occasion des 50 ans de la réforme qui créa les centres hospitalo-universitaires que l’Académie de médecine a rendu hommage à l’un des fondateurs : Robert Debré.
Hommage lui est rendu par sa fille Claude Monod-Broca et par Jean Dausset, dont le texte est lu par le secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine Jacques-Louis Binet.
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Après la naissance de leur fils Robert en 1882 à Sedan, les parents Debré s’installent à Paris. C’est dans la capitale que Robert Debré grandit et fait ses études. Orienté dans la filière littéraire, il s’inscrit à la Sorbonne en philosophie jusqu’à la licence.
Lycée et université correspondent à l’âge des rencontres.
Il découvre le monde ouvrier avec Louson, ami lycéen anarchiste ; une amitié qui durera 80 ans malgré leurs lignes de vies bien différentes. (Il s’intéressera bien plus tard dans sa carrière aux universités populaires et participera à la création d’une imprimerie autogérée).
A la Sorbonne il rencontre Charles Péguy, maître à penser qui fait de la rigueur morale, de la vérité, et de l’amitié des principes de vie. Mais malgré l’enthousiasme avec lequel Robert Debré suit Péguy, il se rend compte qu’il n’est pas fait pour les débats d’idées. Il lui faut de l’action.
Il décide alors brusquement de basculer en médecine. « Tu vas passer la moitié de ta vie à passer des examens, et l’autre moitié à en faire passer à d’autres » lui fait remarquer Péguy. Mais la décision de Robert Debré est prise.
C’est en passant le concours de médecin que Robert Debré fait la connaissance de Jeanne Debat-Ponsan, une des toutes premières femmes internes. Elle deviendra sa femme en 1908.
Comme tous les médecins, sa carrière s’interrompt pendant la guerre de 14.
Quatre ans plus tard, en 1918, il prend la direction de l’Institut d’hygiène et la chaire de bactériologie. Il prononce la première leçon en français à l’université de Strasbourg.
Après un an en Alsace, il revient cependant à Paris, où les 20 ans de paix et de travail sont dominés par une activité riche. Il passe ses matinées à l’hôpital où il soigne bénévolement tout en enseignant la clinique aux jeunes. L’après-midi est consacré aux consultations à domicile ainsi qu’aux séances de société savantes et de jury d’examen. Il réserve ses soirées à la rédaction d’articles médicaux.
Lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, Robert Debré est nommé médecin consultant au quartier général avec le grade de Lieutenant-colonel. Mais cette période de trop grand confort le pèse. Après la débâcle qui le mène jusqu’à Bordeaux avec le gouvernement, il remonte à Paris. Il affronte l’Occupation et les lois d’exceptions anti-juives promulguées par Vichy dès l’été 40.
Robert Debré décide de ne rien changer à ses activités. Mais malgré l’intervention en sa faveur de personnalités telle que Paul Valéry auprès de Pétain, il est exclu du corps enseignant en décembre 40 (bien qu’élu à l’unanimité par ses pairs à la chaire de clinique médicale des enfants malades).
En 1943, il est également suspendu de ses fonctions de chef de service.
Cette même année, en septembre, deux soldats allemands viennent le chercher à son domicile où il est en consultation. Il s’éclipse alors en sortant par une porte de service et se réfugie chez son élève Julien Marie.
Les Allemands reviennent régulièrement. Sa servante est convoquée à la gestapo ; sa secrétaire emprisonnée quelques jours. Mais les deux femmes restent muettes.
La vie clandestine dans le maquis parisien commence.
Robert Debré qui s’est engagé dans la Résistance, prend le nom de Flaubert. Il participe à la création de faux papiers au sein de son service à l’hôpital et cache des enfants juifs.
Il se cache également chez son ami le docteur Henry le Savoureux dans la maison de Chateaubriand.
Mais Robert Debré n’entend pas vivre reclus pour autant.
Il se rend à l’Ambassade d’Allemagne où un pédiatre souhaite avoir son avis. Robert Debré, Juif, résistant, sait qu’il risque à tout moment d’être arrêté et envoyé en camp de concentration. Sa profession passe avant sa sécurité.
De même, en hiver 1943, un repas réunit Robert Debré, le fils aîné Michel, prisonnier de guerre évadé et recherché par la gestapo et le jeune frère Olivier, réfractaire au Service du travail obligatoire. En cas d’urgence, Robert Debré conservait un comprimé de cyanure de potassium sur lui.
A la Libération de Paris le 20 aout 1944, Robert Debré hissa le drapeau français sur le toit de l’école de médecine, avec Pasteur Valéry Radot et le doyen de la faculté.
« Nos enfants, c’est notre éternité » écrit-il. Fondateur de la pédiatrie française, Robert Debré est certainement le médecin qui a soigné le plus grand nombre d’enfants. Au début de sa carrière, il développe le placement familial des nouveaux nés pour les protéger de leurs mères tuberculeuses. Il participe aussi à la création du Fond international de secours à l’enfance (UNICEF).
C’est aussi sous l’Occupation, dans la clandestinité la plus totale avec un groupe de médecins, que Robert Debré jette les bases de la réforme de l’enseignement médical. Il rédige un rapport sur l’exercice de la profession et de l’enseignement de la médecine qu’il transmet au gouvernement provisoire.
Ecoutez Claude Monod Broca, fille de Robert Debré. Elle s’exprime en détail sur quelques éléments peu connus de la vie de son père.
Dans la deuxième partie de cette séance à l’Académie nationale de médecine, Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de cette Académie, développe l’historique de la réforme de l’hôpital de 1958. Pour cela, il s’appuie sur un extrait de Clin d'oeil à la vie de Jean Dausset. Ce dernier revient sur les détails de la réforme de l’hôpital, créant les hôpitaux universitaires (CHU).
Après la Seconde Guerre mondiale la sécurité sociale, grande préoccupation du général De Gaulle, est mise en place. En revanche, rien n’est encore fait pour moderniser les hôpitaux.
La réforme de la médecine est l’œuvre de Pierre Mendès-France, du Général De Gaulle, de Robert Debré et de Michel Debré. Réunis sous le nom de l’Amicale des médecins radicaux en 1955, tous rêvent alors d’une médecine plus efficace.
André Roussel et Jean Dausset sont alors parachutés dans le cabinet ministériel de Pierre Mendès-France pour travailler sur cette question.
Si les textes sur les centres hospitaliers sont réalisés en un an, il leur faut encore deux années de plus pour le faire valider en 1958, date à laquelle De Gaulle arrive au pouvoir, avec pour Premier ministre Michel Debré.
En savoir plus :
Robert Debré, membre de l'Académie des sciences, membre de l'Académie nationale de médecine
- Jean Dausset, membre de l'Académie des sciences, membre de l'Académie nationale de médecine, prix Nobel de médecine
- Robert Debré, Ce que je crois (Le Livre de poche), Le Livre de poche
Jean Dausset, Clin d'oeil à la vie. La grande aventure HLA, Paris, Odile Jacob, 1998