Bruno Cotte : Pourquoi une justice pénale internationale ?
Bruno Cotte, de l’Académie des sciences morales et politiques et président de la Chambre de première instance n° 2 de la Cour pénale internationale (CPI), revient sur le rôle de celle-ci depuis sa création en 2002. Cette Cour reste aujourd’hui au cœur de l’actualité avec le procès de l’ancien président ivoirien. L’académicien nous éclaire sur les compétences de cette Cour, chargée de juger les crimes les plus graves.
LA REPRESSION DES CRIMES INTERNATIONAUX
FICTION OU REALITE ?
Pourquoi une justice pénale internationale ?
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- Réprimer les crimes les plus graves, lutter contre l’impunité. Mais avec quelle légitimité ? Ethique et juridique…
La CPI a pour mission de réprimer les crimes les plus graves et de lutter contre les impunités ; dans cette émission, Bruno Cotte s'interroge sur la portée de ce rôle. En effet, la CPI doit-elle sanctionner seulement les personnes physiques ou aussi les Etats? Un autre questionnement central pour l'académicien concerne les avantages que peut fournir une juridiction internationale par rapport aux juridictions nationales.
Après un bref rappel historique en quelques dates (Nuremberg, Tokyo, quelques grandes conventions, les tribunaux ad hoc : TPIYougoslavie, TPRwanda, 17 juillet 1998 : traité de Rome et 2003 : CPI, Timor Oriental, Sierra Leone, tribunal spécial Cambodge, Tribunal spécial pour le Liban…. le rôle de l’ONU dans les tribunaux ad hoc…), Bruno Cotte expose le cheminement qui a conduit– au regard du principe de spécialité des organisations internationales –l’ONU à « s’occuper » de justice pénale internationale.
Les rapports de la justice pénale internationale avec le ou la politique (pour la CPI : il est nécessaire d'avoir une saisine par l’ONU qui peut demander la suspension des poursuites) et avec la diplomatie sont évoqués ainsi que quelques données chiffrées (à titre d’exemple, l’activité du tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie).
La Cour pénale internationale
Bruno Cotte évoque ici les raisons qui ont conduit à la création de la CPI c'est-à-dire la création d’une Cour universelle et permanente, ce qui n’est pas obligatoirement du goût de tous les Etats et explique peut-être l’absence de ratification de la part de certains Etats qui comptent dans le concert international…
Il présente ensuite la Cour (nombre d’Etats ayant ratifié le Statut, les objectifs poursuivis à partir du Préambule du Statut, les principaux rôles de l’assemblée des Etats parties (organe législatif, qui élit les Juges, décide du budget etc…) et l’absence de rôle joué ici par l’ONU (sous réserve de l’existence d’un accord (article 2 du statut), sauf en ce qui concerne un mode de saisine prévu par l’article 13 et une demande de suspension d’enquête ou de poursuite (article 16)).
Deux points principaux sont traités :
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La composition de la Cour:
- les juges : nombre, origine, mode de nomination, différences de cultures, de système juridique, de langues, de méthodes de travail… rôle des assistants (leur recrutement et leur formation) ;
- l’organisation : Bureau du procureur, Chambres (préliminaire, première instance, appel), Greffe…
- la Défense.
- les Représentants légaux des victimes.
- La compétence de la Cour :
- les crimes visés ;
- le maintien de la compétence des juridictions nationales : la CPI n’entend pas se substituer aux juridictions nationales : « principe de complémentarité » ; ses modalités de saisine : Procureur, Etats, ONU.
Certaines particularités sont aussi évoquées telles que :
- la procédure : hybridation de common law et de civil law,
- les procédures se déroulant dans des pays dans lesquels les conflits sont parfois toujours en cours et où l’insécurité subsiste, avec des conséquences sur :
- la nécessité de protéger les témoins courant des risques : mesures de protection physique pouvant aller jusqu’à des relocalisations et des mesures de protection procédurale : expurgation ou suppression temporaire ou définitive d’éléments susceptibles de permettre l’identification de personnes courant des risques ;
- la compatibilité avec les droits de la défense.
- la participation des victimes (pour la première fois) et la possibilité d’octroyer des réparations.
PORTEE ET LIMITES,
ACTUALITE ET PERSPECTIVE
Fragilités et défis avec l’absence de ratifications de quelques grands Etats. Sont notamment évoquées :
- L’opposition américaine à la Cour et l’article 98 du Statut, fer de lance de la guerre conduite par Washington contre la CPI
- Le Conseil de l’Europe dans le rapport 9567 du 24 septembre 2002, avec la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme ayant pour rapporteur M. Dick Marty, d'origine Suisse, et appartenant au Groupe libéral, démocrate et réformateur intitulé Risques pour l’intégrité du Statut de la Cour pénale internationale, regrette que certains Etats n’aient pas encore adhéré au Traité de la CPI ou qu’ils aient déclaré qu’ils n’avaient pas l’intention de devenir partie à ce Traité.
- La Commission des questions juridiques et des droits de l'homme est profondément préoccupée par les efforts déployés par certains Etats pour saper l'intégrité du Traité de la CPI et notamment pour conclure des accords bilatéraux visant à soustraire leurs responsables, leur personnel militaire et leurs ressortissants à la juridiction de la Cour (“accords d’immunité”).
La Commission est de l'avis que ces “accords d’immunité” ne sont pas acceptables en vertu du droit international régissant les traités et ne sont pas compatibles avec les dispositions du Statut de la CPI.
Bruno Cotte s'intéresse également, lors de cet entretien à la position de la France et la question de l’article 124.
Conclusion
Il peut exister des modes alternatifs de « sortie » de conflits comme par exemple avec les commissions « Vérité et Réconciliation ». Mais est-ce suffisant ?
La poursuite des crimes les plus graves ne devrait-elle finalement pas incomber à tous ? Que penser de la notion de « compétence universelle »? (affaire Pinochet, Belgique et ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo, Abdulaye Yerodia Ndombasi – arrêt de la CIJ du 14 février 2002, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000).
Quid de l’obligation internationale de poursuivre et juger qui est inscrite à des conventions telles que celle de New-York de 1984 contre la torture qui consacre la compétence universelle en faisant obligation aux Etats d’engager des poursuites devant n’importe quel tribunal ? Elle fait obligation de punir et prévenir quelle que soit la nationalité de la victime et de l’auteur.
Biographie de Bruno Cotte:
Un académicien, magistrat à la Cour pénale internationale
C’est à un double titre que Canal Académie accueille Bruno Cotte : l’académicien mais aussi le magistrat de la Cour pénale internationale, au moment où l’actualité internationale en la matière est dense et grave, avec le transfert vers La Haye de l’ancien Président de Côte d’Ivoire notamment.
- Bruno Cotte, né le 10 juin 1945 à Lyon dans le Rhône, est un magistrat français. Licencié en droit, sorti second du concours de l'École nationale de la magistrature.
Une nouvelle carrière pour Bruno Cotte
Le 17 janvier 2008, Brunot Cotte prêtait serment devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Pourtant il a commencé sa carrière en 1970 comme magistrat à l'administration centrale du Ministère de la Justice.
Chef de cabinet du directeur des Affaires Criminelles et des Grâces de 1971 à 1973, Substitut au parquet de Lyon (1973-1975), Chef du bureau de l'action publique, Chargé des affaires économiques et financières à la Direction des Affaires criminelles et des Grâces (1975-1980), Chargé de mission auprès du premier président de la Cour de cassation (1980-1981), il devient en 1981 Secrétaire général du procureur général de la Cour d'Appel de Paris.
Sous-directeur de la justice criminelle en 1983, il est nommé en 1984 directeur des Affaires Criminelles et des Grâces sous quatre Gardes des sceaux. Puis vient le poste de Procureur de la République de Paris.
Le 28 août 1995, il quitte le Parquet de Paris et sera nommé en octobre avocat général à la Cour de cassation. Le 13 septembre 2000 il est installé dans les fonctions de Président de la chambre criminelle de la Cour de cassation. A la suite de la démission de Guy Canivet, nommé au Conseil constitutionnel le 22 février 2007, il assure la première présidence de la Cour de Cassation par intérim en tant que doyen des présidents de chambre. Il a exercé ces fonctions jusqu'à l'installation du nouveau premier président, Vincent Lamanda, le 30 mai 2007.
A l’issue de 40 ans de carrière, Bruno Cotte « fait campagne »... S'agissant de son élection à la CPI, il fait acte de candidature début juin 2007. Une fois celle-ci retenue par le groupe français de la cour permanente d'arbitrage, il a été présenté comme candidat par le gouvernement, puis a «dû faire campagne», au siège des Nations Unies à New York, avec les représentants des 105 Etats parties au traité de Rome ayant créé la CPI (soit les 105 électeurs)
L'élection comme juge à la CPI s'est déroulé en décembre 2007 à New York suite notamment à la suite de la démission de trois juges de la Cour dont le français Claude Jorda.
Le 30 novembre 2007, Bruno Cotte est élu par l’Assemblée des États parties au Statut de Rome de la CPI à l’issue d’un premier tour de scrutin. Entré en fonction le 17 janvier 2008, pour un mandat de quatre ans et deux mois, depuis octobre 2008 il préside la Chambre de première instance n° 2.
Autre élection : Le 6 décembre 2010, Bruno Cotte est élu au premier tour de scrutin membre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques dans la section Législation, droit public et jurisprudence- qui est l'une des cinq académies composant l'Institut de France - au fauteuil de Roland DRAGO.
En savoir plus :
- La fiche de Bruno Cotte sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques
- Consultez les autres émissions de Canal Académie avec Bruno Cotte:
"Bruno Cotte : notice sur la vie et les travaux de son prédécesseur Roland Drago"