Henri Poincaré : un poète de la mathématique à l’Académie française et à l’Académie des sciences
Mathématicien, mécanicien, astronome, ingénieur des mines et philosophe, Henri Poincaré (29 avril 1854-17 juillet 1912) fut le précurseur majeur de la théorie de la relativité restreinte et résolut partiellement le problème des trois corps dont on ne comprendra la portée que 70 ans plus tard et conduisant à la notion de la théorie du chaos. Il s’attacha également à la vulgarisation des sciences auprès des plus jeunes. Christian Gerini, maître de conférences en philosophie et histoire des sciences, dresse le portrait dans cette émission de celui qui fut à la fois membre de l’Académie des sciences et membre de l’Académie française et dont on commémore le centenaire de la mort en 2012.
Henri Poincaré (à ne pas confondre avec son cousin Raymond Poincaré, président sous la IIIe République) est aujourd’hui retombé dans l’anonymat auprès du grand public. Pourtant, il était mondialement connu au début du XXe siècle pour ses théories mathématiques et ses applications dans tous les domaines de la physique comme l'optique, l'électricité, la propagation de la chaleur, les ondes hertziennes, la thermodynamique, la théorie des quanta ou encore la mécanique céleste, mais aussi pour ses ouvrages de philosophie, qui touchèrent le grand public.
Signe peut-être précurseur qu’il retomberait dans l’oubli, il a toujours vu son nom mal orthographié de son vivant. Sur sa fiche signalétique de Polytechnique figure le nom de «Poincarré», même chose parfois pour ses communications scientifiques et même, dans certains journaux, lors de son élection à l’Académie française en 1908 !
Nom égratigné, ou raillé, un journaliste de l'époque écrira que Poincaré devait être le plus malheureux des mathématiciens parce que son nom «choquait la définition du point»...
Autre paradoxe pour notre personnage fameux de l’histoire des sciences : celui qui deviendra « un monstre de mathématiques » obtint 0 dans cette matière le jour du bac ! « Henri Poincaré est arrivé en retard à son épreuve et il a répondu à côté, peut-être sous le coup de l’émotion » tente d’expliquer son biographe Christian Gerini. Mais comme le rappelle notre invité, notre élève brillant se rattrapa bien vite avec en poche à la fois un bac es lettres et es sciences.
Pressé, il mène de front plusieurs études. Il entre à Polytechnique où il s’ennuie, puis enchaîne avec l’École des Mines, et suit parallèlement les cours à la fac de sciences de Paris.
Nommé ingénieur ordinaire des mines en charge du sous-arrondissement minéralogique de Vesoul à la sortie de son école, il n'y reste que 8 mois. Il faut dire que ses aspirations le portent vers les mathématiques et la recherche.
Dès 1879, il devient chargé de cours à la faculté des sciences de Caen et obtient la chaire de calcul différentiel et intégral. Parallèlement « il commence à envoyer des notes à l’Académie des sciences (plus d’une centaine entre 1879 et 1887). Il leur envoie pas moins de 5 mémoires d’importance, sur les formes quadratiques et cubiques, et sur les courbes définies par les équations différentielles. En 1880, il participe à un prix lancé par l’Académie sur la théorie des équations différentielles. Il n’obtient pas le grand prix, mais une mention très honorable. Il n’a alors que 26 ans » rappelle notre invité.
En 1981, Henri Poincaré s’installe à Paris. Il épouse Louise Poulain d’Andecy, arrière petite fille d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, et est nommé maître de conférences à la faculté des sciences de Paris. Six ans plus tard, il fait son entrée à l’Académie des sciences, mais c’est en 1889 qu’il devient véritablement célèbre en remportant le grand prix du roi de Suède Oscar II, prix lancé en 1885 pour fêter le 60e anniversaire de ce monarque éclairé. « Les candidats avaient jusqu’à 1888 pour remettre leur copie sur la résolution du problème des trois corps. Au départ, c’était le problème d’un nombre quelconque de points qui ne subissaient ni choc ni attraction autre que celle définie par Newton. Il s’agissait de trouver le moyen de donner leur position à l’aide de fonctions bien particulières du temps. Un problème impossible à résoudre pour un nombre quelconque de corps. Henri Poincaré a relevé le défi en partant de trois corps et a donné une solution» raconte Christian Gerini. Mais la réponse proposée par Poincaré est remise en question rapidement, et notre mathématicien mettra pas moins de 10 ans à trouver l’origine de son erreur. « Une erreur qui lui sera féconde, car elle lui a permis par la même occasion de rédiger les méthodes nouvelles de la mécaniste céleste, prémices d’une vision relativiste de l’espace ».
A partir des années 1902 Henri Poincaré est de nouveau mis à mal par une polémique sur la rotation de la Terre. A cette même date est publié son essai philosophique, La science et l’hypothèse. Il y écrit en substance : « L’affirmation que « La Terre tourne » n’est pas plus vraie que « La Terre ne tourne pas » ». « Il ne croyait pas en l’existence d’un référentiel absolu permettant de parler avec certitude d’une rotation de la Terre » précise Christian Gerini. Ces propos, mal compris, sont remis sur le devant de la scène lorsqu’est décidé de renouveler l’expérience du pendule du Foucault démontrant la rotation de la Terre sur son axe. Les propos d’Henri Poincaré sont détournés et utilisés à des fins idéologiques, opposant les ultra-catholiques aux libres penseurs.
Cet épisode le poursuivra régulièrement jusqu’à la fin de sa vie, tout d'abord lorsqu’il est élu en 1908 à l’Académie française pour ses écrits philosophiques, puis lorsqu’il participe à l’écriture d’un ouvrage de vulgarisation scientifique destiné aux adolescents. Dans Ce que disent les choses, publié chez Hachette en 1911, il revient sur cette affaire au détour d’un chapitre sur la mécanique céleste.
Enfin, fait méconnu et pourtant pas des moindres, Poincaré, engagé dans la vie citoyenne, joua un rôle dans la réhabilitation du capitaine Dreyfus en 1906 lors de son troisième procès. Nommé dans une commission d’expert chargée entre autres choses de valider ou de réfuter une analyse graphologique d’un bordereau qui avait accablé Dreyfus dès le premier procès en 1794, il démontra sur le plan de la stricte expertise scientifique que cette analyse n’avait aucune valeur et que la pièce à conviction principale, le fameux bordereau, n’aurait pas dû de ce fait servi à condamner le capitaine.
Pour Christian Gerini qui, par une boutade, reprend avec humour une phrase de Jehan Soudan dans la Revue Illustrée du 5 avril 1908, Henri Poincaré fut finalement « le poète célèbre de la mathématique française et de l’astronomie mondiale » puisque l’Académie le nomma au fauteuil d’un autre poète : Sully Prudhomme.
En savoir plus :
- Christian Gerini est maître de conférences en philosophie et histoire des sciences au Laboratoire I3M, Universités de Nice Sophia Antipolis et Toulon, chercheur en histoire et philosophie des sciences au Laboratoire GHDSO, Université Paris-11 Orsay.
- Christian Gerini, Henri Poincaré, Ce que disent les choses, éditions Hermann, 2010.
- Christian Gerini, Jean-Marc Ginoux, Henri Poincaré. Une biographie au(x) quotidien(s), éditions Ellipses juillet 2012
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