L’essentiel avec... : Yves Pouliquen

L’académicien répond aux sept questions essentielles de Jacques Paugam
Avec Jacques Paugam
journaliste

L’invité de notre série l’Essentiel est aujourd’hui Yves Pouliquen, grand nom de l’ophtalmologie française, représentant d’une catégorie malheureusement en voie de raréfaction, celle des grands médecins humanistes par leur culture, par leur regard sur le monde, mais aussi par le fait que dans leur métier, ils ne considèrent la technique que comme un moyen, capital certes, mais un moyen au service de la relation à l’autre et de la relation aux autres.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab721
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Yves Pouliquen a été élu à l’Académie française il y a un peu plus de dix ans, le 29 novembre 2001 au fauteuil numéro 35, qui était occupé juste avant lui par Louis Leprince Ringuet.


1- Dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été, Yves Pouliquen, le moment essentiel ?


Pour Yves Pouliquen le moment essentiel remonte à 1980 quand il est devenu chef de service d’ophtalmologie de l’Hôtel Dieu à la suite de son grand maître Guy Auffrey qu’il avait déjà servi pendant une quinzaine d’années. Cette expérience lui a permis de cumuler l’expérience clinique ainsi que la recherche avec la création d’une unité de recherche de l’INSERM, la première créée en recherche ophtalmologique française. Aujourd’hui il est devenu rare d’associer les deux. Pour le grand ophtalmologue cette expérience représente un moment exaltant.


Au point de départ c’est la biologie qui vous intéressait ?


Yves Pouliquen a perdu son père très jeune. Il était instituteur et lui avait dit « toi, tu seras normalien ». Sa mère a gardé cette idée. Yves Pouliquen a été sélectionné pour préparer Normale Sup en sciences expérimentales à Saint Louis en Normandie. Il a tout de suite vu que ses notes en mathématiques ne lui permettraient pas d’être dans les premiers. Très influencé par Albert Delaunay qui était à l’Institut Pasteur et qui lui avait mis en tête le rêve de la biologie, il est allé s’inscrire alors au PCP sans que sa mère le sache. Il est devenu médecin et considère que cela ne lui a pas trop mal réussi.


Est-il exact que vous avez choisi l’ophtalmologie par amour ?


Il a choisi cette discipline par amour et par hasard. Il a rencontré celle qui deviendrait son épouse lorsqu’il s’est inscrit au PCB et a dû lui faire la cour pendant 3 ans avant qu’elle n’accepte d’imaginer qu’ils puissent vivre ensemble.



2-Qu’est ce qui vous paraît essentiel à dire sur votre domaine d’activité ?



La discipline ophtalmologique est passée durant la carrière d’Yves Pouliquen, du 19e siècle à l’ère hypermoderne. Durant son parcours, il a appris cinq fois comment opérer la cataracte ! Selon lui, l’ophtalmologie est peut être une des disciplines qui a fait le plus de progrès en l’espace de 30 ans. Les opérations sont extrêmement efficaces et les complications rares. Mais le rapport avec le malade a changé. En ce qui le concerne, Yves Pouliquen a gardé l’habitude d’une médecine traditionnelle qui prend le temps d’écouter le malade. Autrefois, la parole était essentielle car les médecins, dotés de peu de moyens, consolaient plus qu’ils ne guérissaient. Yves Pouliquen est resté un de ces médecins qui n’avaient que leurs mains et peu de moyens au départ. Maintenant on guérit de façon infiniment plus rapide et plus complète. Le rôle du praticien est devenu presque un rôle d’ingénieur, de technicien. Les anciens regrettent un peu cette sécheresse de la relation. Mais elle est compensée par des résultats très efficaces.


3- On va élargir les perspectives à votre regard sur le monde et sur notre société : quelle est l’idée essentielle que vous aimeriez faire passer à ce sujet ?


Yves Pouliquen estime qu’il ne faut pas être pessimiste. Peu de gens ont vécu dans la paix comme nous. Une paix associée à un confort de plus en plus grand. Il se souvient de sa propre enfance. Sa famille était pauvre mais elle vivait des bonheurs quotidiens. L’évolution de notre société que l’on a vu se déliter, la famille, la religion, la solidarité que supposait la vie d’autrefois imposait de vivre assez bien. Yves Pouliquen a remarqué dans la rue que les gens sont moins aimables qu’autrefois. Il se demande où sont les vrais recours. La culture ne semble pas tellement répandue. Il pense néanmoins à une phrase que Paul Morand lui a dite quelques semaines avant sa mort : « La vie, j’ai rien compris et la culture ça sert à rien. » Et il rit.


Le monde actuel est un monde d’inquiétude générale sur lequel se superposent des conflits (les conflits au Moyen-Orient qui évoquent pour lui un goût d’avant-guerre comme la crise économique et la guerre à l’époque de Franco). Il plaint nos descendants immédiats. On ne peut pas nier qu’il se passe quelque chose. Et il redoute que la solution qui de dessine soit la plus bête : le recours à la violence.


4- Pour vous Yves Pouliquen, quelle est la plus grande hypocrisie de notre temps ?


Yves Pouliquen dans la bibliothèque de l’Institut de France
Mars 2012 © Clement Moutiez

Yves Pouliquen regrette que l’on n’apprenne pas aux hommes ce qu’ils sont, et où ils sont. L’homme est un animal évolué. L’évolutionnisme qui est nié est un élément capital. Le miracle que nous sommes est percé peu à peu par les savants. Dans cette connaissance il y a une vérité. Il faut savoir que notre terre va imploser dans 3 milliards d’années et disparaître dans 5, et il n y aura plus aucune mémoire des hommes et de ce qu’ils ont fait sauf s’ils habitent une autre planète. Nous savons qu’il y a des milliards et milliards d’univers. Avoir conscience de tout cela est pour ce grand médecin, une chose solide, essentielle qui le définit parfaitement et qui le conduit à respecter les autres, à rester humble. Car nous sommes dans la même aventure. L’humanité, dans la connaissance, est une jouissance. La vie n’est rien mais rien ne vaut la vie.


5-Quel est l’évènement de ces dernières années ou la tendance apparue ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir?


Yves Pouliquen ne pense pas que ce soit la découverte du germe de la longévité qui donne le plus d’espoir. Non, car il faut être sage. Vieillir et mourir en bonne santé est déjà un avantage. Et à ce titre, la science a accompli d’immenses progrès. Concernant le cancer on parvient aujourd’hui à isoler dans le sang les cellules cancéreuses, à les identifier et à savoir leur degré de malignité, leur faiblesse et comment les atteindre. Nous sommes à l’aube d’une ère où le traitement du cancer va faire des progrès considérables.


Un autre phénomène l’enthousiasme grandement : l’émergence des femmes. Les hommes sont capables de tout et même du pire. Les femmes qui ont été réduites dans l’histoire, et dans le monde sont combattives avec un contrôle hormonal différent des hommes. L’émergence des femmes est rassurante pour Yves Pouliquen. Elles lui donnent l’espoir d’un monde un peu meilleur.


6-Quel a été, Yves Pouliquen, le plus grand échec de votre vie et comment l’avez-vous surmonté ou avez-vous tenté de le surmonter ?


La mort de son père l’a terriblement marqué. Comment l’accepter quand on a treize ans ? C’est une épreuve plus qu’un échec mais qui l’a mis en échec au point de le faire douter de la vie. Sa mère qui était une simple femme avec peu d’instruction a été merveilleuse. Elle a pris les choses en main. Flanquée de ses trois garçons avec juste la retraite d’un instituteur, mort à trente sept ans, elle a décidé de créer à Avranches une pension de famille pour filles allant au collège. Elle a réussi au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer. Plus de cent élèves. Elle gagnait juste ce qui permettait à la famille de vivre. Elle a fait de ses garçons deux professeurs de clinique et un polytechnicien. Yves Pouliquen se rassure en se disant souvent que si son père avait existé, il serait normalien et serait passé à côté de sa vie.


7-Aujourd’hui Yves Pouliquen votre motivation essentielle dans la vie ?


Pour Jean Yves Pouliquen l’essentiel est aujourd’hui de faire de chaque jour qui lui reste à vivre, dix jours, cent, mille, ou plus, quelque chose de positif, qui lui soit utile ou le soit aux autres. Son emploi du temps de retraité est un emploi du temps d’homme actif. Il fait encore des consultations de médecine, travaille à l’Académie de médecine, à l’Académie française, et consacre ses vendredis samedis et dimanches à l’écriture. Tandis que l’aquarelle occupe ses vacances.

Yves Pouliquen estime que l’a vie l’a comblé au-delà de ce qu’il méritait. Il considère qu’on lui a tout offert. Il a toujours dit à ses élèves : « si vous travaillez bien, si vous avez bon caractère, si vous êtes dévoués, si vous êtes présents, eh bien vous irez loin ! »




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Parmi ses livres :

- La Transparence de la cornée, Masson, 1967
- Atlas d'histologie et d'ultrastructure de l'œil, Masson, 1969
- La Cataracte, Hermann,1990
- Un oculiste au temps des lumières. Jacques Daviel, Odile Jacob 1999
- Mme de Sévigné et la médecine du Grand siècle, Odile Jacob, 2006
- Le Médecin et le Dictateur, Odile Jacob, 2008
- Félix Vicq d’Azyr. Les Lumières et la Révolution, Odile Jacob, 2009


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