Le dépistage du cancer du sein à travers les siècles
Connu et décrit dès l’Antiquité égyptienne, le cancer du sein a été soigné par de nombreuses préparations à base d’onguents, de cataplasmes ou par l’ablation à des époques qui ignoraient tout de l’ anesthésie. Aujourd’hui, le diagnostic précoce, la radiothérapie et la chimiothérapie permettent la guérison ou des rémissions encourageantes. La chirurgie reconstructive pallie les séquelles physiques. Retour sur l’histoire du traitement de cette pathologie féminine et sur les inquiétudes quant au sur-diagnostic et au sur-traitement en compagnie du cancérologue Jacques Rouëssé.
La première description du cancer du sein remonte à 1600 avant Jésus-Christ. On la doit aux égyptiens. Quant au mot « cancer » c’est Hippocrate qui l’invente au Ve siècle avant Jésus-Christ en observant l’évolution des tumeurs au sein qui « prenaient la forme d’un crabe ne lâchant pas sa proie » raconte Jacques Rouëssé.
Très tôt, les traitements préconisés sont l’ablation du sein, le plus souvent sans anesthésie… « encore qu’il existait une éponge soporifique au XVIIe siècle à base d’opium, mais qui été abandonnée suite à des accidents » précise notre invité.
On imagine bien que l’opération n’était pas forcément souhaitée par la patiente ! A cela, d’autres remèdes pouvaient être préconisés comme par exemple plaquer un morceau de viande rouge pour nourrir le cancer et le faire partir. « L’idée consistait à tromper la proie en détournant l’attention du fatum. Beaucoup de médecins n’y croyaient pas, mais c’est une tradition qui a persisté jusqu’au début du XXe siècle en France ». On retrouve aussi l’utilisation de poudre d’yeux d’écrevisses certainement ici assimilée au crabe du cancer pour soigner le mal par le mal, des cataplasmes de lézards… et des cataplasmes d’arsenic ! « On a considéré que cela pouvait être toxique à la fin du XIXe siècle mais on a également constaté une diminution des cancers ganglionnaires. Et récemment une étude sérieuse a montré que des dérivés de l’arsenic pouvaient être efficaces dans certaines leucémies particulières ». L’électrothérapie fait aussi des émules au XVIIIe siècle, mais déçoit rapidement médecins et patients.
Il faut attendre l’arrivée de l’anesthésie générale au XIXe siècle puis l’arrivée de la radiothérapie au début du XXe siècle puis l’arrivée de la chimiothérapie pour constater une baisse de la mortalité par cancer du sein.
Aujourd’hui, le cancer du sein est devenu le premier cancer féminin touchant pratiquement une femme sur 10. Mais il est aussi le cancer le mieux diagnostiqué depuis la mise en place du dépistage systématique des femmes de plus de 50 ans, et le mieux traité. « Plus le cancer est pris tôt, plus les chances de guérison sont importantes » rappelle l’oncologue.
Si le cancer du sein est en augmentation régulière (+ 20% entre 1980 et 2005) le taux de mortalité lui, reste stable.
Cette augmentation du nombre de cancer trouve certainement des causes dans les facteurs environnementaux. « Les Japonaises dans leur pays développent très peu de cancer du sein, mais une étude montre que lorsqu’elles émigrent en Californie, la deuxième génération développe autant de risques que les Américaines. On pense que l’alimentation joue un rôle mais on ne sait pas exactement dans quelle mesure. On ne peut donc recommander de ne pas manger trop gras, de faire attention à l’alcool, d’éviter le surpoids, de pratiquer une activité physique régulière ; des conseils de bon sens » explique Jacques Roüessé.
Mais la polémique autour du dépistage systématique enfle actuellement en France. Certains estiment que les dépistages précoces entraînent dans certains cas des traitements lourds et inutiles puisque certains de ces cancers son bénins. « Mais lorsque l’on découvre une petite tumeur, on ne peut pas savoir si elle sera bénigne ou maligne. C’est la raison pour laquelle nous traitons systématiquement » argumente Jacques Rouëssé. « On pense que 5 à 10% des cancers du sein ne se développeraient pas, mais cela ne doit pas empêcher de poursuivre le dépistage systématique du cancer du sein. Je ne suis pas pour le dépistage systématique des cancers, car dans certains cas, cela s’avère improductif, mais la baisse significative de la mortalité des patients touchés par un cancer du sein est éloquente » poursuit-il.
Quant aux hommes ? « Ils sont aussi touchés par le cancer du sein pour 1% d’entre eux. Vous comprendrez qu’ils ne sont pas concernés par le dépistage systématique », mais la palpation des seins est aussi valables pour eux.
Jacques Rouëssé est cancérologue, ancien chef de service à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, ancien directeur médical du centre René-Huguenin, centre de lutte contre le cancer de Saint-Cloud, membre correspondant de l’Académie nationale de médecine et auteur de L’Histoire du cancer du sein en occident, enseignements et réflexions.
En savoir plus :
Jacques Rouëssé, Histoire du cancer du sein en occident, enseignements et réflexions, éditions Springer, 2011.
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