L’essentiel avec...René de Obaldia, de l’Académie française
À bientôt 93 ans, René de Obaldia, de l’Académie française, se trouve toujours sous les feux de la rampe culturelle. Ses œuvres font l’objet de nombreuses rééditions. Il s’est prêté au jeu des confidences, avec tout l’humour qu’on lui connaît.
On ne présente plus l'homme et son œuvre, l'un comme l'autre ont su garder l'esprit jeune et aiguisé qui a fait son succès tout au long du XXe siècle. C'est tout en charme et en humour, que René de Obladia revient sur ce qu'il se refuse à nommer « carrière ».
Dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été à vos yeux, le moment essentiel ?
« J’ai horreur du mot carrière. Jamais je n’aurais pensé à faire carrière. Quand on est poète, il s’agit d’une vocation. Je me souviens avoir rencontré Daniel-Rops (1901-1965, de l'Académie française). Il parlait du nez et m'avait dit : “Il faut penser à votre carrière”. Et je lui ai répondu : “Je n’ai pas envie de faire carrière, c’est pour moi une vocation !”.
Pour répondre, malgré cela, au moins approximativement à votre question, c’était le moment où j’ai rencontré Clara Malraux, la première femme d’André Malraux. J’avais 17 ou 18 ans, j’écrivais des poèmes, des textes courts que j’envoyais à toutes les maisons d’édition et aux revues qui étaient très importantes à l’époque, La Table Ronde, Le Mercure de France...Ils m'étaient refusés, avec la formule : “Votre œuvre est admirable mais n'entre pas dans notre collection”.
Et puis je les ai envoyés à Clara Malraux, qui avait fondé une revue, et elle m’a renvoyé un télégramme pour me rencontrer à tout prix. Elle était enthousiaste et m’a publié. Cela a été pour moi dans ma carrière une chose très importante. Ce n'était pas Midi, c’était un poème que j’avais écrit très tôt, je ne sais plus la date, j’ai du mal à retenir les dates. J’oublie la date de ma naissance, de ma mort. Comme disait Jean Paulhan :“ La mort ! Pourvu que j’arrive jusque là !”
Donc c’est Clara Malraux qui a généré ce déclenchement pour moi. J’ai été reconnu, accepté dans d’autres revues. C’est ainsi que j’ai été publié dans la collection la Porte Ouverte, Robert Kanters, chez Julliard, qui étaient les grandes éditions de ce moment là.
Le théâtre était un accident pour moi. Je ne croyais pas vraiment écrire pour le théâtre. Ce qui m’intéressait, c’était les belles lettres, la poésie avant toute chose, et puis des formes romanesques, la littérature.
Le théâtre a été pour moi une chose merveilleuse. Une rencontre tout à coup, d’abord avec Jean Vilar qui m’a mis le pied à l’étrier en montant Genousie en 1960. Et puis ensuite Le Vent dans les branches de sassafras a été le grand succès en 1965, c’était même un triomphe.
Et je dois le dire aussi, la vocation théâtrale m'est venue à cause de merveilleux interprètes dont Michel Simon, qui a créé le rôle du patriarche du Vent dans les branches de sassafras, un western de chambre. Le cher Michel Simon avait la mémoire qui défaillait, c’était assez terrible. Au bout de 15 jours il savait à peine le texte. C’était très difficile ! Sur scène il y avait des grands moments d’arrêt, c’était la consternation pour ses camarades. Et parfois même il disait un texte qui n’était pas de moi, il lui revenait à l'esprit des répliques de Fric-Frac! Il m’avait pris à part une fois : “Vous savez Obaldia, si ma mémoire me fait défaut c’est à cause d’une teinture sur mes cheveux que l’on m’a faite pour un film. C’est cette mauvaise teinture qui m’a grignoté le cervelet”. Enfin on est arrivé à la générale : salle pleine, archi- comble. C’était le retour de monsieur Simon, cela faisait 6 ans que l’on ne savait pas ce qu’il était devenu. Son énorme présence suppléait au rétrécissement du texte. Ce fut le triomphe. Michel Simon se présente à l’avant scène, les larmes aux yeux. Il arrive à faire taire le public, enfin. Et ça a donné ceci : “ La pièce que nous avons eue l’honneur de présenter devant vous est de … l’honneur… la pièce.. ah merde j’ai oublié le nom de l’auteur !”.
C’était un évènement assez unique dans l’histoire du théâtre. »
Qu’est ce qui vous paraît d’essentiel à dire sur votre activité actuelle, l’écriture ?
« Je passe par différents modes d’écriture. J’écris des poèmes aussi. Et des textes et du théâtre. Je ne suis pas l’écrivain qui se met à sa table de travail régulièrement. Il y a un mot de Max Jacob qui me revient à l’esprit. Très drôle. “Quelle différence portez-vous entre le romancier et le poète ?” Il a répondu :“ Le romancier travaille, le poète souffre”. Très joli. Comme je suis un peu les deux, vous voyez dans quel état je peux être parfois...
Valery doutait de l’inspiration mais il a dit : “Tel vers nous vient des dieux mais après quel boulot pour se mettre à la hauteur !”
À mon avis, ce que j’ai écrit était assez provocateur, en dehors des conventions. En cela je rejoins certaines préoccupations ou certaines libérations dans l’écriture.
Je suis moi-même entouré de beaucoup de jeunes. Beaucoup de troupes d’amateurs me jouent. J’ai parfois la visite de jeunes de 17,18, 20 ans. Ils sont épatants dans l’ensemble. Ils ont une recherche, une quête. Il y a une correspondance entre mon univers et leurs préoccupations. C’est une rencontre qui me réjouit.
Au début de ma carrière, certains ont associé ce que je faisais à l’absurde. Il faut tout de suite mettre des étiquettes ! Il y a une image qui me hante depuis deux ans : celle du squelette qui va prendre le train qui va le conduire vers son éternité dans Grâce matinée. Par cette capacité de créer un univers un peu délirant, vous rendez une perception du temps que l’on n’a peut-être jamais eue auparavant. C’est terrible. C'est la force créatrice de l’imaginaire.
Le théâtre correspond à cette formule de Novalis: “c’est la reflexion active sur l’homme et sur sa folie”. Mais aussi sur l’amour. C’est quand même une reconnaissance sur l’homme, une fraternité.
J'aime aussi beaucoup le philosophe espagnol Miguel de Unamuno, l'auteur du “Sentiment tragique de la vie”, de “L’agonie du christianisme” et bien d’autres. C'est très sérieux mais on y trouve aussi cet humour espagnol que Jean Cassou qualifiait d'“humour métaphysique”. Unamuno était professeur à Salamanque tout en écrivant ses grands livres. Un jour il a écrit un “Précis de cocotologie”, la façon de faire des cocottes en papier avec planche à l’appui. Évidemment ça déroute beaucoup les Français cet humour-là. Mais on trouve cela dans des auteurs espagnols, auteurs que l’on connaît mal. »
Avec vous la poésie au lieu d’être un exercice abscons, pédant, est un plaisir des mots. Il y a le sens de la formule quand par exemple vous parlez du corbeau en disant “c’est un paquet de ténèbres crochu”. Comment cela vous vient-il ?
« Eh bien c’est la grâce. J’en reviens à Valery quand il disait qu’il y a un moment de grâce. Je remercie le ciel quand il m’envoie de l’inspiration. Ensuite il faut se mettre au niveau de ce que l’on a reçu. En tout cas c’est toujours mystérieux la création. »
Je crois savoir qu’en 52 vous avez vraiment reçu un coup au cœur en voyant “Les chaises” de Ionesco qui est devenu l’un de vos grands amis. Il y a environ 10 ans de différence d’âge entre vous, et de nombreuses proximités : ce sentiment tragique de la vie justement. Mais il y a une grosse différence : vous n’êtes pas comme lui à la torture à la perspective de la mort et quant à l’angoisse de la vie, vous semblez savoir la dominer. Dans cette grande proximité entre vous, est-ce qu’il vous disait : “Tu as de la chance, tu sais dominer cela, pas moi”. ?
« Non ce n’était pas ainsi. Je ne peux pas répondre vraiment à cette question. Il avait un côté très mystérieux. Il y a une anecdote que je ne peux pas ne pas raconter, c'est très drôle. J’étais à l’étranger quand j’ai su qu’il était reçu à l’Académie. J’étais surpris car il avait écrit des choses contre l’Académie. Il ironisait contre l’Académie. Nous déjeunons ensemble et je lui dis : “écoute je suis quand même un peu surpris que tu aies voulu entrer à l’Académie”. Et il me répond : “Tu sais à partir de ce moment là, je suis assuré de ne plus jamais mourir de faim”. »
Élargissons les perspectives à votre regard sur l’évolution du monde en général et de notre société. Quelle est l’idée essentielle que vous aimeriez faire passer ?
« La société ne va pas très bien. Il en a toujours été ainsi. Je me souviens de la phrase d’entrée de Michel Bouquet quand il dit (dans Le roi se meurt) : “On ne peut pas dire que ça s’améliore”. C’était en 1975. Il ya 36 ans ! On ne peut pas dire que cela s’améliore ! Ca nous faisait rire. Quand je revois Michel, c’est notre leitmotiv. »
Comment réagissez-vous à la frénésie de vitesse qui s’est emparée de notre société, à Internet ?
« Je ne suis pas doué. Je dis très souvent que je date des Mérovingiens. Mais c’est assez fabuleux, il faut bien dire les choses : cette technologie fabuleuse est inquiétante. D’ici je peux téléphoner au Tibet. Une faculté de communiquer extraordinaire. En même temps on n’a jamais moins communiqué. C’est paradoxal. On peut y perdre son âme. »
Quelle est la plus grande hypocrisie de notre temps ?
« C’est le mensonge partout, c'est-à-dire qu’il est multiplié par les médias. Il m’est revenu à l’esprit Simone Weil, non pas ma consœur à l’Académie mais celle qui a écrit La pesanteur et la grâce. Elle demandait un tribunal de la vérité. »
Quel est l’évènement de ces dernières années qui vous laissent le plus d’espoir ?
« C’est difficile de ne pas ressentir le sentiment tragique de la vie. Je regarde la chaîne Histoire à la télé, mais quand on voit les évènements qu’on a pu filmer, c’est une suite de monstruosités depuis que le monde existe. Il y a le vieil adage “Homo homini lupus est” : l’homme est un loup pour l’homme…
J’ai vécu 4 ans en captivité dans un camp de prisonniers de guerre. Et on m’a souvent dit que je n’avais pas assez parlé de cette expérience de captivité. Au fond on y acquiert une connaissance de l’homme plus rapidement. Dans ces conditions là, il n y a plus de valeurs d’avoir, nous n’avons rien, ce sont des valeurs d’être. J’ai très peu parlé de ces moments là car nous avons découvert l’incroyable : les camps d’extermination. C’était inimaginable. C’est par pudeur que je n’en ai pas parlé.
Par exemple on mourait de faim à un moment donné. On vous jette des morceaux de pain. On se rue sur ces morceaux de pain. Ce que je peux vous dire : certains plus faibles que d’autres partagent le pain et d’autres vous tueraient pour avoir ce bout de pain. Et moi-même je pourrais le faire. Ce sont des situations extrêmes.
Bizarrement ce sont les jeunes qui me donnent le plus d'espoir. Il y a un appétit, une exigence pour changer les choses dans le bon sens. »
Quel a été le plus grand échec de votre vie et comment avez-vous réussi à le surmonter ou tenté de le surmonter ?
« Certaines pièces qui n’ont pas marché. Comme par exemple Les bons bourgeois en hommage à Molière. Je pense que c’est une des pièces les plus réussies. Il y avait une très bonne distribution : la jeune Fanny Ardant, Rosie Wart. On n’a pas fait de générale ce qui a été une grosse erreur. Les critiques ont été un peu mis de côté et ils ont démoli la pièce alors que les jeunes venaient, on avait du succès. Et pour moi cela a été un échec. Je ne suis pas revenu au théâtre tout de suite. »
« Il y a les échecs et il peut y avoir aussi de l’amertume. Vous disiez tout à l’heure que vous étiez très joué par les troupes amateurs et très joué dans les cours de théâtre mais là je faisais un recensement depuis 10 ans à paris si on enlève ce qu’à fait le Douarec... Il vous a monté 4 fois en 10 ans. Mais en dehors de ça je n’ai pas vu grand-chose. C’est quand même étonnant ! Vous êtes connu dans le monde entier. Votre théâtre est considéré comme l’un des théâtres importants du 20e siècle. Dans toutes les écoles de théâtre on vous cite en exemple, les amateurs vous jouent et sur les scènes publiques il n y a pas les représentations que l’on pourrait attendre. Est-ce que vous en éprouvez une certaine amertume ?
« Oui d’une certaine manière. Je trouve cela un peu bizarre. Il faudrait peut être que j’invite des directeurs de théâtre, que je m’occupe de cette carrière, je n’ai jamais fait ça de ma vie. Mais on va se rattraper avec ce festival. Ce festival Obaldia me réjouit. Ce qui est d’autant plus étonnant c’est que l’on me fait cet hommage de mon vivant. Souvent c’est après leur mort que l’on fait hommage aux auteurs. Sans parler de besoinde reconnaissance, je suis très heureux d’être reconnu, je ne suis pas masochiste. »
« J’ai entendu quelqu’un qui vous connaît bien dire que vous êtes rentré à l’Académie française car vous êtes petit fils de général, que dans vos ancêtres il y a eu quelqu’un deux fois président de Colombie et que l’uniforme vous adorez cela. »
« Non c’est une interprétation. C’est un très bel habit il n y a pas de doutes. Je suis très heureux. Vous savez l’habit fait le moine d’une certaine manière. On ne peut pas se comporter avec un habit comme cela et jouer aux boules. Il y a quelque chose qui se passe tout de même. C’est la représentation que l’on a aux yeux des autres. »
Aujourd’hui quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?
« Réussir ma mort. Oui il me reste peu de temps à vivre, il faut voir les choses comme elles sont. On m’a souvent dit que je suis de l’école absurde ce qui est faux je suis plutôt de l’école du mystère. Je crois que si la vie est absurde c’est vraiment trop absurde. »
Vous avez écrit dans Les pensées aléatoires : Comment devenir vieux sans offenser l’aurore ? Vous avez la réponse ?
« Non justement mais c’est un moment de poésie, de grâce. La grâce est gratuite. »
Vous avez écrit également : “La vie manque de répétition c’est d’ailleurs pourquoi elle rate si souvent ?” On n’a franchement pas l’impression que vous avez raté la vôtre. Vous aimeriez la recommencer ?
« Vous posez des questions difficiles. Je la recommencerais volontiers dans le sens où j’ai la chance d’avoir eu ce don de communiquer, de l’écriture, d’être reconnu et après toutes les épreuves que j’ai passées. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai de charmants enfants et une femme délicieuse. »
Au cours de ce festival vous allez un lundi sur deux monter sur scène, à 93 ans. Vous l’aviez fait il y a deux ans au Petit Heberteau, on était tous bouche bée. Que vous apporte cette présence sur scène ?
« Une complicité. C’est Cocteau qui disait : “Il faut aussi que le public ait du talent” et moi j’ai un public de talent. Les gens qui étaient là me connaissaient fatalement quelque peu. Il y avait un contact entre moi et ce public. J’étais moi-même assez étonné de cette reconnaissance. J’étais très heureux. »
En savoir plus :
- René de Obaldia, membre de l'Académie Française.
- Réécoutez : René de Obaldia ; René de Obaldia, de l’Académie française, mis en scène par Thomas Le Douarec et Obaldia monte sur scène
- La jument du capitaine a fait dernièrement l'objet d'une rééditions aux éditions Le cherche Midi. L'oeuvre de René de Obaldia est aussi rééditée chez Grasset qui publiera prochainement son théâtre et ses mémoires.