Michel Pébereau, un moment essentiel de ma vie
Dans la version intégrale de l’émission "L’essentiel avec...", Michel Pébereau, de l’Académie des sciences morales et politiques, qui a quitté sa fonction de président du conseil d’administration de BNP Paribas le 1 décembre 2011, a été invité par Jacques Paugam à répondre à sept questions. Ici, nous avons choisi de vous faire lire et écouter la toute première question -quel est à vos yeux le moment essentiel de votre carrière ? - et la toute première réponse de l’académicien. Juste pour vous donner envie d’écouter les autres !
1- Dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été à vos yeux le moment essentiel ?
M. P. : Ce n’est pas une question facile. J’ai en effet la chance d’avoir une vie professionnelle passionnante. Elle a donc été pour moi une succession de moments importants. Lequel choisir ?
Le premier qui me vient à l’esprit est le jour où j’ai lancé une double offre publique sur Paribas et sur la Société Générale. J’étais alors P.-D.G de la Banque nationale de Paris. Mes deux collègues avaient décidé de fusionner leurs établissements. J’ai contrarié cette opération en lançant ces deux offres publiques non sollicitées, pour reprendre ma terminologie d’alors.
C’était une opération assez inhabituelle par rapport aux pratiques de l’époque, et sans précédent : chacune de ces deux sociétés avait une capitalisation boursière comparable à celle de la BNP. Finalement, elle a réussi : elle a permis de construire BNP Paribas, qui est aujourd’hui l’une des trois plus grandes banques européennes.
D’autres moments ont été aussi importants dans ma carrière. Par exemple celui de mon choix en 1974. Valéry Giscard d’Estaing, dont j’étais le conseiller technique pour les questions monétaires et financières au ministère des Finances a été élu président de la République. On me proposait alors divers postes considérés comme prestigieux. J’ai préféré rentrer à la direction du Trésor comme chef de bureau des Entreprises.
Dans cette fonction, j’ai mis en place le secrétariat général d’un Comité interministériel d’aménagement des structures industrielles (le CIASI) que le Gouvernement a voulu créer à la suite du premier choc pétrolier : l’objectif était de traiter les problèmes financiers d’adaptation des entreprises de toute taille aux bouleversements des perspectives économiques. Trente cinq ans après, le Comité existe toujours. Il a seulement changé de nom : c’est le comité de restructuration industrielle (CIRI). Ma décision, qui avait un peu surpris à l’époque, m’a offert une opportunité exceptionnelle de découvrir la microéconomie et l’entreprise, et une première expérience de management d’équipe.
J’aurais pu évoquer aussi le moment ou j’ai décidé en 1982 de quitter le service de l’Etat, auquel je pensais consacrer toute ma vie professionnelle. Après plusieurs autres signes, les débats du congrès du Parti socialiste à Valence m’ont convaincu, à tort ou à raison, que l’Administration avait vocation à se politiser. J’ai décidé de la quitter. J’avais 40 ans. C’était, à l’expérience, un âge adapté pour une reconversion professionnelle vers le secteur productif.
Jacques Paugam : Pour revenir à la fusion BNP PARIBAS, à votre avis quel a été l’élément essentiel expliquant la réussite de cette fusion financière et humaine ? C’était loin d’aller de soi, à l’époque on vous attendait au coin du bois !
M. P. : C’est vrai. La fusion de la Banque nationale de Paris avec Paribas n’allait pas de soi. Il y avait d’un côté une banque commerciale traditionnelle, qui n’était privatisée que depuis six ans après plus de 45 ans de nationalisation ; de l’autre une compagnie financière, avec une culture de banque d’affaires privée. L’opération a réussi parce que, dès le début, nous l’avons conduite comme une aventure humaine : la création d’une nouvelle entreprise, par une nouvelle équipe.
Nous avions bien sûr un projet industriel et financier à mettre en œuvre : celui que les actionnaires avaient approuvé en apportant leurs actions Paribas à l’offre publique de la BNP. J’ai tout de suite décidé d’organiser une fusion d’égaux entre les deux banques pour faire disparaître les séquelles de la bataille boursière ; et aussi d’aller très vite en assurant équité et équilibre pour le choix des responsables. Le calendrier de désignation de ceux qui seraient en charge de la mise en place des nouvelles structures était exigeant (6 jours pour le Comité exécutif, 6 semaines pour les autres niveaux), comme celui de la définition détaillée des opérations de fusion dans chaque partie du groupe (6 mois).
La première réunion des cadres d’état-major de la nouvelle banque BNP Paribas (le G80), que j’ai voulue à Rome, a eu pour thème unique le choix de valeurs pour notre entreprise. Définir des valeurs, c’était adopter une identité, une culture.
Nous avons ainsi choisi ensemble, anciens BNP et anciens Paribas, l’engagement, l’ambition, la créativité, la réactivité. Ce sont toujours les valeurs de BNP Paribas. Cette fusion de deux groupes d’hommes et de femmes d’origine et d’expérience différentes pour constituer une communauté nouvelle dirigée par une nouvelle équipe, a été une belle aventure, une aventure collective. Le succès de cette fusion a été le succès de tous.
J.P. : Mais que signifie l’engagement quand on est dans une banque ?
M. P. : Pour moi, une banque est une entreprise chargée d’une mission spécifique, et une communauté humaine. Comme entreprise, elle a un projet autour duquel tous doivent s’engager, se rassembler. Et puis, une banque a pour mission de servir ses clients et l’économie : chacun, à tous les niveaux, doit s’engager à servir. Au quotidien, notre banque est là pour aider nos clients à réaliser leurs projets : par exemple en leur offrant des instruments de gestion pour leur épargne, ou de crédit pour leurs investissements.
Au niveau global, la banque est là pour aider au développement de l’économie : elle utilise l’épargne des uns pour financer les projets des autres. Par exemple, à BNP Paribas, nous considérons que nous avons une responsabilité spécifique vis-à-vis des économies des quatre pays européens, où nous sommes une banque de détail importante et que nous considérons comme nos marchés domestiques : la France mais aussi l’Italie, la Belgique et le Luxembourg. Au-delà, nous sommes engagés au service du développement de l’économie européenne, et même de l’économie mondiale.
J.P. : Vous évoquiez tout à l’heure votre passage au cabinet de Valery Giscard d’Estaing, vous y êtes resté quatre ans et vous avez ensuite dirigé celui de René Monory, c’était en 1978-1980. Pour quelles raisons n’avez-vous pas été tenté par une carrière politique ?
M. P. : C’est vrai que j’en ai eu parfois l’occasion. Mais je pense que la politique est un métier ; et j’ai toujours considéré que je n’avais pas les qualités requises pour exercer ce métier. C’est un beau métier, mais il est difficile et nécessite des talents spécifiques. J’ai eu la chance de travailler aux côtés de trois grands responsables politiques, des hommes d’Etat : Valéry Giscard d’Estaing (de 1970 à 1974), Raymond Barre et René Monory (de 1978 à 1981). Cela m’a permis de constater que je n’avais pas les qualités nécessaires.
J.P. : C’est-à-dire ?
M. P. : Pour moi l’homme, ou la femme, politique doit être un élu. Et il ne doit jamais oublier qu’il représente ceux qui l’ont élu. Je pense avoir la capacité de défendre et de mettre en œuvre certaines idées auxquelles je crois. Mais ça ne m’est pas agréable de le faire pour des causes auxquelles je n’adhère pas. C’est ce qui m’a fait quitter le service public en 1982. Or la vie politique implique le soutien global d’une action gouvernementale, au-delà du secteur de compétence dont on est chargé. On n’a pas ce problème dans une entreprise, parce que son objet est plus restreint. Je pense possible de diriger une entreprise en restant en permanence à peu près en accord avec ses propres idées. C’est en tout cas ce que j’ai essayé de faire.
Dans l’intégrale de l’émission notre invité répond aux 6 autres questions de Jacques Paugam :
o Qu’est-ce qui est essentiel dans votre domaine d’activité ?
o Qu’est-ce qui est essentiel à dire aujourd’hui sur l’état de la société ?
o Quelle est selon vous la plus grande hypocrisie de notre temps ?
o Quel est l’événement de ces dernières années ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?
o Quel a été le plus grand échec de votre vie ?
o Aujourd’hui quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?
En savoir plus :
- Pour découvrir les réponses aux 6 autres questions essentielles, lisez l’intégralité du texte et écoutez en entier l’émission "L’essentiel avec...Michel Pébereau, de Académie des sciences morales et politiques."
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