Philippe Kourilsky, immunologiste altruiste !
Suivez les traces de Philippe Kourilsky sur des pans historiques de la science et de la médecine. De la réalisation du premier clonage d’un ADN complémentaire en 1975, à la création de l’Institut de recherche à Singapour en 2006, en passant par la direction générale de l’Institut Pasteur, Philippe Kourilsky vous fait partager son engagement pour la recherche fondamentale et appliquée. Il revient également sur le devoir d’altruisme, qui ne doit en aucun cas être remplacé par la générosité de grandes fondations. Rencontre avec un homme de science altruiste.
Tout juste sorti de l’Ecole Polytechnique Philippe Kourilsky a une idée en tête : faire de la biologie. C’est au laboratoire de Jacques Monod qu’il se présente, mais malheureusement les places sont déjà prises. C’est alors sur les conseils de Jacques Monod que Philippe Kourilsky rencontre le biologiste François Gros, de renommée internationale. La rencontre est immédiate. Une complicité intellectuelle se noue immédiatement entre François Gros biologiste reconnu et le novice qu’était Philippe Kourilsky.
Après une thèse de biologie sur les bactériophages, Philippe Kourilsky revient au laboratoire de François Gros et commence avec d’autres pasteuriens à « bricoler génétiquement » comme il le dit lui-même. Ce sont les débuts du génie génétique. En 1975, Philippe Kourilsky, François Rougeon et Bernard Bach réalisent une grande première : le clonage d’un ADN complémentaire. « Ce fut une époque passionnante : nous étions peu dans le monde à posséder la technologie du clonage. C’est à cette époque que Jacques Monod, directeur de l’Institut Pasteur, créa l’Unité de génie génétique ».
De la biologie à l’immunologie
En 1981, le frère de Philippe Kourilsky, François, directeur général du CNRS, lui souffle l’idée de travailler en immunologie. Philippe s’exécute, travaillant plus spécifiquement sur le système d’histocompatibilité, le système HLA qui allait faciliter plus tard le traitement des maladies auto-immunes et de certains cancers.
Mais Philippe Kourilsky précise, « ce qui m’intéressait initialement, ce n’était pas l’immunologie, mais de travailler sur un système de gènes très polymorphes ! C’est ainsi que de fil en aiguille je suis devenu immunologiste ».
Fort de cette expérience en immunologie où la recherche fondamentale côtoie la recherche appliquée, Philippe Kourilsky se lance un pari à la même époque, créer la première société de biotechnologie française : la société Transgène ; une idée en tête : « associer recherche fondamentale et appliquée ». Transgène conçoit et développe des produits d'immunothérapie pour le traitement des cancers et des maladies infectieuses chroniques.
Parallèlement Philippe Kourilsky poursuit son ascension à l’Institut Pasteur où il est entré en 1972. Il devient Directeur général de l’Institut entre 2000 et 2005, époque où il voit arriver l’épidémie de SRAS (2002) et celle de la grippe aviaire (2004).
« Suite à ces deux épidémies nous avons développé notre réseau à l’international. Nous avons ouvert des antennes en Corée, à Shanghai, à Monte-Vidéo, et dans une vingtaine de villes en Amérique de sud. L’Institut Pasteur est une merveilleuse institution qui associe biologie et objectifs de santé publique ».
Une nouvelle aventure à Singapour : Singapore Immunology Network
Après la direction générale de l’Institut Pasteur, ces conseils sont sollicités pour la création d’un Institut public de recherche à Singapour : Singapore Immunology Network. Très vite il en devient le directeur en 2006. Et Philippe Kourilsky de préciser : « Nous avons beaucoup à apprendre sur la manière dont on opère à l’étranger. Les mécanismes de décisions sont infiniment plus rapides et donnent des cinétiques de développement extrêmement impressionnantes. Nous avons débuté avec une équipe de 37 scientifiques, nous sommes aujourd’hui plus de 200 ! »
A la question « vous détournez-vous du système de recherche français ? », il répond que « la science est devenue tellement internationale qu’elle ne connaît plus vraiment de frontière. Mais il est vrai que l’accès aux technologies de pointe est difficile en France ».
Philippe Kourilsky : scientifique altruiste
Dans son dernier essai Le temps de l’altruisme paru chez Odile Jacob en 2009, Philippe Kourilsky revient sur la nature de l’homme : « L’homme n’est pas foncièrement mauvais. Ma conviction est que l’approfondissement de la connaissance est de nature à élargir le contenu que nous donnons aux objets et que ce faisant en élargissant ce contenu, nous nous équipons mieux pour traiter des problèmes éthiques ».
Mais ne pas confondre altruisme et générosité ! « Plus les libertés individuelles sont grandes et développées (c’est le cas des pays riches), plus notre devoir d’altruisme est important, ce qui a des conséquences évidentes comme la lutte contre le réchauffement climatique par exemple. Il ne fait aucun doute que les pays développés ont des obligations plus importantes que les pays en voie de développement.
La générosité en revanche fait partie de l’espace de nos libertés. Nous sommes libres d’être généreux ou non, alors que l’altruisme est un devoir. On ne peut pas fonder un système stable sur la générosité, mais on peut le fonder sur l’altruisme » assure Philippe Kourilsky. Il y a 10 ans, 700 à 800 000 enfants mourraient de la rougeole ou de ses complications alors qu’il existe un vaccin. Aujourd’hui ils ne sont « plus » que 250 000. « Ceci a été possible grâce à l’OMS, opération financée elle-même par la générosité de la fondation Bill Gates. Que ce serait-il passé si Bill Gates avait financé une galerie d’art contemporain ? »
Attention donc à ce que la générosité ne soit pas un cache-misère.
« Cet exemple pose également la question de savoir à partir de quand la générosité est instrumentalisée là où on manque d’altruisme ».
Parler d’altruisme en pleine période de repli économique n’aboutit pas forcement à des échos positifs. Philippe Kourilsky en est conscient. Mais « mieux équiper notre “boîte à outil conceptuelle et intellectuelle” en y faisant entrer la notion d’altruisme est quelque chose de possiblement utile, même si cela n’apporte pas de solution immédiate ».
Ainsi Philippe Kourilsky termine-t-il son essai et cette émission : « A une altermondialisation, il faudrait substituer une altrui-mondialisation, et faire de notre planète une autre cité, qui serait aussi la cité des autres ».
Philippe Kourilsky est immunologiste, membre de l’Académie des sciences, professeur au Collège de France, directeur honoraire de l’Institut Pasteur.
En savoir plus :
- Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France
- Philippe Kourilsky, membre de l'Académie des sciences
A écouter aussi La biologie dans l’université et les institutions de recherche françaises par Philippe Kourilsky
- Philippe Kourilsky, Le Temps de l'altruisme, édition Odile Jacob, 2009
- Philippe Kourilsky, Le manifeste de l'altruisme, éditions Odile Jacob, 2011