Yves Bréchet : la métallurgie dans les nouvelles technologies est notre avenir
Yves Bréchet est à la fois chercheur, ingénieur et enseignant à l’Ecole polytechnique de Grenoble. Physico-chimiste, la métallurgie est son domaine de prédilection. Il nous prouve à travers son parcours et l’ensemble de ses travaux que cette discipline est au cœur des technologies en devenir. La science des matériaux est très utile pour la conception des avions, des centrales, avec de nouveaux alliages, toujours plus légers, résistants et économes en matières premières ; ceci grâce à l’étude des microstructures. Rencontre avec l’Académicien élu en 2010 dans la section de physique.
« Ma carrière scientifique est une histoire de rencontres ».
Voilà comment Yves Bréchet résume son parcours de physico-chimiste de renom et jeune membre de l’Académie depuis 2010 [[Yves Bréchet est né en 1963. Il est membre de l’Académie des sciences depuis novembre 2010, dans la section Physique, Inter-section des applications des sciences]].
Ses professeurs sont Jean-Pierre Sarment en classe préparatoire et Yves Quéré à l’école Polytechnique. « C’est lui qui m’a donné le virus de la métallurgie » précise-t-il. Car dès le départ, c’est la science des matériaux qui intéresse Yves Bréchet. Il cherche à comprendre pour faire, définition même des sciences de l’ingénieur.
La métallurgie allie la physique, la chimie et la mécanique, autant de disciplines dans lesquelles notre invité navigue parfaitement.
Avec Pierre Guyot, Yves Bréchet se penche sur les alliages aéronautiques.
Avec Michael Ashby, grand comparatiste, il s’intéresse aux problèmes de conception de matériaux.
En compagnie de David Emery il travaille sur les problèmes particuliers de la mécanique de la rupture et avec Gary Purdy, s’intéresse aux transformations de phases.
Au cours de son parcours, Yves Bréchet fait une courte pause en entamant deux DEA dont l’un sur l’histoire des sciences. « Sur les conseils de l’un de mes professeur à l’X, je me suis inscrit à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). Mon mémoire portait sur la géométrie projective à la fin du XVIIe siècle. Ce qui m’intéressait était de voir comment une idée pouvait naître, grandir et disparaître ». Avec le second DEA, il revient à ses premières amours : la physique de la matière et du rayonnement.
Les travaux d’Yves Bréchet
Yves Bréchet part faire son année de post-doc au Canada où il croise rapidement Michael Ashby, maître de la comparaison des matériaux. Ce n’est que plus tard, en Europe, que les deux chercheurs vont pouvoir travailler ensemble. « Je me sentais en pays de connaissance avec lui. J’avais envie comme lui de comparer les matériaux entre eux, comparer les domaines d’application, des mécanismes, et d’autre part, simplifier des problèmes compliqués avec des outils simples, percevoir les grandes tendances, les ordres de grandeur… C’est quelque chose que j’ai retrouvé chez Michael Ashby, mais aussi dans l’école de métallurgie française dont le personnage le plus emblématique reste Jacques Friedel qui a poussé à l’extrême ce talent de simplifier les choses ».
La démarche comparatiste d’Yves Bréchet l’amène à observer les matériaux naturels, car l’architecture qui compose l’os, les coquilles ou encore les tendons sont riches d’enseignement pour le physico-chimiste qui cherche à réaliser de nouveaux alliages dont les perspectives sont infinies. « Si j’étais capable d’associer les matériaux qu’utilisent les ingénieurs avec la variété des architectures qu’utilise la nature, on pourrait imaginer des matériaux beaucoup plus performants » nous dit Yves Bréchet. C’est ce qu’on appelle le biomimétisme. « Mais c’est plus un rêve, une ligne de conduite » précise-t-il.
Pour le métallurgiste, la première étape consiste à générer des microstructures à plusieurs échelles, à créer des architectures, à observer les matériaux poreux comme les laines, les mousses et de créer des microstructures à l’intérieur de ces matériaux là. « L’idée consiste à se dire que je vais jouer sur tous les matériaux et toutes les échelles et fabriquer des matériaux qui n’existent pas pour optimiser la conductivité électrique, alléger les structures … ».
Faire subir de nouveaux traitements à un matériau pour qu’ils présentent de telles propriétés spécifiques s’appelle le « alloy design ».
Yves Bréchet nous donne deux exemples de traitements sur un matériau :
Tout d’abord « le contrôle des propriétés dans des soudures d’alliages légers obtenu par un procédé un peu barbare : le soudage par friction malaxage. On obtient ainsi deux plaques soudées sans pour autant les avoir fait fondre. Pour autant, les propriétés mécaniques locales de ces plaques ne sont plus les mêmes après ce procédé de « friction malaxage ». Nous cherchons à comprendre ce qui est arrivé aux microstructures au cours de ce procédé ».
Autre exemple, plus pratique : la fonte de l’acier. Chauffé plus au moins longtemps, à des températures différentes, les propriétés des tôles d’acier ne sont pas les mêmes. « On ne m’a pas attendu pour laminer les tôles d’aciers ! Mais il est bien de maîtriser ces transformations de phases pour développer de nouvelles nuances ».
Un pied dans le conseil scientifique de grands groupes
À la fois chercheur, ingénieur et enseignant, Yves Bréchet a pris ses quartiers à l’INP Grenoble où à ce jour, pas moins de 70 thésards sont passés entre ses mains. Si parmi ses étudiants, certains ont créé leur entreprise, Yves Bréchet lui, ne se dit pas du tout tenté par l’aventure. « Il y a tout un tas d’autres aspects à gérer quand vous êtes chef d’entreprise. C’est aussi la raison pour laquelle je me suis toujours tenu à distance de toute espèce de responsabilité d’organisation » s’amuse-t-il. À contre-courant des idées reçues, lui qui est si proche de la recherche et des applications ne cherche pas non plus à développer des brevets.
En revanche, Yves Bréchet est conseiller scientifique de plusieurs grands groupes tels que Arcelor Mittal, le CEA (commissariat à l’énergie atomique), EDF, et l’ONERA (centre français de laboratoire spatiale). À chaque fois son expertise est demandée sur des sujets aussi différents que le vieillissement des matériaux pour EDF, le développement de matériaux haut de gamme pour les moteurs de l’ONERA, ou la recherche fondamentale sur le développement de nouveaux alliages chez Arcelor Mittal.
Chez EDF la question du vieillissement des centrales nucléaires reste au cœur du sujet. « Il faut se sortir du mouvement de panique » assure Yves Bréchet : « Dans une centrale vous avez des composants non remplaçables (comme la cuve), d’autres qui sont remplaçables (les tuyauteries) et encore d’autres qui sont consommables (le combustible). Pour moi, se poser la question de l’âge d’une centrale n’a aucun sens. Les plus vieilles centrales ont des composants largement remplacés au cours de leur existence ».
On l’aura bien compris, la science des matériaux et spécifiquement la métallurgie n’est pas une science poussiéreuse. Elle demeure au cœur de nos technologies en devenir et présente dans notre quotidien. « Nous nous intéressons actuellement aux interactions entre le vivant et les métaux. On y travaille pour la bière qui fermente dans des cuves en métal ». La science des matériaux pourrait aussi se rapprocher de la géologie « pour comprendre grâce à l’étude des microstructures l’état de cristallisation des roches, comprendre son histoire ».
Et que fait Yves Bréchet de ses heures perdues ?
Entre ses lectures de Julien Green, de Montesquieu, de Pascal ou de recueils de poésie, notre physico-chimiste s’intéresse à la cinétique des graffitis ! « J’ai proposé à la RATP de m'intéresser à la vitesse à laquelle un mur se couvrait de graffitis en imaginant un temps d’incubation, de croissance puis de saturation. Je n’ai pas eu de réponse pour l’instant, mais je ne désespère pas de faire cette étude avec un sociologue ou un ethnologue ».
Autre étude, qui lui a valu cette fois-ci une parution dans Nature : la description des vagues d’applaudissements ou comment les applaudissements apparaissent en rythme pendant un temps court avant d’entrer de nouveau dans une cacophonie.
Yves Bréchet est physico-chimiste spécialiste des métaux et des alliages. Il est professeur de science des matériaux, à l’Institut polytechnique de Grenoble (INP), professeur à l’Institut universitaire de France et professeur associé à la McMaster University au Canada.
Il est également consultant scientifique de plusieurs grands groupes faisant appel à la métallurgie comme Arcelormittal, le CEA, EDF, l'ONERA (Centre français de laboratoire spatiale).
Yves Bréchet a à son actif pas moins de 500 publications, plus d’une quinzaine de prix scientifiques dont dernièrement en 2010-2011 le Prix Humboldt de l’Académie des sciences et la médaille d’argent du CNRS.
En savoir plus :
- Yves Bréchet, de l'Académie des sciences
- La métallurgie : une industrie d’avenir