Drogues : les salles de shoot " un très mauvais signal pour la jeunesse "
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, a exprimé sa volonté d’ouvrir des salles d’injections pour toxicomanes, à titre expérimental. Si Paris, Marseille et Toulouse s’apprêtent à ouvrir de telles salles, le projet suscite un vif débat. Le Pr Jean Costentin, membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie de Pharmacie et président du Centre national de prévention, d’études et de recherches en toxicomanie (CNPERT), s’oppose vivement à ce projet. Dans un entretien par téléphone, il explique pourquoi il ne souhaite pas l’ouverture de ces salles de shoot.
Ces ouvertures prochaines de salles de shoot voulues par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, ont pour but d'offrir aux toxicomanes un lieu sûr pour s'injecter leur dose et ainsi réduire les risques d’infection, la transmission des virus tels que l’hépatite, le VIH et limiter les overdoses. Pour Jean Costentin de l'Académie nationale de médecine, ce projet ne contribuera en rien à réduire l'invasion toxicomaniaque de notre société. Accentuer la vigilance et la prévention : voilà ce qui devrait être une priorité. «Dans notre société confrontée à une invasion toxicomaniaque, des lieux où les toxicomanes pourraient venir avec leurs drogues se faire injecter en contravention de la loi», lui semblent inappropriés. Avec ces salles de shoot, on finirait par «transformer les chemins escarpés du toxicomane en une allée de roses, il y aura forcément un effet d'appel considérable.»
«En cas d'incident, est-ce l’État qui sera responsable?»
Un problème majeur que soulève l'académicien dans cet entretien est celui du rôle des médecins. En effet, se pose la question de la responsabilité de ces derniers. Superviser l'injection de "drogues de la rue", des produits loin d'avoir une qualité médicamenteuse, posera forcement des difficultés. L’héroïne vendue couramment dans la rue n'est composée que de 30 à 40 % d’héroïne pure que l'on trouve noyée dans tout un tas de substances de dilution» ; alors quel médecin accepterait de superviser l'administration d'un produit qu'il sait foncièrement impur ? Et par la suite, cette question en appellera une autre : lorsque le corps médical se rendra compte qu'il est impossible de superviser ces administrations de drogues impures, que feront-ils ? Le Pr Costentin craint qu'en contrepartie des produits de la rue, les salles de shoot finissent par fournir elles-mêmes la drogue de bonne qualité. «De plus, il a été prouvé que chez les sujets qui bénéficiaient de ces salles que le dosage d'héroïne dans leur sang ne les avait pas dissuadés de compléter leur dose par de l’héroïne de la rue», poursuit Jean Costentin.
Et qu'adviendra-t-il lorsque le toxicomane sortira des salles de shoot dans un état second causé par la prise de drogue, s'il agresse quelqu'un ou provoque un accident ? Est-ce l’État qui sera responsable à travers le personnel infirmier qui lui aura permis l'injection de sa drogue ?
Un coût pour l'Etat... qui paie ?
Évidemment, ces salles de shoot ont un coût et là aussi, l'académicien soulève une incohérence : «en France, nous déplorons déjà de ne pas disposer de moyens nécessaires pour la prise en charge médicale des toxicomanes aux fins d'installer chez eux progressivement l'abstinence et là, on trouverait des moyens non pas pour soigner ni pour traiter mais pour administrer la drogue aux toxicomanes...» De plus, ces salles devront ouvrir sur des créneaux horaires assez larges car un toxicomane peut «s'injecter 3 à 6 fois par jour y compris la nuit» car comme le déplore l'Académicien, le credo du toxicomane est «toujours plus, toujours plus souvent, toujours plus fort.» Se posera alors, à long terme, le même problème rencontré à Genève, où les salles de shoot ont été obligées de restreindre le nombre de sujets accueillis en imposant un nombre limite de visites quotidiennes.
Du point de vue de la morale, l'Académicien souligne le message envoyé à la jeunesse : «ces salles sont un très mauvais signal pour notre jeunesse car d'un côté, l’État interdit la drogue et de l'autre organiser des lieux où, sous supervision médicale, avec des crédits d'Etat, le toxicomane peut venir s'injecter. Comprenez combien cela peut perturber l'esprit de la jeunesse !»
Convaincu qu'il faut accentuer la prévention et oser parler de la drogue aux jeunes en faisant preuve de plus de pédagogie, Jean Costentin vante le modèle de la Suède, où «dès l'école maternelle, 40 heures d'enseignement sont dispensés pour aller vers une bonne connaissance de la toxicomanie.»
«la France et sa relation très particulière avec les toxicomanies»
Quant aux comparaisons qui sont souvent faites avec les pays voisins de la France, comme l'Allemagne, l'Espagne ou la Suisse qui connaissent déjà la mise en place de ces salles de shoot, le Pr les balaient :
«la France a mis en place des dispositifs qui n'existent pas dans des pays où ces centres ont été mis en place. Nous avons en particulier la dispensation libre voire gratuite de seringues afin d’empêcher la contamination du sujet qui recourt aux drogues injectables par les virus du sida ou de l'hépatite. Donc cette notion de prévention de ces maladies par le jeu de ces salles de shoot est une argutie. Ces sujets qui y accèdent le feraient après un si long parcours de toxicomanie que s'ils n'avaient pas pris leur précaution avant, ils seraient déjà de longue date contaminés par le sida ou des hépatites.» De plus, grâce à ce système de dispensation de seringues gratuites, la France peut se targuer que même si « le sida reste prégnant chez les toxicomanes, il n'a plus l'acuité qu'il avait autrefois et est moins important que dans les autres pays européens.»
Pour lui, la France a une relation très particulière avec les toxicomanies, en témoigne la place qu'elle occupe sur les 27 états membres de l'Union Européenne : elle est le plus gros consommateur de cannabis. Ajouté à ça, le tabagisme qui cause 66 000 morts chaque année et les 4 millions de Français qui sont en délicatesse avec l'alcool : les comparaisons de pays à pays doivent se faire dans une certaine mesure...
Pessimiste, Jean Costentin met le doigt sur l'hypocrisie qui règne autour de ces ouvertures expérimentales des salles d'injections : «La France n'a pas la culture de l'expérimentation» et il reste convaincu que dès que ces salles seront ouvertes, il sera impossible de les fermer. Impossible de faire marche arrière...
Clément Moutiez
- Quelques pays où les salles de shoot existent déjà :
-* Suisse : 13 salles existantes
-* Espagne : 7 salles existantes
-* Allemagne : 26 salles existantes
-* Pays-Bas : 37 salles existantes
- Consultez la fiche du Professeur Jean Costentin sur le site de l'Académie nationale de médecine et sur le site de l'Académie de pharmacie.
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