Aujourd’hui comme au Moyen-âge, l’Europe unie par sa littérature ? Le point de vue de Michel Zink
En cette semaine dédiée à l’Europe, retrouvons l’académicien et Secrétaire perpétuel, depuis le 28 octobre 2011, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, Michel Zink, professeur au Collège de France, grand philologue et spécialiste de la littérature médiévale (XII, XIII, XIVe siècles). Il nous parle, dans cette émission extraite de notre série "l’Essentiel" animée par Jacques Paugam, de sa vision de l’Europe, de ses espoirs et de ses attentes la concernant.
Quand Jacques Paugam demande à Michel Zink, philologue et médiéviste de renom, spécialiste de la littérature du Moyen Âge, quel évènement ou tendance de ces dernières années lui laissent le plus d’espoir, c’est avec réalisme et nostalgie que ce grand universitaire évoque tout d'abord les atteintes envers la dignité de chacun (aujourd’hui reconnues pour ce qu’elles sont : des actes insupportables ), mais aussi par la suite, avec un enthousiasme contenu, cette Europe dont on parle tant, porteuse d'espoirs et de désillusions.
Qu’espère-t-il de cette Europe dont il a étudié en profondeur la littérature du passé ? S’il avoue («comme tout le monde» nous dit-il) qu’elle a toujours suscité en lui un grand espoir, il reconnaît cependant qu’elle semble aujourd’hui, non pas finie, mais « faite ».
Un aboutissement qui serait accompagné pour ce grand médiéviste d’une déception, déception devant toutes les «choses essentielles qui ne sont pas venues » et devant l’« accessoire » qui, lui, s’est trop souvent invité.
Mais l'espoir demeure, espoir en une Europe unifiée derrière une très riche tradition littéraire, en atteste le bel ouvrage auquel Michel Zink a participé, Identité littéraire de l’Europe (dirigé par Marc Fumaroli). Car si l’Europe a en effet été un jour unie, c’est parce qu’elle a existé et s’est définie à travers une littérature et une vie intellectuelle « communes».
Le Moyen Âge, période de conflits constants, s'est révélé être une époque où l’unité de l’Europe (en particulier de l’Europe latine) allait de soi. Il y avait bien une Europe dans la littérature du Moyen Âge, littérature latine homogène à tout le continent européen, mais également au sein des langues vernaculaires qui se plaisaient à se traduire et à s’imiter les unes les autres en permanence.
La littérature devint ainsi un lien universel entre tous les peuples : il n’était pas étonnant qu’un roi de Norvège envoie un de ses émissaires en France pour en apprendre plus sur les troubadours, ou que ce même roi fasse traduire systématiquement en norrois la littérature française, à tel point que certaines œuvres perdues ont été retrouvées grâce aux traductions scandinaves.
La littérature aurait-elle alors vocation à traduire l’âme d’un pays, voire même d’un continent ? Michel Zink, en se gardant bien d’une vision purement romantique de la question (rappelons que les Romantiques voient dans la production littéraire un moyen pour le peuple d’exprimer son génie), met en avant l’aspect concret des œuvres littéraires, véritable reflet de la vie, des préoccupations et de la sensibilité des groupes humains.
En quelques mots Michel Zink livre donc à Jacques Paugam et au public sa conviction «essentielle» : la littérature contient la mémoire d’une identité commune, identité notamment européenne qu'il serait important de ne pas oublier en ces temps agités.
En savoir plus
Michel Zink :
Chevalier de la Légion d'honneur et officier dans l'ordre des Palmes académiques, Michel Zink (Issy-les-Moulineaux, Seine, le 5 mai 1945) a été élu, le 3 juin 2000, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, au fauteuil de Félix Lecoy, et le 28 octobre 2011 secrétaire perpétuel de cette Académie.
Philologue et médiéviste, spécialiste de la littérature de la France médiévale aux XIIe-XIVe siècles (poésie lyrique, en particulier pastourelle ; romans, notamment Jean Renart, Chrétien de Troyes ; Rutebeuf), de la littérature religieuse (sermons en langue romane, contes), d'historiographie (Froissart), d'histoire générale de la littérature française au Moyen Âge et critique littéraire (subjectivité de la littérature médiévale, regard de la littérature médiévale sur le passé).
- Retrouvez l'intégralité de l'intervention de Michel Zink dans "l'Essentiel..." avec Jacques Paugam : L’essentiel avec... Michel Zink, Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belle-lettres
- Retrouvez les autres émissions de la série "L'essentiel avec...", présentée par Jacques Paugam.
- Consultez la fiche de Michel Zink sur le site de l’Académie des inscriptions et des belles-lettres
- Retrouvez les émissions de Canal Académie avec [Michel Zink->http://www.canalacademie.com/+-Michel-Zink.html], en particulier :
- Michel Zink : Roman et poésie au Moyen Âge, la foi et le Graal
- Moyen Âge et Renaissance dans les leçons inaugurales du Collège de France
- Seuls les enfants savent lire
- La musique au Moyen Âge : entre oral et écrit