Le stade de football : « le nom propre d’un culte à mystères »
Dans l’Antiquité déjà, les stades étaient remplis de "supporters". Notre invité, Jean-François Pradeau, professeur de philosophie antique à l’université de Lyon, spécialiste notamment de Platon, s’interroge : « Qui sont-ils, ces supporters ? De pauvres gens qui viennent soulager leur misère sociale et leur violence barbare dans les gradins ? Des bêtes ? Des damnés ? ». Son ouvrage Dans les tribunes (aux Editions Belles-Lettres) tente un rapprochement entre ce qui se passe aujourd’hui dans un stade et ce qui se passait dans les lieux de culte à mystères.
«Il n'y a pas un endroit au monde où l'homme est le plus heureux que dans un stade», déclare Albert Camus qui jouait comme gardien de but au Racing Universitaire d'Alger et qui était passionné par le football. C'est pour louer ce sanctuaire, cette cathédrale vibrante et colorée que Jean-François Pradeau a écrit ce livre. Et un stade de football serait bien nu sans les supporters qui peuplent ses gradins. Habité, le stade prend alors une «dimension cultuelle» qui va offrir «une expérience savante et érotique» à celui, qui grimé, exalté, va retrouver les siens, ceux qui partagent sa passion, pour admirer le spectacle des 22 athlètes sur le pré vert.
Jean- François Pradeau souligne l'importance de l'architecture du stade: «On pourrait admettre que tous les stades ont des particularités, des visages, depuis l'étonnante géométrie anguleuse du Maksimir de Zaghreb jusqu'à la forme déconcertante de l'Alberto Armando de Buenos Aires. Et du stade de Highbury qui surgit tout à coup entre les jardins des maisonnettes de Highbury Hill...» Mais bien souvent derrière les briques, le stade cache sa beauté intérieure un peu comme les statues anciennes qui représentaient un personnage de très vilaine apparence, mais dissimulaient en elles des statues d'une beauté surnaturelle. Alors que le mot stade (du grec stàdion) désignait à l'origine le nom d'une mesure d'environ 180 mètres, qui servait à mesurer la distance de certaines courses, il a fini par désigner le lieu même où se déroulaient ces courses.
Et puis le football a statufié cette expression : "Aller au stade".
Jean-François Pradeau compare ce qui se passe dans un stade lors d'un match de football aux cultes à mystères. Il revient en Grèce au VIe siècle av J-C, où des groupes d'hommes se retrouvaient dans une grotte secrète. Le prêtre, appelé le mystagogue, dirigeait la cérémonie, entouré d’officiants venus ici pour être initiés aux mystères divins. Et puis : «Une jeune femme surgit de l'ombre, grimée et déguisée, elle chante, tous la reconnaissent : c'est la déesse Déméter ! Les hommes et les femmes se sont levés pour chanter : ils interpellent la déesse, saluent son courage.» Ainsi, cette assemblée porte sur ses vêtements des symboles et des dessins, à l'image du supporter qui reconnaît les siens grâce à leurs maillots.
Des rites d'initiation ?
Ce qui fait la liaison entre les cultes à mystères et le supporter dans un stade, c'est cette notion d'initiation, essentielle à tous ceux qui veulent faire partie de la communauté. Chez les supporters, les rites d'initiation existent bien selon le professeur de philosophie. On apprend les chants, on se transmet l'histoire du club oralement, on échange un savoir et des valeurs. Et si cette notion de valeur peut briser l'image un peu triviale du supporter, Jean-François Pradeau s'en félicite : «Dans la manière dont les supporters apprécient le jeu, il y a un ensemble de valeurs qui sont des valeurs morales qu’on le veuille ou non. Il y a une justice, il y a une vertu, une élégance du joueur, c’est ce que salue le supporter. De même qu'à la Corrida, les aficionados vont juger moralement le courage d’un matador, de la même manière, un supporter de foot va apprécier ce qui se passe sur le terrain en termes moraux.»
Avec son ouvrage, Jean-François Pradeau démontre que le spectacle des tribunes d'un stade de football n'est pas aussi vulgaire qu'on ne le pense, mais bien riche en charmes. Après tout Platon dans La République chassait les poètes de sa cité idéale, mais non les sportifs...
Dans les tribunes, éloge du supporter.
Editions Belles-Lettres
Jean-François Pradeau
Photographies d'Olivier Tibloux
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