Les Académiciens racontent l’Histoire : François 1er (2/2)
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques
Les académiciens François-Auguste Mignet et Antoine, duc de Lévis Mirepoix, poursuivent et achèvent avec ce second volet notre émission consacrée au portrait du roi François 1er. Sous la plume de François-Auguste Mignet, voici l’épisode incroyable du Camp du Drap d’Or entre Henri VIII et François Ier, puis les moments dramatiques et douloureux de la défaite de Pavie, de la captivité du roi et de ses enfants en Espagne ; sous celle du duc de Lévis Mirepoix, on aborde la relation politique très discutée de François Ier avec Soliman, la question de l’organisation du royaume ainsi que celle des échanges commerciaux.
dimanche 6 février 2011 - réf. VOI580
Marc Fumaroli de l’Académie Française a écrit dans un article du Figaro Magazine (été 2010) : « Dans la suite de nos rois, François Ier tranche par un tempérament physique et moral d'une éclatante santé, qui frappa ses contemporains autant que la vivacité et la gaieté de son esprit. Après Philippe- Auguste consumé d'ambition, saint Louis de dévotion, Charles V de sagesse, Charles VI de folie, Charles VII de tristesse, Charles VIII de donquichottisme, et Louis XII d'infirmités, surgit François Ier, athlétique, de grand air, débordant d'énergie et ne tenant pas en place, à la fois imaginatif, gourmand et intelligent. La mélancolie fait soudain place à la surabondance de vie et à l'appétit joyeux des saveurs terrestres. A lui seul, François Ier incarne un « beau XVIe siècle » et une « Renaissance » qui ne survécurent pas à ses trente ans de règne, et un royaume de France peuplé et prospère qui trouva en lui son identité charnelle et la conscience de son poids dans les affaires du monde. »
François Ier se rendit célèbre par la bataille de Marignan en 1515. Mais en dépit de la "furia francese", les Français furent battus et l’Italie ne fut pas conquise.
- Ecouter le premier volet : Les Académiciens racontent l’Histoire : François 1er (1/2)
Le Camp du Drap d'Or est un campement établi dans une vaste plaine des Flandres par les rois de France et d'Angleterre - François Ier, et Henri VIII, entre les châteaux d'Ardres et de Guines, du 7 au 24 juin 1520.
L'assemblée du Camp du Drap d'Or a pour objectif de commencer une alliance entre l'Angleterre et la France.
C'est une véritable cité qui est organisée pour l'occasion entre les deux villes frontalières d'Ardres la française, et de Guînes l'anglaise, où les tentes, par centaines recouvertes d'étoffes brodées au fil d'or, laissent apparaître au spectateur un vaste "champ de drap d'or", que l'histoire retiendra sous le nom de Camp du Drap d'Or.
Le Roi de France avait installé sa tente royale de drap d'or près des marais d'Andres. A Guînes, fief anglais, Henry VIII avait fait bâtir le palais de cristal, un édifice original de bois et de verre aux couleurs des Tudor, le "palais de cristal", long de cent mètres et haut de quarante.
Quant au pavillon du roi François 1er, il est "aussi haut que la plus haute tour connue". La tapisserie intérieure est en velours bleu, parsemée de lys d'or et l'extérieur est décoré d'un drap d'or frisé. Les fêtes sont grandioses : joutes et épreuves de tir à l'arc sont organisées pour distraire et rapprocher les cours des deux monarques.
C'est une première dans l'histoire de l'Europe.
François Auguste Mignet (1796-1884), membre de l’Académie des sciences morales et politiques dès 1832, élu à l’Académie française en 1836, Conseiller d’Etat sous Louis-Philippe, directeur des archives au ministère des affaires étrangères, rédacteur au Constitutionnel, au Courrier français, à la Revue des deux Mondes, au Journal des Savants, relate cet épisode historique du camp du drap d’or ; un épisode dont Chateaubriand dira dans son Histoire de France (page 276) - La Place Royale 1987: « L’entrevue de François Ier et de Henri VIII, près de Guines, appelée le camp du drap d’or, fut une dernière parade des temps féodaux, un simulacre des tournois, des cours plénières, de ces anciennes mœurs déjà assez passées pour n’être plus que des spectacles. »
Voici un bref extrait (les textes complets qui sont lus dans cette émission, vous sont proposés en bas de page dans le document joint) des écrits de l’académicien Mignet à ce sujet :
« Le jour même où il se sépara de Charles-Quint, Henri VIII s'embarqua pour aller voir François Ier. Il arriva à Calais le 1er juin, accompagné de la reine Catherine sa femme, suivi de son premier ministre Wolsey, escorté des grands officiers de sa couronne et des principaux prélats de son royaume, et conduisant avec lui ce que l’Angleterre avait de plus noble et de plus opulent.
Il portait sur sa flotte tout un vaste palais en bois et en verre, qui, ajusté et déployé hors du château de Guines, fut intérieurement recouvert en étoffes de velours et de soie ou orné avec les belles tapisseries d'Arras. Enfermé pendant la nuit dans le fort château de Guines, Henri VIII devait pendant le jour habiter cet élégant palais pour y recevoir et y fêter la Cour de France.
De son côté, François Ier heureux de la rencontre dont il attendait la consolidation d'une amitié qui ne lui laissait craindre, comme il le disait, aucun prince sur le continent et le rendait certain de réussir dans ce qu'il projetait d'entreprendre, s'était transporté jusqu'au château d'Ardres.
Il y était venu en compagnie de la reine Claude sa femme, de la duchesse d'Angoulême sa mère, de la duchesse d'Alençon sa sœur, formant avec lui, par l'accord intime des idées et des sentiments, cette trinité spirituelle que chantaient les poètes et à laquelle se recommandaient les ambassadeurs.
Il amenait quatre cardinaux, tous les princes de sa famille, le fier connétable de Bourbon, resté souverain féodal de plusieurs provinces du centre de la France, l’amiral Bonnivet, le chancelier Du Prat, les divers officiers de sa couronne, les plus grands seigneurs du royaume, et même un certain nombre de gentilshommes qui, pour figurer dans cette entrevue fastueuse, avaient vendu leurs forêts, leurs moulins, leurs prés, qu'ils portaient, selon l'expression de du Bellay, sur leurs épaules.
Il avait fait dresser en dehors de la ville d'Ardres, et non loin d'un petit cours d'eau, plus de trois cents pavillons couverts de toiles d'or et d'argent, tendus de velours et de soie, et sur lesquels étaient déployées les armes de France où flottaient les insignes des princes et des seigneurs composant la brillante escorte du roi. Au milieu s'élevait la tente royale, plus grande et plus haute que les autres, surmontée d'une statue d'or de saint Michel, que faisaient étinceler au loin les rayons du soleil, dont la lumière rendait plus splendide encore cet élégant amas de tentes dorées et de pavillons argentés.
Rien ne fut égal en éclat à cette réunion des deux rois et des deux Cours au camp si bien nommé du Drap d’Or… » (Textes complets en fin d’article dans doc.joint)
Après les ors de la monarchie, Mignet aborde le côté « ombres » de ce règne avec la captivité de François Ier et de ses enfants, dix ans après la victoire de Marignan :
"François 1er était prisonnier de Charles-Quint. …./
Le royaume était placé sous l'administration d'une femme, Louise de Savoie, duchesse d'Angoulême, que son fils avait nommée régente en partant pour l’Italie, et dont l'influence avait plus montré jusqu'alors l'avidité que la capacité. Des trois enfants de François Ier, le plus âgé avait à peine huit ans. L'autorité, si nécessaire en ces conjonctures menaçantes, ne résidait avec force nulle part. L'argent manquait dans l’État épuisé. Les troupes avec lesquelles on aurait pu repousser les agressions extérieures avaient été détruites ou dispersées, les meilleurs chefs de guerre étaient morts ou captifs. On semblait également dépourvu des moyens de garder le royaume sans trouble, si le roi en restait longtemps éloigné, de le préserver d'un démembrement, s'il était envahi. La grande infortune de Pavie laissait redouter de plus grands malheurs encore pour la France. …../
François Ier fut d'abord enfermé dans la tour carrée de los Lujanes, ainsi nommée parce qu'elle appartenait à don Fernando Lujan. Elle avait été choisie comme la plus forte des tours qui flanquaient l’enceinte de Madrid.
François Ier n'y resta pas longtemps. L'Alcazar, destiné à lui servir de demeure, étant prêt à le recevoir, il y fut conduit et établi. Le donjon où il devait passer tant de mois dans les tristesses de la prison, les accablements de la maladie, les angoisses d'une négociation agitée et interminable, était haut, étroit et sombre. Il s'élevait non loin du Manzanarès, presque à sec dans cette saison, et avait vue sur la campagne aride du vaste plateau de Madrid. La chambre disposée pour le roi prisonnier n'était pas très spacieuse ; on y arrivait par une seule entrée, et l'unique fenêtre qui y laissait pénétrer la lumière s'ouvrait du côté du midi, à environ cent pieds du sol, à peu de distance du Manzanarès. Cette fenêtre, pratiquée dans l'épaisseur de la muraille, était assez grande pour former comme un cabinet par son profond enfoncement. Vitrée intérieurement, elle se fermait au dehors par une double grille de barreaux de fer scellés dans le mur. Un lit pour le roi, des coffres pour les objets de sa toilette et de son service, quelques tables et des sièges pour ceux qui étaient admis à lui tenir compagnie ou à le visiter, composaient l'ameublement de cette chambre, dont les murailles se couvrirent bientôt de tentures à fleurs de lis apportées de France et sur lesquelles se détachaient, avec l’écusson royal, l'emblématique salamandre de François Ier et son F. Alarcon, placé dans le voisinage du roi avec sa troupe d'arquebusiers, qui occupait surtout la partie inférieure de la tour, n'avait pas de peine à veiller sur le prisonnier confié à sa garde…../ »
Duc de LEVIS MIREPOIX qui fut élu en 1953 à l’Académie française eut une carrière d’historien et de romancier et produisit une œuvre dans laquelle on peut citer : Le Papillon noir, Le Nouvel Apôtre, Le Seigneur inconnu, Les Campagnes ardentes (récit de guerre couronné par l’Académie française en 1917), Le Baiser de l’Antéchrist, Montségur, Le Voyage de Satan, « Sainte Jeanne de France, fille de Louis XI », François 1er, Le Siècle de Philippe le Bel etc…, Il analysa la relation diplomatique de François Ier avec Soliman le Magnifique
/…/ P246-249
« François Ier est un roi qui gouverne. Si un gouvernement personnel doit porter plus lourdement le poids des fautes, il doit recevoir plus directement aussi l'honneur des succès. Voici comment le Prince expose lui-même ses vues à Marino Guistiniano, ambassadeur de Venise:
« Monsieur l'ambassadeur, je ne puis pas nier que je désire vivement voir le Turc très puissant et prêt à la guerre, non pas pour lui, car c'est un infidèle et nous autres sommes chrétiens, mais pour affaiblir les puissances de l'Empereur, pour le forcer à de graves dépenses, pour rassurer tous les autres gouvernements contre un ennemi si grand. »
Ailleurs, il dit: « Veux pourvoir en mon affaire en sorte que je ne sois surpris ni mon dit royaume pillé. »
C'est rigoureusement ce qu'il met en pratique, et avec quelles nuances, quel équilibre, quelle sûre et subtile détermination du but. Au milieu des nécessités de sa défense contre Charles-Quint, s'il tend la main au Turc, il ne se jette pas dans ses bras et ne perd pas le sens de la chrétienté. Il veille sur le Saint-Sépulcre et sur l'Eglise latine de Jérusalem, et obtient de Soliman un véritable droit de cité pour le culte chrétien.
« Ils conserveront, proclame le grand Turc, en toute sûreté les oratoires et les établissements qu'ils occupent actuellement sans que personne puisse les opprimer et les tourmenter d'aucune manière. Qu'on le sache ainsi! »
Et cette mansuétude est appuyée par ces paroles adressées à François 1er :
«L'amitié et l'affection qui existent entre ma glorieuse majesté et vous rendent vos désirs admissibles auprès de ma personne, source de bonheur. »
François Ier sut faire tourner ce prétendu scandale de l'amitié avec le Turc au profit de sa foi."
Ces textes ont été choisis avec la collaboration de Danièle Jeanne.
Les textes complets de ces extraits vous sont proposés ci-après en document joint.
Vous pouvez les écouter grâce aux voix du comédien Thomas Lempire dans les textes de François-Auguste Mignet, et de Pierre Arnaud dans les textes d'Antoine de Lévis Mirepoix.