Le mois de... Simone Veil : la condition féminine 4/4
Canal Académie a le plaisir de proposer la 4ème et dernière émission de sa série « Le mois de… » consacrée à Simone Veil qui occupe désormais, grâce à son élection parmi les Immortels, le treizième fauteuil, à l’Académie française, en remplacement de l’ancien Premier ministre Pierre Messmer, décédé en en août 2007.
Ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale de 1974 à 79, Simone Veil a été la première Femme Président du Parlement Européen élu au suffrage universel de 1979 à 82.
Nommée par la suite, Ministre d’Etat, Ministre des Affaires sociales de la santé et de la Ville de 1993 à 95, elle fut 3 ans plus tard membre du Conseil Constitutionnel de 1998 à 2007.
Cette même année 2007, Simone Veil fit paraître aux Editions Stock un livre intitulé Une Vie.
« Maupassant que j’aime » écrit-elle « ne m’en voudra pas d’avoir emprunté le titre d’un de ses plus jolis romans pour décrire un parcours qui ne doit rien à la fiction. »
Au cours de cette émission, des lectures de quelques passages extraits de ce livre de mémoires : Une vie édité chez Stock seront faites.
Grand succès de librairie, cet ouvrage s’est vendu à 600 000 exemplaires.
A signaler que Une vie sort, en cette nouvelle rentrée littéraire, en livre de poche.
Simone Veil, avec ses mots, ses émotions, confie dans ce livre et devant les micros de Canal Académie: une jeunesse-témoin de la souffrance, de la barbarie, de l’indicible de la déportation – puis avec la libération et le retour à la vie: le bonheur de créer une famille, avec la joie renouvelée trois fois de donner la vie – ensuite une entrée dans la vie professionnelle en qualité de Magistrat puis dans la vie politique, pour défendre les droits des « oubliés » de nos sociétés, telles sont les bases « du destin exceptionnel de cette femme politique dont la légitimité est la moins contestée en France et à l’étranger » déclarent les Editions Stock qui proposent donc sa biographie : Une vie une biographie attendue depuis longtemps. Simone Veil s’y montre telle qu’elle est : libre, véhémente, sereine.
Canal Académie a souhaité se faire l’écho des souvenirs contenus dans ce livre passionnant et se mettre à l’écoute de quelques commentaires de Madame Veil sur les principaux évènements de sa vie.
« Tout ce petit monde était foncièrement républicain et laïque, du côté de ma mère, comme de celui de mon père. … Très simplement, nous étions juifs et laïques et n’en faisions pas mystère… J’ignorais tout de la religion. » écrit-elle.
Au début de l’année 1944 : « La Gestapo redoublait les contrôles et la traque… », la jeune Simone passe les épreuves du bac à Nice, sa ville natale, elle a 16 ans. Examens réussis, « j’avais rendez-vous avec des amies pour fêter la fin des examens. Je m’y rendais avec un camarade lorsque soudain, deux allemands en civil nous arrêtèrent pour contrôle d’identité »…
L’horreur commence, Simone, sa mère, sa sœur Milou et son frère Jean sont arrêtés ; son père le sera aussi quelques jours plus tard, sa sœur Denise qui avait rejoint la résistance sera arrêtée elle aussi et déportée à Ravensbrück.
Simone apprendra plus tard que son père et son frère ont été embarqués ensemble pour Kaunas, en Lituanie, nul ne sait le sort qui leur fut réservé, la famille Jacob est démantelée à jamais…
Pour Simone, sa mère et sa sœur Milou l’enfer prit les noms suivants : Hôtel Excelsior, Drancy, Auschwitz-Birkenau, Bobrek, Gleiwitz, Dora, Bergen-Belsen… La lutte pour la survie, un quotidien effroyable, tout ce qui ne peut pas se traduire en mots.
Simone Veil nous rappelle dans son livre Une vie qu’un autre témoin de la Shoah : Aharon Appelfeld explique pourquoi « ceux qui ont été les victimes de la Shoah, ne s’en sortent jamais… Appelfeld énonce les raisons pour lesquelles on ne peut plus s’en détacher. Elles sont terribles, et marquent la différence de nature avec la situation des résistants. Eux sont dans la position des héros, leur combat les couvre d’une gloire qu’accroît encore l’emprisonnement dont ils l’ont payée ; ils avaient choisi leur destin. Mais nous, nous n’avions rien choisi. Nous n’étions que des victimes honteuses, des animaux tatoués. IL nous faut donc vivre avec ça, et que les autres acceptent. Tout ce qu’on peut dire, écrire, filmer sur l’Holocauste n’exorcise rien. La Shoah est omniprésente. Rien ne s’efface ; les convois, le travail, l’enfermement, les baraques, la maladie, le froid, la faim, les humiliations, l’avilissement, les coups, les cris… non, rien ne peut ni ne doit être oublié… Deux mille cinq cents survivants sur soixante-dix-huit mille Juifs français déportés… C’est le poids effrayant du vide que l’oubli n’a pas le droit de combler, et que la mémoire des vivants habitera toujours.»
Simone Veil vient d’accepter de préfacer un livre qui parait en ce moment aux Editions du Cerf « Irena Adamowicz, Une Juste des Nations en Pologne » de Larissa Cain qui, elle aussi, à l’âge de 8 ans a été enfermée dans le ghetto de Varsovie.
Simone Veil, dans sa préface, salue l’engagement politique d’Iréna Adamowicz «notamment aux côtés de Joseph Kaplan, un des leaders qui préparèrent l’insurrection du ghetto de Varsovie. Irena lui servait d’agent de liaison pour rassembler les forces et fédérer les mouvements de résistance au sein des différents ghettos de Pologne, mais aussi pour faciliter les contacts entre l’Organisation juive de combat et la résistance polonaise dont elle faisait partie.
Engagement humanitaire aussi, puisqu’elle avait pour mission de visiter les orphelinats et que, à ce titre, elle put obtenir les autorisations nécessaires pour entrer dans le ghetto de Varsovie.
Engagement moral enfin, car jamais elle ne ménagea ses forces pour accueillir et aider ceux qui, à l’époque, étaient considérés comme la «Lie de la terre », pour reprendre l’expression d’Arthur Koestler.
De tels destins méritent d’être racontés aux jeunes générations, car ils fournissent l’exemple d’engagements spontanés, inattendus, aucunement obligatoires, et pourtant réalisés avec une ferveur et une simplicité admirables.
Irena Adamowicz appartenait à un mouvement, à un réseau, mais sa volonté et sa ténacité lui ont permis de se faire accepter par les réseaux de résistance juive qui ont pu lui confier des missions délicates, qu’elle seule polonaise, catholique, au-delà de tout soupçon, pouvait exécuter.
Que des femmes, en un temps où la barbarie était presque la règle, en un temps où l’héroïsme aurait dû voir se lever tant d’hommes qui sont pourtant restés impassibles, aient eu le courage de défier les autorités, afin de venir en aide à ceux qui, dans toute l’Europe, étaient pourchassés, déportés, et exterminés, voilà une leçon que nous devons retenir du récit de la vie d’Irena Adamowicz, voilà aussi une leçon pour les générations à venir. Irena Adamowicz fait partie de ces consciences isolées qui ne faiblirent pas alors que l’Europe sombrait dans le chaos et le déshonneur.
Elle mérite une place dans le Panthéon de l’humanité. Merci à Larissa Cain de l’avoir tirée de l’oubli.»
En sa qualité de Présidente de la Fondation de la Shoah, Simone Veil terminera son discours prononcé à New York, le 29 janvier 2007, à l’occasion de la Journée Internationale de commémoration dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste par les mots suivants : « … Je forme les vœux les plus ardents pour que cette journée décidée par les Nations Unies inspire à tous les dirigeants, à tous les hommes et femmes de par le monde, le respect de l’autre, le rejet de la violence, de l’antisémitisme, du racisme et de la haine.
Je souhaite solennellement vous redire que la Shoah est « notre » mémoire et « votre » héritage. »
C’est sur ces mots également que s’achève le livre « Une vie »
Devant les micros de Canal Académie, Simone Veil confie : « J’ai eu une vie très diversifiée dans ses obligations ; mais en même, c’était dans une certaine ligne qui est restée toujours sous-jacente ; c’est le fait par exemple d’avoir été magistrat parce que j’avais très envie de devenir avocat lorsque j’étais très jeune ; très peu de temps s’était écoulé depuis ma sortie des camps et j’étais très intéressée par ce qui concernait la détention dans les prisons, même s’il ne s’agissait pas là de déportation. Les prisons m’interrogeaient. Je n’étais pas seule dans ce cas ; à l’époque, dans l’administration pénitentiaire, il y avait justement un certain nombre de gens qui avaient été soit déportés soit prisonniers de guerre et qui de ce fait, s’intéressaient à ce qui se passait dans les prisons. Je voulais expliquer ça pour dire que ce qui a marqué dès le départ ma vie, c’est justement d’avoir essayé de faire des choses pour ceux auxquels on ne pense pas toujours. »
Même au bout de 7 ans, l’intérêt et l’énergie qui poussent Simone Veil à travailler à l’amélioration de l’univers carcéral ne faiblissent pas mais son environnement familial souffre de son investissement passionné dans cette mission. Une nouvelle proposition lui est faite par le nouveau garde des Sceaux de l’époque : Jean Foyer dont les qualités de juriste étaient reconnues et saluées. C’est ainsi que Simone Veil prend de nouvelles responsabilités à la Direction des Affaires Civiles.
Simone Veil écrit dans son ouvrage Une vie : « Par rapport à une situation qui n’avait guère évolué depuis le code Napoléon, Jean Foyer a introduit une égalité totale des droits entre les hommes et les femmes, aussi bien en ce qui concerne l’autorité sur les enfants que la gestion des biens. Ces chantiers étaient conduits par un éminent professeur de droit, Jean Carbonnier, par ailleurs sociologue. Travailler à ses côtés m’a fait mieux comprendre combien il est essentiel que le droit prenne en compte les réalités sociales. »
Apprentissage que Simone Veil ne cessera de mettre en application dans ses missions politiques et très certainement dans sa nouvelle vie académique qui commence.
En savoir plus :
Simone Veil : Conversation autour d’une vie "très diversifiée" 1/4
Le mois de... Simone Veil : "Shoah" 2/4
Le mois de... Simone Veil, la rebelle 3/4
Extraits et photos du livre Une vie de Simone Veil paru aux Editions Stock (avec nos vifs remerciements pour l’autorisation de les lire et de les présenter ici).