Les expériences gastronomiques du siège de Paris en 1870
Le siège de Paris en 1870 a donné lieu à de bien curieuses expériences gastronomiques fort bien documentées. On mangeait de tout, chevaux, ânes, chiens, chats, les animaux du zoo dont les éléphants, avant d’en venir aux rats dont le prix atteignit un sommet ! Il fallait avoir l’estomac bien accroché, ou plutôt bien affamé...
De nombreux autres sièges dans l’histoire depuis l’Antiquité ont entraîné des famines, une des plus célèbres étant le siège de La Rochelle en 1629 par Richelieu, où l’on mangea tout, y compris les chevaux, et où il y eut même des cas d’anthropophagie.
Investi dès le 14 septembre 1870 par les Prussiens, le siège de Paris était inédit par l’importance de la population. L’intendance avait prévu des réserves de vivres très importantes : 447 000 quintaux de farine, 25 000 œufs, 150 000 moutons, 2 000 porcs… On a consommé assez rapidement toutes les réserves, surtout de viande. On a consommé les chevaux, les ânes, les chats (25 000 dit-on) puis enfin les chiens et même les rats. Si le chat passait pour une gourmandise, les tabous s’exercèrent surtout sur le cheval et sur le chien, qui n’avait jamais été consommé dans notre pays et dont la viande passait pour désagréable et coriace. On vendait la viande de chien pour du mouton, et les rats pour des lapereaux. Selon le cuisinier Thomas Genin, le rat, s’il était désagréable à toucher, donnait une viande d’une formidable qualité, fine et un peu fade, mais parfaite si elle était bien assaisonnée. Thomas Genin servait des terrines de rat avec une farce de chair et de graisse d’âne qu’il vendait quinze francs.
Durant les 135 jours que dura le siège, on dit que l’humiliation la plus grave des bourgeois de Paris fut d’avoir mangé du rat. Il y eut des boucheries canines et félines. En décembre 1870, après trois mois de siège, le rat coûtait 3 francs, un chat 10 francs, un œuf 2 francs et un boîte de sardines 5 francs. On pêcha aussi les poissons de la Seine, de la Marne et des lacs du bois de Boulogne. Dans les restaurants de luxe, on servit les animaux du zoo et du Jardin d’acclimatation. Le maire du 3e arrondissement, Monsieur Bonvalet, pour fêter sa récente nomination, offrit un dîner de 20 convives le soir du réveillon du 31 décembre 1870, au restaurant Noël Peter’s, tenu par Mr Fraysse, et célèbre aussi pour avoir inventé le «plat du jour» et le homard à l’américaine. Il composa le menu suivant :
- Hors d’œuvre : sardines, céleri, beurre et olives
- Potage : Sajou (une sorte de singe) au vin de Bordeaux
- Relevé : saumon à la Berzelius
- Entrée : escalopes d’éléphant, sauce aux échalotes
- Rôt : ours à la sauce Troussenel
- Dessert : pommes et poires
D’autres recettes nous ont été conservées : daube de serpent python, civet de lion, crépinette d’hippopotame ou de rhinocéros…
Mais l’affaire la plus célèbre concerne la fin des éléphants. Castor et Pollux, les éléphants du jardin zoologique avaient été consommés le 31 décembre 1870 chez Voisin, célèbre restaurateur de l’époque, rue Saint Honoré. Début janvier, ce fut le tour de l’éléphant du jardin des Plantes d’être abattu. Il fut aussi acheté par Voisin, débité par un boucher de la rue de faubourg Saint Honoré et vendu au prix de 15 francs la livre. Le 13 janvier, le restaurant Voisin servit des plats de viande d’éléphant. Trois heures après, il n’en restait plus et Monsieur Bellanger, le patron du restaurant, fit acheter du cheval de réserve. Le chef, Monsieur Choron (célèbre pour la sauce qu’il a créée) n’en revint pas et servit de la viande de cheval comme de l’éléphant et les clients n’y virent que du feu. Monsieur Bellanger aurait fait 40 000 francs or de bénéfice pendant le siège et put se retirer, fortune faite. L’on assure que la trompe de l’éléphant était le meilleur morceau.
Par un curieux hasard, Alexandre Dumas, mort en 1870, et qui n’avait donc pu connaître ces phénoménales expériences gastronomiques éléphantines, écrivit dans son Grand Dictionnaire de cuisine (paru en 1872) la recette suivante qu’il attribue au cuisinier Dugléré (célèbre pour son apprêt des soles) : «prenez un ou plusieurs pieds de jeunes éléphants, enlevez la peau et les os après avoir fait dégorger pendant quatre heures à l’eau tiède. Partagez les ensuite en quatre et coupez les en deux, etc.» Il est dommage que cette recette n’ait pas été connue lors du siège de Paris en 1870. Curieux hasard de l’histoire !
Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Retrouvez toutes ses chroniques en