Le château de La Punta : Le palais des Tuileries corse
Robert Werner plaide ici la cause du Château de La Punta, l’un des pavillons des Tuileries incendiées sous la Commune. Correspondant de l’Académie des beaux-arts, il est un fervent défenseur du patrimoine architectural et paysager français qu’il met à l’honneur dans cette rubrique Sites et Monuments désormais régulière sur Canal Académie.
Le château de la Punta, érigé sur la commune d'Alata en Corse du Sud, à moins d'une demi-heure d'Ajaccio, domine à quelque 600 mètres d'altitude un panorama magnifique. Il englobe en effet les golfes d'Ajaccio, de Lava, de Sagone, et depuis le domaine de 40 hectares, on peut admirer les sommets du monte d'Oro ou du monte Rotondo, parmi les plus hauts de l'Ile de Beauté.
Mais le château lui-même est fascinant. Par l'intérêt architectural qu'il présente, mais surtout en raison de son incroyable histoire.
On ne peut qu'être frappé, quand on le contemple, de sa ressemblance avec...les Tuileries ! Et pour cause : il s'agit bien de l'un des pavillons Renaissance du Palais des Tuileries incendié sous la Commune de Paris et reconstruit ici avec ses pierres d'origine.
Remontons à la fin du mois de mai 1871, pendant la « semaine sanglante » du 21 au 27 mai précisément. L'entrée des Versaillais, les troupes de Thiers dans Paris, provoque un déchaînement de violences chez les communards : de nombreux bâtiments de la capitale sont incendiés, dont le splendide Hôtel de Ville entièrement ravagé par le feu. Le Palais des Tuileries, à l'ouest du Louvre - construit dans la deuxième partie du 16e siècle pour Catherine de Médicis, épouse du roi Henri II - ce bel édifice où rois et empereurs ont résidé, en le modifiant il est vrai au cours des siècles, est aspergé de pétrole, de poudre, de goudron liquide et de térébenthine. Epargné jusque là par les convulsions de notre Histoire, il brûle durant trois jours sous les yeux des Parisiens hébétés.
L'intérieur du palais est anéanti, mais le gros œuvre a résisté tant bien que mal. Pendant les mois qui suivent, des artistes, des hommes de lettres, des hommes politiques parmi lesquels le baron Haussmann, alors député de la Corse, militent en faveur de sa restauration. Les discussions, les interventions multiples durant onze années, jusqu'au sommet de l'Etat, dans les salons parisiens aussi, bien que très animées, seront vaines. La démolition intégrale est votée par la Chambre des Députés. Et en 1882, on organise une vente aux enchères au cours de laquelle, un entrepreneur, du nom d'Achille Picard, obtient pour 33 000 francs seulement, je cite, les «ruines» des Tuileries.
C'est pour les revendre, au détail, qu'il en a fait l'acquisition. Il va écouler ce qu'il appelle la «marchandise» à des amateurs très en cours à Paris : le directeur du Figaro, Victorien Sardou, l'auteur de Madame Sans Gêne, le couturier Worth, le comte Esterhazy...Mais le lot le plus important revient au duc Jérôme Pozzo di Borgo (1832-1910) et à son fils, le comte Charles (1858-1902). Ce lot, la majeure partie des pierres d'origine du pavillon Bullant, fait le bonheur des deux hommes : ils vont le reconstituer sur la terre ancestrale. C'est la concrétisation d'une promesse faite au grand oncle, le duc Charles-Jérôme, lui-même neveu de l'ambassadeur de Russie Charles-André, ami de jeunesse de Napoléon avant de devenir l'un de ses grands ennemis. Il avait demandé «que fut réalisé, au berceau de la famille, quelque chose qui fut en rapport avec la fortune qu'il laissait».
On numérota et photographia les pierres pour rendre possible l'assemblage de cet immense «puzzle». On déposa les pierres des Tuileries dans 185 caisses expédiées par chemin de fer de Paris à Marseille, puis de Marseille à Ajaccio sur des bateaux à vapeur de la Compagnie Valéry et de la Compagnie Transatlantique. Plusieurs parmi ces bateaux vont rebrousser chemin : la mer est trop mauvaise, et l'escale ajaccienne trop brève. Enfin, on débarque les glorieux vestiges avant de les hisser sur des charrettes qui vont les transporter jusqu'à une remise louée aux Messageries de la Corse. Elles vont y rester stockées trois ans, jusqu'en 1886, le temps qu'il aura fallu pour ouvrir, à l'aide de pioches et de bâtons de dynamite, une route longue de 7 kilomètres qui permettra, à partir de la chapelle funéraire des Pozzo di Borgo, d'arriver au futur chantier.
Edifié sur un soubassement en granit rose extrait d'une carrière locale, le château de la Punta sera réalisé par l'architecte Albert-Franklin Vincent, assisté de l'architecte Sanson pour le plan des combles. Les maçons et les granitiers sont ajacciens, les charpentiers et les couvreurs viennent du continent, le menuisier et le sculpteur sont parisiens.
Cette opération, convenons-en, d'une grande originalité, se termine en 1891. Alors, enfin, les initiateurs de ce projet insolite peuvent graver au fronton nord de la façade de leur château, l'inscription suivante : «Jérôme Pozzo di Borgo et son fils Charles ont fait construire cet édifice avec des pierres provenant du palais des Tuileries incendié à Paris en 1871, pour conserver à la patrie corse un précieux souvenir de la patrie française : l'an de grâce 1891».
Ce sera la résidence estivale de cette noble et ancienne famille corse. Les pièces d'apparat sont ouvertes au public durant l'été et la saison touristique, et le château, avec son cadre fastueux, se prêtera pendant de longues années à de multiples manifestations culturelles et de réceptions diverses. L'État va le classer Monument Historique en 1977.
Hélas, un an plus tard, en 1978, le château, issu du pavillon Bullant des Tuileries, va de nouveau brûler ! Un sapeur-pompier perdra la vie dans cet incendie. Le château dont le mobilier a été enlevé dès le lendemain du sinistre est vendu en 1992 pour 10 MF au département de la Corse du Sud. Ce dernier, avec le concours financier de l'Etat et de la Collectivité Territoriale de Corse reconstitue la toiture qui a été entièrement détruite par le feu en 1996, ce qui assure la mise hors d'eau du bâtiment.
Cependant, à l'intérieur, c'est un désastre : planches abîmées, plâtres tombés, toiles et tapisseries effondrées formant un vaste tas, fenêtres béantes. Mais il y a plus grave encore. De sérieux désordres architecturaux se révèlent au niveau des façades si bien que la visite des lieux est interdite.
D'après les experts, cette situation est le résultat du procédé de construction mis en œuvre il y a plus d'un siècle, c'est à dire, je cite «l'utilisation de pierres calcaires liées à la maçonnerie par des tirants métalliques qui rouillent et la font éclater». Malheureusement, les effets dévastateurs de ce processus naturel de dégradation n'ont cessé d'empirer, et faute d'une réalisation de travaux urgents dont le programme et le montant (355 551 euros) avaient pourtant été approuvés par le Conseil Général du département en 2002, on risque maintenant d'atteindre le point de non-retour.
Un collectif pour la sauvegarde du château de la Punta a été créé, au sein duquel œuvrent plusieurs personnalités de la région dans l'espoir très fervent de revoir un jour, de nouveau debout, et dans toute sa beauté, cet étonnant vestige du palais des Tuileries qui surplombe le golfe d'Ajaccio....
Robert Werner
rédacteur-en-chef de la revue Sites et Monuments
Administrateur de la Société pour la Protection des Paysages
et de l'Esthétique de la France
Correspondant de l'Institut (Académie des Beaux Arts)
Aux côtés de Robert Werner nous retrouvons maintenant Pierre Bénard, docteur ès lettres, chroniqueur de langue au Figaro pendant dix ans, écrivain, auteur notamment de « Au nord du grand canal », ou encore de « C'est la Cata, petit manuel du français maltraité », collection Points dirigée par Philippe Delerm. Pierre Bénard est rédacteur-en-chef de la revue Sites et Monuments aux côtés de Robert Werner. Nous les retrouvons tous les deux.
- Robert Werner : Quel rapport entre le paysage et le ciel nocturne ?
- Pierre Bénard : Mais le plus beau paysage qui soit n’est-il pas un véritable ciel nocturne, c’est-à-dire un ciel d’étoiles ? C’est le premier paysage au milieu d’un ensemble aussi riche que celui des paysages français. Il y en a un qui se distingue, c’est celui, par exemple, d’une belle nuit d’hiver telle qu’on peut la contempler d’un sommet. Il n’est pas besoin de monter très haut. Montez une belle nuit en haut du puy Mary, dans le Cantal, autour de 1780 et quelques mètres...
- Robert Werner : De là, on voit les étoiles.
- Pierre Bénard : Bien entendu, parce qu’on échappe à ce phénomène qu’est la « pollution lumineuse ».
- Robert Werner : Et voilà ! Parce qu’à Paris, on ne voit plus d’étoiles, presque plus.
- Pierre Bénard : Il y a une association qui s’appelle l’Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement nocturne, qui a écrit un texte destiné à faire un amendement au « Grenelle 2 », qui, heureusement, s’intéresse à la question de la « pollution lumineuse ». Et dans le texte que cette association a publié et que nous avons repris tous les deux ...
- Robert Werner : Pardon de vous interrompre. Il faut bien dire que ce texte, qui s’intitule « Contre une nuit trop claire », d’après Philippe Desportes, est dans le numéro 212 de notre revue « Sites et Monuments », page 10. C’est à votre initiative, Pierre, que nous avons donc pu décider de publier cet article vraiment passionnant. Il y a même trop de lumière sur nos cathédrales, maintenant, qu’on éclaire abusivement, d’ailleurs, qu’on illumine. Alors, elles étaient, certes, polychromes pour les grands portails, mais aujourd’hui, le bleu, le rouge, le jaune apparaissent, et c’est dommage, parce que ce n’est pas beau.
- Pierre Bénard : Mais d’abord, cette association nous dit, nous apprend qu’en ville, le nombre d’étoiles visibles à l’œil nu s’est réduit de façon considérable. A votre avis, à Paris, dans une nuit d’étoiles, combien peut-on distinguer d’étoiles ?
- Robert Werner : Vingt ...
- Pierre Bénard : C’est ça, quelques dizaines. En haut du puy Mary ou, si vous voulez, en haut de votre cher ballon de Guebwiller (ou du ballon d’Alsace)
- Robert Werner : Là, on les voit.
- Pierre Bénard : Oui, encore qu’il y ait certainement une pollution lumineuse plus forte que dans le Cantal parce qu’il y a la proximité, tout de même, d’une zone urbaine assez importante, me semble-t-il. Mais combien peut-on en voir encore, à l’œil nu ? Trois mille ! Alors, la « pollution lumineuse », c’est celle qui nuit aux astronomes, c’est celle aussi, comme vous me l’indiquez, qui nuit souvent, sous prétexte de les mettre en valeur, à des monuments qui, en dépit des grands progrès des « éclairagistes », sont mis en lumière de façon excessive, sont aveuglés, sont baignés de couleurs qui ont tellement moins de charme que le reflet d’un clair de lune. Sans doute le meilleur éclairage pour jouir de la cathédrale d’Amiens la nuit est-il celui d’un beau clair de lune ? D’une pleine lune dans un ciel dégagé ?
- Robert Werner : Mais alors, ce phénomène des étoiles qu’on voit de moins en moins, ce n’est pas qu’à Paris, c’est dans toutes les villes de province également, dans la mesure où elles sont très industrialisées, très animées, très vivantes ?
- Pierre Bénard : La « pollution lumineuse » est, en effet, quelque chose qui gagne le monde entier. Il suffit de voyager en avion la nuit pour se rendre compte du point auquel la Terre maintenant est éclairée. Et des spécialistes - dont je ne suis pas – disent, par exemple, que si la sécurité, en effet, peut bénéficier d’un éclairage soigné, il ne faut tout de même pas déformer les choses et croire qu’il résout tout. Ils affirment que, d’une part, il y a saturation lumineuse, c’est-à-dire qu’il y a un moment où mettre une lampe à côté d’une autre lampe ne sert plus à rien, sinon justement à accroître encore ce phénomène de « pollution lumineuse ». Ils disent, ce qui est peut-être plus discutable, que, en matière de sécurité publique, il ne faut pas non plus se leurrer et que (je me réfugie derrière les propos des spécialistes) l’agressé, au lieu d’être sauvé par la lumière, peut en être... victime ! Ils disent aussi que cet éclairage qui transforment nos nuits en espèces de crépuscules perpétuels ou, si vous préférez, d’aurores boréales, trompent les animaux, fait que nous avons tous constaté lorsque nous vivons en ville, que des oiseaux chantent à des heures impossibles, que de malheureux coqs s’époumonent à trois heures du matin et que les humains eux-mêmes ne trouvent pas le repos que leur autoriserait une nuit véritablement obscure. C’est pourquoi j’ai donné comme titre à ce texte, qui nous a été procuré par cette association, « Contre une nuit trop claire », ce qui est une formule du poète, contemporain de Ronsard, Philippe Desportes, qui, à l’époque, Robert, se plaignait d’une « nuit trop claire » pourquoi ? Parce que c’était l’époque où les étoiles flamboyaient et où les amoureux, qui avaient besoin d’un peu d’obscurité, se plaignaient, se plaignaient de cet excès d’éclairage. Nous en sommes exactement, maintenant, au contraire.
La rédaction de Canal Académie remercie l'association Les amis du château de La Punta pour le prêt des illustrations ci-dessus.
En savoir plus :
- visitez le site de l'association Les amis du château de La Punta
- retrouvez les articles de Robert Werner : Sites et Monuments la revue qui défend le patrimoine monumental et paysager et L’Hôtel de la Marine : une proie de prestige ainsi que sa biographie sur le site de l'Académie des beaux-arts
- et parcourez le site de la Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique en France qui publie la revue Sites et Monuments.